La bande dessinée pour libérer la parole
Organisé par le ministère de la Justice avec la Cité internationale de la bande dessinée d’Angoulême, le dispositif Bulles en fureur offre chaque année aux jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) l’opportunité de s’exprimer par la bande dessinée. Renforcées au niveau régional par ALCA et ses partenaires, ces actions s’accompagnent d’ateliers de création au contact d’auteurs néo-aquitains.
En cette année de la BD et alors que sa manifestation de restitution avait lieu jusqu’à présent à Rennes, l’opération nationale Bulles en fureur prend en 2020 et de manière pérenne ses quartiers à Angoulême. Pilotée par la Direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Sud Ouest1 (DIRPJJSO), en partenariat avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et la mairie d’Angoulême, Bulles en fureur, via la bande dessinée, a pour vocation d’encourager la lecture chez les enfants sous la responsabilité de la PJJ, dont certains sont en très grande difficulté.
Le principe de Bulles en fureur répond à celui d’un prix littéraire : une cinquantaine de bandes dessinées sont présélectionnées par un comité de pilotage. Six d’entre elles composent la sélection ados et six autres la sélection pré-ados. Les jeunes placés sous protection judiciaire, tant dans le secteur public que dans le secteur associatif habilité en milieux ouverts (Unité éducative de milieu ouvert – UEMO), en insertion (Unité éducative d’activité de jour), les jeunes des quartiers mineurs et placés sous main de justice (Centre éducatif fermé, Établissement de placement éducatif) sont sollicités pour lire ces bandes dessinées et élire un lauréat par catégorie. La remise du prix rassemble le temps d’une journée, désormais à Angoulême donc, les jeunes des milieux ouverts.
En s’appuyant sur ce projet national, ALCA a mis en œuvre un plan d’action autour de la bande dessinée à destination des mineurs incarcérés dans les établissements pénitentiaires de la région Nouvelle-Aquitaine. En partenariat avec la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse et avec le soutien du Centre national du livre, le projet a permis de développer les collections de bandes dessinées dans les bibliothèques des quartiers mineurs. Celles-ci souffrent en effet d’un sous-investissement lié à la priorisation des publics adultes dans les actions portées par les bibliothèques territoriales partenaires des établissements pénitentiaires. Près de deux cents albums ont donc été achetés en 20192 pour constituer une collection BD dans les quartiers mineurs d’Angoulême, Gradignan, Limoges et Pau.
"Accompagnés par un auteur de bande dessinée associé, les jeunes placés sous main de justice ont ainsi créé des bandes dessinées ou planches graphiques. Un travail axé à la fois sur la narration scénaristique, qui permet au jeune une expression orale en lien avec l’écriture, et sur l’expression plastique à travers le dessin."
Les jeunes placés sous main de justice dans ces quatre maisons d’arrêt ont également bénéficié d’ateliers de réalisation. Accompagnés sur cinq séances d’une demi-journée par un auteur de bande dessinée associé, ils ont ainsi créé des bandes dessinées ou planches graphiques. Un travail axé à la fois sur la narration scénaristique, qui permet au jeune une expression orale en lien avec l’écriture, et sur l’expression plastique à travers le dessin. "L’avantage de la BD, c’est que son processus de création permet de s’exprimer de plusieurs façons : on écrit, on dessine, on déclame des répliques comme au théâtre en travaillant sur l’intonation, on mime des attitudes lors de mises en scène ou de séances de pose pour croquis du corps en action", énumère le scénariste et dessinateur de bande dessinée Christian Barranger, qui a animé ces ateliers à la maison d’arrêt de Gradignan. Le graphiste Michaël Bettinelli, qui est intervenu dans celle de Limoges, partage le même constat sur les facilités d’expression qu’offre le médium BD : "La bande dessinée est un support sympa et varié qui parle à tout le monde. Une fois qu’on leur a montré des techniques de dessin simples et à leur portée, leurs complexes vis-à-vis du crayon s’évanouissent et les choses viennent toutes seules."
L’attractivité du support ne suffit pas pour autant à faire travailler dès la première séance des jeunes qui ont besoin de se sentir en confiance avec l’auteur, comme l’explique Rodolphe Lupano, qui a reçu le Prix du polar au FIBD 2014 pour Ma Révérence3 et qui a animé les ateliers dans la maison d’arrêt de Pau : "Pour les mettre en confiance, j’avais demandé à ce que tout le monde participe : les ados, moi-même mais aussi toutes les autres personnes présentes dans la pièce, encadrants et surveillants. En mettant tout le monde dans la même barque, l’effet a été plutôt positif chez certains jeunes, suscitant l’admiration des adultes et instaurant ainsi une dynamique de travail."
Au sein de la maison d’arrêt d’Angoulême, le dessinateur Cédric Fortier a fait de la liberté le maître-mot de ses interventions : "Je leur ai amené des albums pour s’inspirer et leur ai laissé champ libre au niveau du propos et du graphisme pour qu’ils racontent leurs histoires. Pour les rassurer, je leur ai expliqué que le dessin ne répond pas à une question de beau ou de bien, mais que la bande dessinée dépasse cela." Au terme de ces ateliers, quatre grandes affiches ont été réalisées avec les productions des jeunes et autour d’une planche de l’auteur qui est intervenu.
En plus de ces actions portées au niveau régional par ALCA et ses partenaires, les adolescents peuvent participer dans le cadre de Bulles en fureur au Prix Jeunes Créateurs. Ouvert à tous les jeunes en milieux ouverts, ce prix invite à la constitution de groupes de travail en ateliers qui ont lieu tout au long de l’année. Les participants, tous volontaires, travaillent sur un projet en lien avec l’une des thématiques des bandes dessinées sélectionnées et peuvent produire un dessin, un jeu, une installation… Ainsi, chaque année, un jury constitué de personnalités du monde de la bande dessinée et de l’image et des professionnels du ministère de la Justice récompensent la cohérence du lien entre la réalisation et la bande dessinée, l’esthétique et le soin apportés à la réalisation, l’originalité et la créativité, ainsi que l’intérêt et la mise en valeur de l’œuvre créée par son collectif de jeunes auteurs.
1La DIRPJJSO (Direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse du Sud-Ouest) dépend du ministère de la Justice.
2Avec le concours de la librairie bordelaise Krazy Kat, de Page et Plume à Limoges, de la librairie de la CIBDI, de Bachibouzouk à Pau et de plusieurs bibliothèques.
3Ma Révérence, de Ohazar/Rodolphe Lupano, éditions Delcourt, 2013.