Librairie et édition indépendantes : des enjeux communs
Les 2 et 3 février 2023, à Aix-en-Provence (13), se sont tenues les premières assises voulues par la Fédération des éditions indépendantes (FedEI), en partenariat avec l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pierre posée par cette organisation fondée en 2021, qui regroupe aujourd’hui trois cent quarante maisons et structures associatives régionales dans l’optique de "défendre les intérêts matériels et moraux des structures éditoriales indépendantes et de favoriser leurs échanges professionnels1". Avec la volonté affichée de "se définir et agir2", les interventions et tables rondes ont abordé les sujets des différentes interactions dans la chaîne du livre, en questionnant ce qui constitue les spécificités de cette indépendance et les critères qui permettent de l’apprécier.
L’une des rencontres représentatives de l’esprit à l’œuvre et des questionnements portait sur la notion de bibliodiversité et sur les conditions de la présence de l’édition indépendante en librairie3. Si la discussion n’aura pas livré une solution unique, des aspects essentiels ont été cependant mis en lumière, fournissant matière à réflexion. Parmi ceux-ci : l’idée que la production très élevée de livres4 pèse sur l’ensemble des acteurs et rend plus difficile la présence en librairie des ouvrages de maisons indépendantes ; l’aggravation des conditions de travail et de vie des éditeurs, alors que ce sont eux qui prennent en premier les risques pour dénicher des auteurs. La relation de confiance avec des libraires attentifs aux éditeurs indépendants a été soulignée maintes fois, même si elle n’est pas toujours à la hauteur des attentes des éditeurs, conscients aussi que cela demande beaucoup de temps pour tisser ces liens. Les convergences entre éditeurs et libraires indépendants paraissent naturelles ; les premiers face à des grands groupes éditoriaux, les seconds portant une démarche culturelle, sociale et économique en regard des grandes surfaces de vente qui exigent rotations et volumes plus importants. Comme l’a souligné Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, les libraires "font beaucoup pour la diversité", mais le "tsunami de la production", avec 800 000 titres disponibles et l’équivalent de 200 nouveautés par jour, y compris les week-ends et vacances, entraîne bien une difficulté à être visible dans les rayons.
La connaissance mutuelle et le lien, dans un environnement d’accélération et de production massive, sont nécessaires pour faire émerger les propositions des éditeurs, dans une autre temporalité.
Dans le prolongement de ce débat, Esther Merino, directrice des éditions Les Monédières à Limoges (87), souligne qu’étant auto-diffusé et auto-distribué – par choix –, son catalogue a du mal à être pris en considération par les libraires. Des liens ont cependant été tissés dans la durée avec certains points de vente, pour des résultats très positifs. L’éditrice espère que davantage de libraires prendront le temps de découvrir des maisons et des livres inconnus, parce que ceux-ci recèlent un potentiel commercial en plus de préserver une bibliodiversité. En tant que présidente de l’Association des éditeurs de Nouvelle-Aquitaine et membre du bureau de la FedEI, Esther Merino travaille à mieux faire connaître les caractéristiques des maisons indépendantes ; il est d’ailleurs question de créer un label et/ou une charte pour les identifier.
De son côté, Cécile Bory, directrice de la librairie Georges à Talence (33) et présidente de l’Association Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine (Lina), est consciente des enjeux communs avec les éditeurs indépendants et demande à ses libraires d’être curieux et de mettre en avant les livres moins connus, ceux des petites maisons diffusées et auto-diffusées, que ce soient des nouveautés ou non. Pour elle, la librairie doit être un espace de liberté, où l’on est capable de choisir les livres que l’on souhaite présenter tout en maintenant un équilibre financier ; finalement, tout comme les éditeurs indépendants… Dans le cadre de Lina, l’accent est mis sur le territoire et les éditeurs de la région, que ce soit par des rencontres, le site ou par des événements tel Pépites en stock5.
"Ce n’est pas parce qu’on est indépendant qu’on est bon", dit Cécile Bory, faisant ainsi écho aux débats des assises. Il ne suffit pas de prôner l’indépendance économique pour exister auprès des libraires et des lecteurs, mais plutôt de valoriser encore davantage les catalogues singuliers et les démarches inscrites dans une durée et un territoire. Tout cela résonnera de plus en plus face aux questions de l’hyperproduction et à tous les enjeux environnementaux. La FedEI, avec la volonté affichée de faire connaître "l’édition autrement", peut être de plus en plus pertinente dans cette perspective.
1. Le site de l'association FedEI.
2. Le programme des Assises sur le site de la FedEI.
3. Bibliodiversité, engagement : par quel(s) prisme(s) inviter l'édition indépendante en librairie ? Table ronde animée par Sophie Fauché (Normandie Livre & Lecture) en réunissant Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), Ken Morisot, de la librairie La Loupiote à Gap (40), Marie Hermann, cofondatrice des éditions Hors d'atteinte à Marseille (13) et Florent Patron, dirigeant des éditions Locus Solus à Châteaulin (35).
4. 39 903 nouveautés et 69 577 réimpressions en 2021, selon le rapport "Les chiffres de l'édition 2021" du Syndicat national de l'édition (SNE).
5. Fête de la librairie indépendante, qui propose des événements et animations pendant deux semaines. Plus d'informations sur le site de Lina.