L’image et l’écrit pour montrer les possibles
Auteure de nombreux documentaires et ouvrages d’investigation, la journaliste Marie-Monique Robin utilise l’image et l’écrit pour dénoncer les dysfonctionnements de notre société et, surtout, en montrer les alternatives.
Plusieurs de vos films et ouvrages (Le Monde selon Monsanto, Le Roundup face à ses juges, Terre souillée…) traitent de questions relatives à la biodiversité, au respect de l’environnement. Qu’est-ce qui vous a poussée à explorer ces thèmes ?
Marie-Monique Robin : Les films que j’ai réalisés traitent plus largement des droits humains, sous toutes leurs formes. J’ai effectivement beaucoup travaillé sur la question agricole, du contrôle des semences à l’impact du modèle agro-industriel sur l’eau, l’environnement, les agriculteurs ou encore les consommateurs que nous sommes.
Étant née dans une ferme du Poitou, mon intérêt pour l’agriculture est aussi lié à des considérations personnelles. C’est un sujet que je connais bien de l’intérieur et qui m’a donné des facilités pour aborder ces questions et rencontrer les agriculteurs. Je sais par exemple que dans le groupement d’employeurs coopératif auquel participaient mes parents, deux des cinq associés sont morts prématurément de cancers et les trois autres ont tous eu également un cancer.
Vos travaux ont vocation à être vus par le plus grand nombre, à éveiller les consciences sur des sujets contemporains. Estimez-vous qu’il persiste des lacunes dans l’éducation à ces problématiques ?
M-M.R. : Certaines écoles sensibilisent les enfants avec, notamment, des potagers communs. J’ai eu la chance de filmer ce genre d’ateliers éducatifs où les enfants sèment et mangent leurs produits. Il faut rétablir ce lien, qui a été beaucoup détruit, entre l’être humain et la terre nourricière. Mais je pense plus largement que les droits humains ne sont pas suffisamment expliqués. Tous ces droits fondamentaux sont défendus dans les grands textes internationaux, malheureusement pour la plupart non contraignants. Ils englobent le droit à l’alimentation, le droit à la santé, le droit à un environnement sain, le droit à l’information…
La presse a aussi pour rôle central de les défendre. Comme l’écrivait Albert Londres, le métier de journaliste "n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie". En tant que quatrième pouvoir, les journalistes doivent œuvrer pour le bien commun, en dénonçant les dysfonctionnements et en rétablissant la vérité. La question du respect des droits humains devrait donc rester un fil conducteur dans tout travail de journaliste.
Marie-Monique Robin : Les films que j’ai réalisés traitent plus largement des droits humains, sous toutes leurs formes. J’ai effectivement beaucoup travaillé sur la question agricole, du contrôle des semences à l’impact du modèle agro-industriel sur l’eau, l’environnement, les agriculteurs ou encore les consommateurs que nous sommes.
Étant née dans une ferme du Poitou, mon intérêt pour l’agriculture est aussi lié à des considérations personnelles. C’est un sujet que je connais bien de l’intérieur et qui m’a donné des facilités pour aborder ces questions et rencontrer les agriculteurs. Je sais par exemple que dans le groupement d’employeurs coopératif auquel participaient mes parents, deux des cinq associés sont morts prématurément de cancers et les trois autres ont tous eu également un cancer.
Vos travaux ont vocation à être vus par le plus grand nombre, à éveiller les consciences sur des sujets contemporains. Estimez-vous qu’il persiste des lacunes dans l’éducation à ces problématiques ?
