Tout se joue à Cannes ?
Entretien avec Roxane Arnold, directrice de la distribution et de la programmation chez Pyramide Films. Elle a également dirigée le cinéma MK2 quai de Seine à Paris, pour elle "le plus beau cinéma du monde".
Vous travaillez désormais chez Pyramide…
Roxane Arnold : Oui, Pyramide est une société de cinéma indépendante qui s’occupe à la fois de vente internationale, de vidéo et de distribution. Je me charge de la distribution, c’est à dire des acquisitions : choisir les films que nous allons décider de sortir, soit sur scénario pour presque tous les films français, soit achevés dans les festivals pour ce qui concerne les films étrangers. Une fois le film acheté nous prenons en charge tout le marketing, l’affiche, la bande annonce, l’achat d’espace, la campagne média et l’accès aux salles.
R.A. : Pyramide est un distributeur art et essai indépendant, nous défendons nos coups de cœur et le cinéma d’auteur. Si nous lisons des scénarii de premiers films qui nous intéressent nous nous lançons dans l’aventure d’un premier film sur scénario, même si c’est une grosse prise de risque. Nous ne nous limitons pas en terme d’argent, mais nous nous demandons si le film nous plaît et si on peut gagner de l’argent avec.
Une esthétique ?
R.A. : Non pas d’esthétique particulière mais toujours des films d’auteurs portés par un vrai discours. Pyramide, il y a longtemps, vendait des comédies populaires, nous ne le faisons plus du tout aujourd’hui. Nous sortons nos films exclusivement dans des salles art et essai. La moitié est française, l’autre étrangère.
R.A. : Pour les distributeurs art et essais, les festivals ont une énorme importance, ne serait-ce que symbolique. On souhaite toujours un grand festival pour sortir un film. Pour les ventes internationales c’est essentiel, car pour lancer un film sur le marché, il faut un endroit où tous les distributeurs du monde entier soient réunis. Je parle évidemment pour les films d’auteurs, ce n’est pas nécessaire pour les comédies populaires.
Les festivals sont très importants pour la profession mais le public n’en n’a rien à faire de savoir que le film ait été présenté à Toronto, Locarno, Venise… Je défends Les Ogres de Léa Fehner, soutenu d’ailleurs par la Région Nouvelle-Aquitaine, qui est, objectivement, pour moi, le meilleur film qui ait été fait depuis cinq ans. Ce film pour une raison que je ne comprends toujours pas, n’a jamais été sélectionné dans les grands festivals. Quand je suis sortie de la première projection, je me suis dit : "On a un film en compétition à Cannes", j’étais sûre de moi ! Mais nous nous sommes fait déboutés de toutes les sélections. Je l’ai alors proposé à de plus petits festivals, et la première mondiale du film à eu lieu au festival d’Auch. Ça tombe bien je suis d’Auch !
Remporter des prix aide vraiment les films ?
R.A. : C’est avant tout symbolique et un signal vis à vis de la profession. Évidemment avoir des prix permet de mieux identifier un film auprès des journalistes et des exploitants. Vous pouvez espérez être regardé. Si vous consultez les catalogues des producteurs ou des distributeurs, les festivals où les films ont été présentés, ainsi que les prix obtenus, sont mis en avant, jamais les entrées…
Après nous avons un problème aujourd’hui, les journalistes ne voient plus les films. Par exemple ceux de Libération ne voient plus les films. Certes ils suivent les auteurs qui les intéressent, ils couvrent correctement Cannes et certains festivals, mais pour un film comme Les Ogres qui n’est pas dans les grands festivals, il est impossible de faire en sorte que les journalistes le voient.
Il y a une réalité à ne pas négliger quant à toutes ces questions que nous abordons ; c’est le rôle de Cannes qui aujourd’hui structure tout le cinéma français. Tout se décide à Cannes, la presse ne traite plus que des films qui ont été à Cannes, les partenariats France Inter pour un an se décident à Cannes… En revanche, cela ne veut pas du tout dire qu’il faut y être pour connaître le succès auprès du public, nombreux sont les exemples de films « cannois » qui n’ont pas fait d’entrées…
Cependant, le seul prix dont on peut vraiment dire qu’il ait une répercussion auprès du public, c’est la Palme d’Or, comme le Goncourt en littérature. Nous l’avons magistralement expérimenté avec le film d’ Apichatpong Weerasethakul que nous distribuions en 2010. Les gens sont allés voir le film parce que c’était la Palme d’or.
Que récompensent les prix alors et à quoi servent-ils ?
R.A. : Les jurys de festivals qui décernent un prix à un film le font avec beaucoup de sérieux, sans trop penser au public mais vraiment parce qu’ils l’aiment. Cette année nous avons remporté le prix d’interprétation féminine pour Ma' Rosa à Cannes. J’en suis très heureuse, il nous aide à axer notre communication et nous offre certainement un plus grand accès aux salles et à la presse. En vente internationale les prix servent à vendre plus cher, souvent d’ailleurs c’est déjà inscrit dans le contrat. Parfois les prix sont accompagnés d’argent, ce qui est très bien pour les réalisateurs. La réalisatrice des Ogres par exemple qui n’a rien eu à Venise, préfère peut-être les 30 000 euros qui accompagnaient le prix du public qu’elle a remporté à Rotterdam…