Les classes vertes du cinéma français
L’association audiovisuelle Ecoprod propose des formations et des écrits pour guider les professionnels sur le chemin de l’écologie et de la préservation des milieux naturels. Elle publie, en collaboration avec d'autres partenaires, un Guide pratique des tournages en milieux naturels. Loin du greenwashing, ces actions témoignent d'une prise de conscience collective et d'un mouvement de fond.
Depuis longtemps, le cinéma se préoccupe des questions écologiques par le biais de ses films et les approches sont variées : la Science-Fiction avec Soleil vert (Soylent Green, 1973) ou Avatar : la voie de l’eau (James Cameron, 2022), le film biographique, Erin Brokovich (Steven Soderbergh, 2000) et bien sûr le documentaire, Le Monde selon Monsanto (Marie-Monique Robin, 2008). Encore très récemment, Acide (Just Philippot, 2023) suit Michal (Guillaume Canet) qui tente de sauver sa fille de pluies acides dévastatrices. Mais le cinéma se soucie aussi d’écologie lorsqu’il s’agit de la fabrication des films. Comme d’autres industries culturelles, celle-ci est polluante et cherche à réduire son important impact environnemental1. Ce mouvement écologique s’est accéléré à la suite d’une décision du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée). Depuis mars 2023, le CNC demande aux bénéficiaires d’aides à la production de remettre un bilan prévisionnel et définitif des émissions carbone engendrées par la production des films et dès le 1er janvier 2024, le dépôt des bilans conditionnera le versement des aides à production du CNC.
Cependant, nombre d'acteurs et actrices de l’industrie cinématographique n’ont pas attendu cette décision. Ils œuvrent depuis plusieurs années auprès des professionnels, du côté de la technique, de la production ou encore de la réalisation, pour les former à des comportements écoresponsables tout au long de la chaîne de production. C’est notamment le cas d’Ecoprod, un collectif formé en 2009, devenu depuis une association. Ecoprod réuni des membres d’Audiens, du groupe Canal +, de la CST (Commission Supérieur Technique), de Film Paris Région, du groupe France TV et de TF1. Leur travail commence autour des questions d’émission de CO2. Dès 2010, l’association développe un outil nommé le Carbon’clap : un calculateur d’empreinte carbone pour les productions audiovisuelle. Il existe également un guide de l’écoproduction2, une charte Ecoprod3 ainsi que des fiches pratiques4 pour que chaque corps de métier puisse se renseigner directement sur la manière dont il peut agir dans le cadre de sa profession (bureau, décors studio, logistique, etc).
Le guide présente les conséquences néfastes que peut avoir un tournage sur la faune et la flore, sur des territoires préservés et de manière plus générale sur tous les lieux investis par une équipe de cinéma.
Des modules sont lancés spécifiquement autour de la biodiversité pour des professionnels ayant déjà suivi des formations sur l’empreinte carbone. Le guide, conçu pour tous types de productions et tous les intervenants, s'inscrit dans le prolongement de ces modules. Le projet s’est construit en partenariat avec l’IFFCAM. L'établissement situé dans le département des Deux-Sèvres s'avère être l'unique lieu en France pour se former à la filière du cinéma animalier. Sa contribution a permis d'apporter au groupe une expérience de terrain et les liens construits depuis longtemps avec les scientifiques et les naturalistes.
Donner l'exemple
Le guide présente les conséquences néfastes que peut avoir un tournage sur la faune et la flore, sur des territoires préservés mais aussi de manière plus générale, sur tous les lieux investis par une équipe de cinéma. Chaque professionnel peut ainsi se renseigner sur les comportements à adopter et ceux à bannir. Il s’agit par exemple de ne pas donner de mauvaises idées aux visiteurs et autres influenceurs malgré eux. La pollution sonore ou lumineuse, celle de l’air, les odeurs ou encore les piétinements sont également des domaines de préoccupation auxquels le guide propose des solutions. Marie Daniel, directrice de l’IFFCAM, précise que "Ce document est un work in progress. Nous y amenons fréquemment des corrections et des mises à jour afin que le guide reste actuel. La réflexion est donc toujours en cours et nous travaillons ensemble à la suite."
Le guide témoigne à différents égards d'un processus de changement significatif et profond dans la manière de fabriquer des films. Tout d’abord, la création d’un nouveau poste, celui d’écomanager, personne formée aux enjeux de l’écoproduction et qui a la charge de conduire l’équipe vers les bonnes pratiques écologiques. Pauline Gil, écomanager, formatrice et membre d’Ecoprod, a participé à l'élaboration du guide. Elle explique le rôle à la fois pédagogique et opérationnel de ce nouveau membre de l’équipe. Cela va du recyclage au choix des équipements électriques, et au centre, toujours, la considération du décor naturel choisi. Il est aussi suggéré de faire appel à des fixeurs locaux (sortes de guides officieux) qui connaissent bien le terrain.
