La demeure
"Je ne suis pas comme les auteurs qui arrivent à se décaler de leur vie pour raconter une histoire en utilisant un autre univers, je ne sais que raconter ma vie. Je suis inspirée par ce que je vis et par ce que j’ai vécu." Li-Chin Lin est arrivée de Taïwan il y a presque vingt ans. Elle a choisi de vivre en France où elle exerce comme auteure de bande dessinée. Les allers-retours entre Taïwan et son pays d’adoption sont permanents, tant physiquement qu’intellectuellement. Ce lien indéfectible entre les deux pays qui la constituent est le sujet de son prochain livre. Une étape de plus dans son cheminement tant personnel qu’artistique.
Naissance d’une conscience politique
Fudafudak est dans la continuité de cette démarche. La bande dessinée s’appuie sur les trois mois que Li-Chin a passé en 2014 au sein d’une communauté écologique cherchant à préserver le patrimoine culturel et le mode de vie des aborigènes. Le récit s’articule autour de plusieurs combats, dont celui contre la construction d’un hôtel de luxe à Fudafudak, sur la côte est de l’île de Taïwan. Li-Chin questionne l’engagement, le choix, l’avenir et le passé. Elle reconstruit le fil des origines peu à peu rongé par le pouvoir de l’argent. En s’intéressant au passé, Li-Chin Lin donne à comprendre les absurdités du présent, comment le profit passe au premier plan au détriment des populations, de leur qualité de vie, de leurs traditions, de l’environnement. Dans ces comportements sans scrupules, l’argent est un outil qui donne du pouvoir. Ces comportements insidieux se basent sur le mensonge d’une prospérité qui séduit, occultant les conséquences désastreuses des décisions qu’ils induisent. Li-Chin Lin adopte un regard d’observateur, elle met son art au service du propos, mais elle reste au second plan. Elle met en lumière les combats quotidiens de ces hommes et de ces femmes qui pensent l’avenir autrement, dans le respect de l’Humanité. Elle pose la vie comme un tout, où chacun a sa part de responsabilité. Elle montre l’ignorance, elle s’insurge en douceur, mais sûrement.
"Li-Chin Lin creuse dans les profondeurs de l’Humanité, dans ce qu’elle est capable de réaliser pour le pire et surtout pour le meilleur. "
Home, so sweet ?
Dans Formose, Li-Chin Lin évoque l’évolution de sa conscience politique, pour parler du mal ordinaire comme disait Hannah Arendt, pour contrer cette affirmation : je ne fais qu’exécuter ce qu’on m’a dit de faire. "Si je n’avais pas réfléchi, je serais devenue un pion." Avec Home, le regard change, elle met en avant la pression ressentie en raison de son choix de vivre en France et celle qui pèse, plus généralement, sur les étrangers qui y vivent. Elle affirme sa place dans les deux pays. Son intention est de parler du côté lumineux qu’elle ressent de la France, de dire qu’elle est mieux ici et bien qu’elle ait pris l’avion simplement, bien qu’elle soit plutôt privilégiée, elle est fragile. Quand les autorités publiques font la sourde oreille à son problème de nuisance sonore, elle comprend que, même en France, il y a des gens qui appliquent les lois et d’autres qui ne les appliquent pas. Ceux qui en ont le pouvoir ne se mobilisent pas. Ils ne l’aident pas dans ses difficultés. "Mon travail d’auteure est de mettre de la distance sur ces choses qui arrivent, sur cette injustice et ce sentiment que ceux qui ont le pouvoir te laissent couler."