M-M.R. : Certaines écoles sensibilisent les enfants avec, notamment, des potagers communs. J’ai eu la chance de filmer ce genre d’ateliers éducatifs où les enfants sèment et mangent leurs produits. Il faut rétablir ce lien, qui a été beaucoup détruit, entre l’être humain et la terre nourricière. Mais je pense plus largement que les droits humains ne sont pas suffisamment expliqués. Tous ces droits fondamentaux sont défendus dans les grands textes internationaux, malheureusement pour la plupart non contraignants. Ils englobent le droit à l’alimentation, le droit à la santé, le droit à un environnement sain, le droit à l’information…
La presse a aussi pour rôle central de les défendre. Comme l’écrivait Albert Londres, le métier de journaliste "n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie". En tant que quatrième pouvoir, les journalistes doivent œuvrer pour le bien commun, en dénonçant les dysfonctionnements et en rétablissant la vérité. La question du respect des droits humains devrait donc rester un fil conducteur dans tout travail de journaliste.
"La question du respect des droits humains devrait donc rester un fil conducteur dans tout travail de journaliste."
Quel rôle doit, selon vous, occuper la culture dans la médiation de ces sujets ?
M-M.R. : En plus d’être une ouverture sur le monde, la culture recrée du lien à travers tous types de supports et formes d’expression. Du lien avec le monde, avec les autres. Nous souffrons beaucoup en ce moment de la destruction des liens, notamment à cause d’une économie capitaliste tournée uniquement vers le profit et qui n’est plus au service des humains. Le système financier en est le parfait exemple : plus de 95 % des transactions ne sont que de la pure spéculation, n’entretenant aucun rapport avec l’économie réelle. Pour sortir de cette impasse globale, dont résultent notamment le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, la montée des inégalités et des extrémismes politiques, il faut que la culture recrée du lien.
Quels avantages offrent le documentaire et le livre pour transmettre le résultat de vos investigations ?
M-M.R. : Il est vrai que ces dernières années j’ai sorti, à de nombreuses reprises, à la fois un film et un livre. Je fais de l’investigation au long cours, soit pour dénoncer soit pour montrer que d’autres choix existent. Depuis 2012, je m’attache d’ailleurs à investiguer les possibles. Le There is no alternative ("Il n’y a pas d’autre choix") de Margaret Thatcher m’a longtemps hantée et m’a poussée dans cette démarche. Quand on regarde l’état du monde, il est assez terrible de penser qu’il n’y a pas d’alternative…
Le film et le livre sont deux outils très complémentaires pour traiter un même sujet. Le film permet d’entrer dans une histoire, de voir les gens et ce qu’ils font. Le livre permet de puiser davantage ; on y trouve bien plus d’informations, plus de sources.
M-M.R. : En plus d’être une ouverture sur le monde, la culture recrée du lien à travers tous types de supports et formes d’expression. Du lien avec le monde, avec les autres. Nous souffrons beaucoup en ce moment de la destruction des liens, notamment à cause d’une économie capitaliste tournée uniquement vers le profit et qui n’est plus au service des humains. Le système financier en est le parfait exemple : plus de 95 % des transactions ne sont que de la pure spéculation, n’entretenant aucun rapport avec l’économie réelle. Pour sortir de cette impasse globale, dont résultent notamment le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, la montée des inégalités et des extrémismes politiques, il faut que la culture recrée du lien.
Quels avantages offrent le documentaire et le livre pour transmettre le résultat de vos investigations ?
M-M.R. : Il est vrai que ces dernières années j’ai sorti, à de nombreuses reprises, à la fois un film et un livre. Je fais de l’investigation au long cours, soit pour dénoncer soit pour montrer que d’autres choix existent. Depuis 2012, je m’attache d’ailleurs à investiguer les possibles. Le There is no alternative ("Il n’y a pas d’autre choix") de Margaret Thatcher m’a longtemps hantée et m’a poussée dans cette démarche. Quand on regarde l’état du monde, il est assez terrible de penser qu’il n’y a pas d’alternative…
Le film et le livre sont deux outils très complémentaires pour traiter un même sujet. Le film permet d’entrer dans une histoire, de voir les gens et ce qu’ils font. Le livre permet de puiser davantage ; on y trouve bien plus d’informations, plus de sources.
