Les manifestations littéraires face à la pandémie : dangers ou nouvelles possibilités de rencontre ?
Depuis la survenue du nouveau coronavirus, le risque d’annulation reste suspendu comme une épée de Damoclès au-dessus de l’ensemble des manifestations littéraires. Face à cette menace, tous les organisateurs font mention d’une rencontre à préserver à tout prix : celle des auteurs avec leur public. Alors comment permettre aux écrivains et illustrateurs de (sur)vivre en attendant des jours meilleurs ? Et quelle place pour le numérique dans le maintien de ces moments de partage ? Tour d’horizon des pistes explorées par quatre manifestations littéraires néo-aquitaines en temps de pandémie.
Faites des livres (Saint-Junien, 87)
"Tout était calé", annonce Gérard Halimi, le président de Faites des livres, festival de littérature jeunesse. La décision d’annuler l’édition 2020, initialement prévue les 5 et 6 juin, est prise par l’association avant même le mois de mars, au risque de s’éloigner du public pendant près de deux ans. Il faut se rappeler l’angoisse ambiante peu avant le confinement, c’est donc un soulagement pour l’équipe et les auteurs invités. Pour ces derniers, le soulagement est double : leur santé sera préservée – à court terme au moins –, ainsi que leurs finances. Le festival décide en effet de maintenir leur rémunération, en accord avec les treize partenaires publics et privés de l’événement – de La Sofia aux mairies de Saint-Junien et de Rochechouart, en passant par la Région, le Département de la Haute-Vienne ou encore l’imprimerie Maqprint qui, comme chaque année, a imprimé un recueil des textes produits par les élèves lors de la préparation des rencontres. Les deux mille exemplaires tirés du livre de 354 pages ont été distribués aux élèves à la rentrée 2020. En réalité, ce sont les librairies du territoire qui sont les plus impactées par l’annulation. Elles seront présentes l’année prochaine, tout comme – Gérard Halimi l’espère – les auteurs d’ores et déjà réinvités pour 2021. Car ce qui l’emporte sur tout le reste, ce sont les rencontres dans les classes. Entendez, le virtuel n’est pas une option. "L’écran n’a pas sa place dans la manière dont nous concevons la rencontre entre un enfant, un auteur et un livre." D’ici la prochaine édition prévue les 21 et 22 mai 2021, et afin d’éviter un trop long silence, toute l’équipe a organisé une semaine culturelle au mois de septembre, à l’occasion des journées de lutte contre l’illettrisme. Et Gérard Halimi de commenter : "Nous pensons aux enfants : ils sont privés de spectacles, de cinéma… Nous voulons leur permettre de garder le plaisir de la culture."
Festival du livre jeunesse en Loudunais (Loudun, 86)
Lucile Pain, coordinatrice du Festival du livre jeunesse en Loudunais, porte aussi ce regret de n’avoir pu créer ce lien fort avec les élèves, les auteures, les illustratrices et la maison d’édition invitées pour la deuxième édition de ce jeune festival. C’est la communauté de commune, porteuse du projet, qui décide d’annuler la dernière édition, initialement prévue du 13 au 16 mai 2020. Organisée en deux temps forts – les rencontres en médiathèque et le prix Renaudot des benjamins –, la moitié du programme est maintenue grâce aux outils numériques. Ainsi, quatre des cinq œuvres en lice pour le prix Renaudot des benjamins ont pu être envoyées aux élèves au format numérique ; la cinquième a été lue par l’auteure dans des vidéos. La lauréate Sophie de Müllenheim, entre autres, a même tenu des visioconférences avec certaines classes des écoles primaires pendant le confinement. Cela reste néanmoins un outil à utiliser avec parcimonie, rappelle Lucile Pain : "On peut se servir de ce média, mais pas remplacer les rencontres, parce qu’il y a une vraie fracture numérique sur notre territoire." D’autre part, s’il est possible d’imaginer des visioconférences avec des primaires, c’est impossible avec des maternelles, également engagées dans cet événement. Malgré tout, c’est environ un quart des enfants qui a pu maintenir un lien avec le festival grâce à ce média. En Loudunais aussi, que la rencontre ait été transformée ou non, les organisatrices ont fait le choix de rémunérer les intervenants grâce au maintien des subventions. L’espoir, aujourd’hui, c’est de pouvoir mettre en place le programme 2021, notamment une exposition prévue à la collégiale Sainte-Croix de Loudun : "Pour l’instant, les protocoles prévus par l’Éducation nationale nous permettent d’imaginer les rencontres telles qu’elles se sont déroulées en 2019 mais, s’il le faut, on fera des choses dans des espaces plus grands ou en extérieur." La capacité d’adaptation du festival et de l’équipe éprouvée cette année a permis de sauver la moitié du festival. Alors, à Loudun, la confiance l’emporte.
