Lettres du monde invite l’interprofession autour des littératures traduites
À l'occasion de sa 15ème édition, le festival Lettres du monde et ALCA organisent le vendredi 16 novembre une journée d'étude sur les littératures traduites. Cécile Quintin, cofondatrice et directrice de Lettres du monde, et Coralie Grimand, directrice générale d’ALCA, évoquent ces littératures et la place centrale du traducteur dans la chaîne du livre.
Le vendredi 16 novembre débute la quinzième édition de Lettres du monde, festival porté par l’association bordelaise éponyme. Comment s’est construite cette manifestation et quels en sont les temps-forts cette année ?
Cécile Quintin : Le festival s’est construit sur une histoire déjà existante, celle d’une manifestation, le Carrefour des littératures, dirigée par Sylviane Sambor, et qui a travaillé pendant 17 années sur l’itinérance. Mais sur un champ littéraire assez cerné, axé sur le bassin méditerranéen. Cette structure s’est arrêtée en 2003 et, avec Olivier Desmettre – qui a quitté la structure en 2013 pour monter les éditions do, nous avons alors souhaité reprendre ce réseau bien ancré de libraires et bibliothécaires tout en y apportant notre touche, en ouvrant le champ littéraire avec des pays comme thématiques. Cette nouvelle entrée permet une offre à la fois littéraire mais plus largement culturelle. Lettres du monde s’est progressivement construit, d’abord à l’échelle de Bordeaux, puis celle de la métropole bordelaise, de l’Aquitaine et aujourd’hui de la Nouvelle-Aquitaine… La manifestation est celle qui offre la plus grande présence territoriale de la Nouvelle-Aquitaine et notre objectif est de continuer à nous développer.
Nous commençons cette quinzième édition par une avant-première avec Asli Erdogan, en débat avec le journaliste du Monde Philippe-Jean Catinchi à la librairie La Machine à Musique Lignerolles le jeudi 15 novembre à 18h30 [Asli Erdogan a annulé sa venue pour des raisons de santé, ndlr]. C’est pour nous un grand moment, après avoir participé à une soirée de soutien à La Machine à Lire avec d’autres partenaires quand elle était emprisonnée en Turquie. Le titre de cette édition - "Welcome" - est aussi une volonté de questionner l’exil, l’accueil… Le grand entretien avec Javier Cercas sera également un moment fort attendu, à l’instar du grand débat. Pour la deuxième année, nous réunissons des auteurs – mais pas que – sur un thème et dans un lieu qui ne sont pas a priori dédiés à la littérature : le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme sera le fil rouge d’une soirée qui se déroulera à la Cour d’appel de Bordeaux.
Lettres du monde et ALCA organisent en amont de l’inauguration une journée d’étude sur "les littératures traduites : édition et promotion". Pourquoi s’intéresser plus particulièrement à ces littératures traduites et leurs professionnels ?
C.Q. : Au regard des ventes de livres, il y a une profonde attente du lecteur de découvrir la littérature d’auteurs étrangers. Bien qu’il s’agisse essentiellement de l’américaine, d’autres littératures nous sont connues : l’espagnole et italienne notamment, par leur proximité géographique et culturelle. Mais comment aborder alors une littérature irakienne, yéménite ou argentine ? Quels moyens donne-t-on au lecteur de s’intéresser à ces écrits devant la profusion de publications ? C’est cette découverte improbable de cultures et de littératures qui constitue l’ADN du festival.
Coralie Grimand : Nous sommes dans une grande région qui croit beaucoup en la biodiversité et en particulier la biodiversité culturelle. La Région Nouvelle-Aquitaine affiche de manière très forte un soutien à la création et aux artistes, indépendants et qui viennent d’horizons divers. Cette richesse, qui est portée par l’autre, par l’étranger et sa littérature, est pour nous essentielle et développée de façon très singulière dans la proposition de Lettres du monde. L’accès à d’autres populations, à d’autres cultures, constitue une chance pour les publics néo-aquitains. L’offre itinérante de Lettres du monde est en cela précieuse, pour les populations mais aussi pour les auteurs. La littérature se construit en effet au contact de l’imaginaire de l’autre et la singularité des littératures étrangères nourrit ainsi la création en Nouvelle-Aquitaine. ALCA contribue également à ce mouvement en invitant des auteurs étrangers à venir créer ici, et en envoyant des auteurs à l’étranger dans des résidences avec lesquelles nous avons noué des partenariats. Le rayonnement de la filière néo-aquitaine passe nécessairement par ces échanges internationaux et ces contacts avec l’extérieur.
Cécile le mentionnait tout à l’heure : la littérature étrangère, c’est aussi une industrie qui représente 15 à 20 % de l’économie de l’édition en France. Elle fait travailler des éditeurs, des auteurs parmi lesquels des traducteurs. Nous avons la chance d’avoir en Nouvelle-Aquitaine de très belles maisons comme Mirobole, le Castor Astral ou Agullo, dont le catalogue fait la part belle à cette littérature.