"Devant la déconstruction du délicat équilibre du climat, il y a un déni collectif que je trouve sidérant. Un déni entretenu notamment par les responsables politiques..."
Dans vos derniers projets, notamment Qu’est-ce qu’on attend ?, vous montrez des solutions concrètes et alternatives à l’infrastructure, au sens marxiste du terme. Est-ce aussi le rôle du documentaire de s’affirmer comme relais de projets innovants ?
M-M.R. : Devant la déconstruction du délicat équilibre du climat, il y a un déni collectif que je trouve sidérant. Un déni entretenu notamment par les responsables politiques qui ne prennent aucune mesure à la hauteur de l’enjeu. Si Albert Londres nous voyait au XXIe siècle, s’il voyait comment nous avons déclenché la sixième extinction des espèces, s’il voyait que 1 % de la population mondiale possède 50 % du patrimoine, il s’offusquerait de cette inertie collective. Mais il se dirait aussi qu’il ne suffit pas de dénoncer tous ces dysfonctionnements mais qu’il faut aussi se faire le relais d’autres initiatives.
Les citoyens réclament la médiatisation de toutes ces initiatives. Pour la diffusion de Qu’est-ce qu’on attend ?, j’ai participé à près de 130 projections dans toute la France et à l’étranger, et j’ai senti cette demande collective. Il est donc très important de soutenir les lanceurs d’avenir, qu’ils soient citoyens ou élus, qui essaient de montrer qu’il existe des solutions pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous enfonçons de manière inéluctable.
Vous travaillez actuellement sur un projet de film intitulé L’Affaire de tous, chronique qui raconte l’expérimentation d’un dispositif visant à atteindre "zéro chômeur de longue durée". Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M-M.R. : Ce projet fait partie de cette volonté d’investiguer le champ des possibles. J’ai eu vent en 2015 de cette initiative portée notamment par l’association ATD Quart Monde, dont je connais et apprécie les travaux. ATD Quart Monde a mené un travail de lobbying auprès des parlementaires afin de faire voter une loi permettant l’expérimentation d’un dispositif visant à fournir à tout chômeur de longue durée qui le souhaite un emploi à durée déterminée, adapté à ses compétences et sans surcoût pour la collectivité.
Mauléon, dans les Deux-Sèvres, dont je suis originaire, est l’un des territoires qui bénéficient de cette expérimentation. Je travaille ainsi, avec mon producteur et mari, sur un film pour le cinéma et, dans un premier temps, sur une version plus courte adaptée à la télévision, Envoyé spécial souhaitant diffuser nos travaux. Nous nous intéressons donc à l’expérimentation de ce projet sur Mauléon en suivant les plus de 200 personnes concernées par le dispositif.
Le résultat est bluffant : on voit des chômeurs de longue durée passablement « amochés » au départ, pour des raisons très diverses par ailleurs, qui se sont investis pendant plus de deux ans dans des projets et qui se portent aujourd’hui très bien. La réussite du dispositif tient, en plus de la transformation des gens, en la démonstration que de nombreux besoins sont insatisfaits dans nos territoires.
Finalement, la "passivité sociale", qui explique selon vous le chômage et l’exclusion, est-elle aussi un facteur de la crise climatique et des victimes qu’elle engendre ?
M-M.R. : Cette passivité sociale fait évidemment partie des causes du dérèglement climatique. Elle est d’ailleurs plus large et intimement liée à notre modèle économique. Dans Sacrée croissance, j’ai donné la parole à des personnes qui questionnent le modèle actuel, fondé sur le "toujours plus" : toujours plus de production, toujours plus de consommation, comme moteurs de l’économie. Et ce malgré la rareté des ressources et l’incapacité de la planète à absorber nos déchets.