Les Rencontres de Chaminadour (Guéret, 23)
Pour Hugues Bachelot, coorganisateur des Rencontres de Chaminadour, la lecture apparaît comme une des réponses nécessaires à la crise sanitaire actuelle. Les Rencontres ont donc bien eu lieu du 17 au 20 septembre 2020. Quelques mois de recul ont permis à l’équipe de s’adapter pour convoquer, dans les circonstances actuelles, Virginia Woolf à travers le regard de Geneviève Brisac. Si l’organisation a été compliquée – en cause, l’éloignement des invités, qui résident souvent à Paris, et les décisions qui engendrent le flou : quand tenir les rencontres ? les tenir, seulement ? dans quelles conditions ? "À un moment, on nous a même demandé de décaler en décembre, puis en février… Il fallait jongler avec les disponibilités des intervenants. Tout était chamboulé." Finalement, c’est le maintien aux dates prévues, dans un format conforme aux règles de distanciations sociales qui est retenu : les rencontres avec un public masqué ont lieu avec "le cérémonial de la gouttelette dans le creux de la main", mais la partie destinée aux étudiants et aux lycéens, qui se déroule en amont des rencontres, elle, est annulée. Au total, ce sont pas moins de trois mille cinq cents entrées qui sont comptabilisées contre cinq mille deux cents l’année dernière, et il faut ajouter à ce chiffre un nouveau public : les personnes qui ont suivi les rencontres en Facebook live ou qui ont assisté aux rediffusions dans les bibliothèques, soit plus de six mille deux cents personnes. Cette décision de diffuser en live a été prise au dernier moment. "C’était sans enthousiasme. Chez nous, il y a une vraie dimension de partage quasi physique du savoir entre les auteurs et le public. Avec le numérique, cela s’estompe." Hugues Bachelot imagine que ces rencontres diffusées en bibliothèques pourraient être modérées par un animateur lors des prochaines éditions – une manière de préserver le précieux partage.
Un aller-retour dans le noir (Pau, 64)
À Pau, enfin, ce n’est pas une, mais deux crises qu’il faut affronter du 2 au 4 octobre 2020. Invitée surprise, la tempête Alex oblige l’ensemble du festival à se réfugier dans les halles et à la médiathèque, déplaçant toutes les rencontres au dernier moment. L’enthousiasme et la détermination règnent pourtant, avant le lancement des festivités : "Il faut que le salon ait lieu, d’après Stéphane Laborde, coorganisateur du festival. C’est une nécessité pour nous et c’est un acte militant." Les difficultés des auteurs sont également au centre des préoccupations : "Le Centre national du livre a augmenté sa subvention, tenant compte du fait que les auteurs ont moins de salons et donc moins de moyens de subsistance." La vingtaine d’auteurs invités cette année – contre trente habituellement – ont pu, notamment grâce à l’allongement de cette subvention, créer illustrations et textes sur le thème de "Je vous écris du monde d’après", rémunérés en droits d’auteur. Quand on évoque le numérique, Stéphane Laborde répond : "On privilégie le maintien de la rencontre jusqu’au bout." À l’heure du bilan, malgré une logistique très lourde (combien d’achats et d’annulations de billets pour assurer la venue des auteurs étrangers, avec les restrictions tombant en cascades des différents pays du monde ?), des imprévus d’ampleur et une pression énorme, c’est la satisfaction qui l’emporte : "On ne s’attendait pas du tout à ça. Les libraires ont vendu pour 70 % du chiffre qu’ils faisaient les années précédentes, malgré Alex, malgré le coronavirus […]. On a atteint les jauges maximales pour toutes les rencontres. On a même refusé du monde pour des débats avec Nicolas Mathieu ou Laurent Petitmangin." Une preuve, peut-être, de la soif de rencontre.