Quelles formes revêt l’accompagnement porté aux traducteurs ?
C.G. : Nous sommes l’une des régions françaises qui prend le plus en compte la place du traducteur, centrale dans la chaîne du livre. Bien que les structures de soutien à l’économie du livre l’aient consolidé, le statut du traducteur est historiquement assez fragile en France. Leur nom n’apparaissait pas en couverture d’ouvrages traduits encore récemment. Nous les considérons bien sûr comme des auteurs à part entière, comme des passeurs essentiels.
L’accompagnement des traducteurs par ALCA s’exerce à plusieurs niveaux et est en cela plutôt unique. À travers d’abord l’aide à la création, à laquelle ils ont accès comme les autres auteurs. Il s’agit de bourses de traduction de la Région Nouvelle-Aquitaine. Mais aussi par des actions fléchées lors, par exemple, d’ateliers de traduction où nous leur donnons la possibilité d’entrer dans des programmes d’éducation artistique et culturelle. Ils assurent ainsi ce rôle de passeurs auprès des publics scolaires et bénéficient ainsi d’une autre source de rémunération au plus proche des jeunes générations qui, nous l’espérons, liront demain de la littérature traduite.
Cécile Quintin : Le festival s’est construit sur une histoire déjà existante, celle d’une manifestation, le Carrefour des littératures, dirigée par Sylviane Sambor, et qui a travaillé pendant 17 années sur l’itinérance. Mais sur un champ littéraire assez cerné, axé sur le bassin méditerranéen. Cette structure s’est arrêtée en 2003 et, avec Olivier Desmettre – qui a quitté la structure en 2013 pour monter les éditions do, nous avons alors souhaité reprendre ce réseau bien ancré de libraires et bibliothécaires tout en y apportant notre touche, en ouvrant le champ littéraire avec des pays comme thématiques. Cette nouvelle entrée permet une offre à la fois littéraire mais plus largement culturelle. Lettres du monde s’est progressivement construit, d’abord à l’échelle de Bordeaux, puis celle de la métropole bordelaise, de l’Aquitaine et aujourd’hui de la Nouvelle-Aquitaine… La manifestation est celle qui offre la plus grande présence territoriale de la Nouvelle-Aquitaine et notre objectif est de continuer à nous développer.
Nous commençons cette quinzième édition par une avant-première avec Asli Erdogan, en débat avec le journaliste du Monde Philippe-Jean Catinchi à la librairie La Machine à Musique Lignerolles le jeudi 15 novembre à 18h30 [Asli Erdogan a annulé sa venue pour des raisons de santé, ndlr]. C’est pour nous un grand moment, après avoir participé à une soirée de soutien à La Machine à Lire avec d’autres partenaires quand elle était emprisonnée en Turquie. Le titre de cette édition - "Welcome" - est aussi une volonté de questionner l’exil, l’accueil… Le grand entretien avec Javier Cercas sera également un moment fort attendu, à l’instar du grand débat. Pour la deuxième année, nous réunissons des auteurs – mais pas que – sur un thème et dans un lieu qui ne sont pas a priori dédiés à la littérature : le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme sera le fil rouge d’une soirée qui se déroulera à la Cour d’appel de Bordeaux.
Lettres du monde et ALCA organisent en amont de l’inauguration une journée d’étude sur "les littératures traduites : édition et promotion". Pourquoi s’intéresser plus particulièrement à ces littératures traduites et leurs professionnels ?
C.Q. : Au regard des ventes de livres, il y a une profonde attente du lecteur de découvrir la littérature d’auteurs étrangers. Bien qu’il s’agisse essentiellement de l’américaine, d’autres littératures nous sont connues : l’espagnole et italienne notamment, par leur proximité géographique et culturelle. Mais comment aborder alors une littérature irakienne, yéménite ou argentine ? Quels moyens donne-t-on au lecteur de s’intéresser à ces écrits devant la profusion de publications ? C’est cette découverte improbable de cultures et de littératures qui constitue l’ADN du festival.
Coralie Grimand : Nous sommes dans une grande région qui croit beaucoup en la biodiversité et en particulier la biodiversité culturelle. La Région Nouvelle-Aquitaine affiche de manière très forte un soutien à la création et aux artistes, indépendants et qui viennent d’horizons divers. Cette richesse, qui est portée par l’autre, par l’étranger et sa littérature, est pour nous essentielle et développée de façon très singulière dans la proposition de Lettres du monde. L’accès à d’autres populations, à d’autres cultures, constitue une chance pour les publics néo-aquitains. L’offre itinérante de Lettres du monde est en cela précieuse, pour les populations mais aussi pour les auteurs. La littérature se construit en effet au contact de l’imaginaire de l’autre et la singularité des littératures étrangères nourrit ainsi la création en Nouvelle-Aquitaine. ALCA contribue également à ce mouvement en invitant des auteurs étrangers à venir créer ici, et en envoyant des auteurs à l’étranger dans des résidences avec lesquelles nous avons noué des partenariats. Le rayonnement de la filière néo-aquitaine passe nécessairement par ces échanges internationaux et ces contacts avec l’extérieur.