Le film ouvrait aussi sur l’opportunité de créer un nouveau paradigme de croissance, adapté aux besoins et enjeux du XXIe siècle. On entrerait ainsi dans l’ère de la post-croissance, formalisée par l’économiste britannique Tim Jackson. La sobriété, le partage des ressources, la coopération, seraient les moteurs de nouvelles formes d’économie. Et le rapport au travail serait pensé autrement.
M-M.R. : Devant la déconstruction du délicat équilibre du climat, il y a un déni collectif que je trouve sidérant. Un déni entretenu notamment par les responsables politiques qui ne prennent aucune mesure à la hauteur de l’enjeu. Si Albert Londres nous voyait au XXIe siècle, s’il voyait comment nous avons déclenché la sixième extinction des espèces, s’il voyait que 1 % de la population mondiale possède 50 % du patrimoine, il s’offusquerait de cette inertie collective. Mais il se dirait aussi qu’il ne suffit pas de dénoncer tous ces dysfonctionnements mais qu’il faut aussi se faire le relais d’autres initiatives.
Les citoyens réclament la médiatisation de toutes ces initiatives. Pour la diffusion de Qu’est-ce qu’on attend ?, j’ai participé à près de 130 projections dans toute la France et à l’étranger, et j’ai senti cette demande collective. Il est donc très important de soutenir les lanceurs d’avenir, qu’ils soient citoyens ou élus, qui essaient de montrer qu’il existe des solutions pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous enfonçons de manière inéluctable.
Vous travaillez actuellement sur un projet de film intitulé L’Affaire de tous, chronique qui raconte l’expérimentation d’un dispositif visant à atteindre "zéro chômeur de longue durée". Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M-M.R. : Ce projet fait partie de cette volonté d’investiguer le champ des possibles. J’ai eu vent en 2015 de cette initiative portée notamment par l’association ATD Quart Monde, dont je connais et apprécie les travaux. ATD Quart Monde a mené un travail de lobbying auprès des parlementaires afin de faire voter une loi permettant l’expérimentation d’un dispositif visant à fournir à tout chômeur de longue durée qui le souhaite un emploi à durée déterminée, adapté à ses compétences et sans surcoût pour la collectivité.
Mauléon, dans les Deux-Sèvres, dont je suis originaire, est l’un des territoires qui bénéficient de cette expérimentation. Je travaille ainsi, avec mon producteur et mari, sur un film pour le cinéma et, dans un premier temps, sur une version plus courte adaptée à la télévision, Envoyé spécial souhaitant diffuser nos travaux. Nous nous intéressons donc à l’expérimentation de ce projet sur Mauléon en suivant les plus de 200 personnes concernées par le dispositif.
Le résultat est bluffant : on voit des chômeurs de longue durée passablement « amochés » au départ, pour des raisons très diverses par ailleurs, qui se sont investis pendant plus de deux ans dans des projets et qui se portent aujourd’hui très bien. La réussite du dispositif tient, en plus de la transformation des gens, en la démonstration que de nombreux besoins sont insatisfaits dans nos territoires.
Finalement, la "passivité sociale", qui explique selon vous le chômage et l’exclusion, est-elle aussi un facteur de la crise climatique et des victimes qu’elle engendre ?
M-M.R. : Cette passivité sociale fait évidemment partie des causes du dérèglement climatique. Elle est d’ailleurs plus large et intimement liée à notre modèle économique. Dans Sacrée croissance, j’ai donné la parole à des personnes qui questionnent le modèle actuel, fondé sur le "toujours plus" : toujours plus de production, toujours plus de consommation, comme moteurs de l’économie. Et ce malgré la rareté des ressources et l’incapacité de la planète à absorber nos déchets.
Le film ouvrait aussi sur l’opportunité de créer un nouveau paradigme de croissance, adapté aux besoins et enjeux du XXIe siècle. On entrerait ainsi dans l’ère de la post-croissance, formalisée par l’économiste britannique Tim Jackson. La sobriété, le partage des ressources, la coopération, seraient les moteurs de nouvelles formes d’économie. Et le rapport au travail serait pensé autrement.