D’autres métiers sont apparus ces dernières années sur les plateaux de cinéma, tel que le référent Covid (disparu avec les masques), ou encore le coordinateur d’intimité, conséquence bienvenue de la vague metoo pour faire face aux dérives potentielles et protéger des comédiennes et comédiens en position vulnérable quand les scènes le requièrent. Autant de signes d’une volonté d’adaptation du monde cinématographique aux changements qui, parfois, le dépasse.
Aussi, le guide propose de penser écologie, dépenses énergétiques et protection de la biodiversité, dès l’écriture du film. Il s’agirait ainsi de ne pas seulement se plier aux contraintes et obligations institutionnelles mais bien de penser, de concevoir le film comme un objet écologique. Réalisation, écriture et production sont ainsi directement concernées. Le cinéma est ici renvoyé à des enjeux de représentation qui ne concernent pas seulement les histoires des personnages mis en scène mais également leurs liens avec l’environnement, notamment les plantes et les espèces animales qui les entourent. Il est indiqué dans le guide de ne pas "permettre l’identification de la localisation des sites sensibles". Par exemple, "en évitant les plans larges qui permettent de situer une nichée d’oiseaux" ou bien en ne mettant pas "en scène une personne en contact physique ou proche d’animaux sauvages, et ce dès le stade de l’écriture, ou a minima expliquer les enjeux, le contexte et la particularité de cette mise en image."
On pourrait alors penser à Éric Rohmer, cinéaste écologique avant l’heure, qui prenait le bus avec son équipe, tournait principalement dans des lieux où il pouvait loger tous ses techniciens, dans des maisons prêtées par des proches. Ce qui peut se voir comme une économie de moyens (la radinerie légendaire du cinéaste est loin d’être un secret) était également une manière de se montrer responsable. Il lui importait de ne jamais déranger l’environnement dans lequel il choisissait de mettre en scène mais de s’y intégrer, de l’apprivoiser sans jamais lui faire violence.
Il émane de ces écrits le besoin d’anticipation requis pour que les projets puissent réellement s’insérer dans les territoires investis et de ne pas leur nuire. L’autre critère de réussite se résume par un engagement collectif, de bout en bout de la chaîne de fabrication d’un film, pour que toutes les règles soient appliquées. Les professionnels sondés sont intéressés par la démarche et conscients qu’il est nécessaire d’investir cette cause. "Tout le monde est concerné", rappelle Marina Ezdiari. Toutefois, changer des habitudes de travail et des réflexes prend du temps et nécessite une formation, que les structures évoquées ont toutes mis en place.
1. "En France, le secteur audiovisuel émet 1,7 million de tonnes de gaz à effet de serre par an. C'est le bilan de la population d’une ville de 180.000 habitants comme Reims. Le streaming représente plus de la moitié de cette empreinte totale et l’impact des tournages s’élève à 18 %." Virginie Hilssone, "Aux États-Unis, le cinéma est la deuxième industrie la plus polluante après le pétrole.", Radio France, 9 juin 2023. Écouter l'émission.
2. https://www.ecoprod.com/fr/les-outils-pour-agir/guide-de-l-eco-production.html
3. https://www.ecoprod.com/fr/la-charte-ecoprod/charte-ecoprod.html
4. https://www.ecoprod.com/fr/les-outils-pour-agir/fiches-pratiques.html
5. Le guide a été réalisé collectivement. Un comité de rédaction : Guillaume ALLAIRE (Wild Frame), Pervenche BEURIER (ECOPROD), Tony COCO-VILOIN (Ecole de cinéma Epices), Marie DANIEL (IFFCAM), Philippe DE GRISSAC (LPO - Agir pour la Biodiversité), Joanna GALLARDO (Choose Paris Region), et avec la contribution active de : Allain BOUGRAIN-DUBOURG (LPO - Agir pour la Biodiversité), Thierry BORDES (Commission du film de la Dordogne), Patrick COMOY (Ministère de la Culture), Arnaud CLAVELIN (Wide Studios), Thomas DELAGE (Office Français de la Biodiversité), Caroline JULLIARD-MOURGUE (Film France CNC), Pauline GIL, Alexis GIRAUDEAU, Laetitia PELÉ (ARA (Assistants Réalisateurs & Associés), Frederique SUSSFELD, Leslie THOMAS, Agnès TOULLIEUX, Elodie RASPAIL (CNC), Pauline LANDAIS (ECOPROD). https://www.ecoprod.com/fr/les-outils-pour-agir/guide-des-tournages-en-milieux-naturels