Cécile le mentionnait tout à l’heure : la littérature étrangère, c’est aussi une industrie qui représente 15 à 20 % de l’économie de l’édition en France. Elle fait travailler des éditeurs, des auteurs parmi lesquels des traducteurs. Nous avons la chance d’avoir en Nouvelle-Aquitaine de très belles maisons comme Mirobole, le Castor Astral ou Agullo, dont le catalogue fait la part belle à cette littérature.
Quelles formes revêt l’accompagnement porté aux traducteurs ?
C.G. : Nous sommes l’une des régions françaises qui prend le plus en compte la place du traducteur, centrale dans la chaîne du livre. Bien que les structures de soutien à l’économie du livre l’aient consolidé, le statut du traducteur est historiquement assez fragile en France. Leur nom n’apparaissait pas en couverture d’ouvrages traduits encore récemment. Nous les considérons bien sûr comme des auteurs à part entière, comme des passeurs essentiels.
L’accompagnement des traducteurs par ALCA s’exerce à plusieurs niveaux et est en cela plutôt unique. À travers d’abord l’aide à la création, à laquelle ils ont accès comme les autres auteurs. Il s’agit de bourses de traduction de la Région Nouvelle-Aquitaine. Mais aussi par des actions fléchées lors, par exemple, d’ateliers de traduction où nous leur donnons la possibilité d’entrer dans des programmes d’éducation artistique et culturelle. Ils assurent ainsi ce rôle de passeurs auprès des publics scolaires et bénéficient ainsi d’une autre source de rémunération au plus proche des jeunes générations qui, nous l’espérons, liront demain de la littérature traduite.
"Dès la première édition de Lettres du monde, nous avons fait le choix d’inviter les traducteurs de quelques auteurs invités."
Le contrat de filière « Livre en Nouvelle-Aquitaine », porté par le l’État, le CNL et la Région, prévoit aussi des dispositifs d’accompagnement comme le compagnonnage qui permettent à des traducteurs d’être accompagnés et accueillis dans des lieux très différents : une médiathèque, un EHPAD, un tiers-lieux… Le dernier "étage" de ce dispositif sont les résidences d’écriture dédiées aux traducteurs. Au Chalet Mauriac qui accueille le long de l’année deux résidences de traduction, et à la Prévôté qui accueille également des traducteurs étrangers.
C.Q. : Les festivals constituent aussi une forme d’accompagnement des traducteurs. Dès la première édition de Lettres du monde, nous avons fait le choix d’inviter les traducteurs de quelques auteurs invités. Nous nous sommes rendus compte de l’intérêt du public sur cette question du passage entre le texte original et la traduction en français. Habitués à rester en retrait, les traducteurs sont souvent étonnés que nous les invitions. Nous avions organisé il y a quelques années, en lien avec l’ATLF, un temps professionnel qui leur était dédié et qui abordait notamment des questions juridiques et sociales. Le contenu, très riche, de la journée d’étude de ce vendredi 16 novembre vise aussi à accompagner nos traducteurs et plus largement les professionnels qui travaillent la littérature étrangère.
Matías Battistón, traducteur argentin accueilli jusqu’à la mi-décembre à la Prévôté de Bordeaux, intervient ce 16 novembre lors d’une table ronde consacrée à la création…
C.G. : Matías Battistón, traducteur argentin que nous accueillons pour deux mois, est invité à participer au festival Lettres du monde. Il traduit en espagnol Journal, le roman d’Édouard Levé paru aux éditions P.O.L. Nous essayons, à l’image de Lettres du monde, de mailler cette population de traducteurs à la filière de l’édition, aux organisateurs d’événements, aux lecteurs et aux futurs lecteurs, pour faire vivre la filière du livre en Nouvelle-Aquitaine.
C.Q. : Les festivals constituent aussi une forme d’accompagnement des traducteurs. Dès la première édition de Lettres du monde, nous avons fait le choix d’inviter les traducteurs de quelques auteurs invités. Nous nous sommes rendus compte de l’intérêt du public sur cette question du passage entre le texte original et la traduction en français. Habitués à rester en retrait, les traducteurs sont souvent étonnés que nous les invitions. Nous avions organisé il y a quelques années, en lien avec l’ATLF, un temps professionnel qui leur était dédié et qui abordait notamment des questions juridiques et sociales. Le contenu, très riche, de la journée d’étude de ce vendredi 16 novembre vise aussi à accompagner nos traducteurs et plus largement les professionnels qui travaillent la littérature étrangère.
Matías Battistón, traducteur argentin accueilli jusqu’à la mi-décembre à la Prévôté de Bordeaux, intervient ce 16 novembre lors d’une table ronde consacrée à la création…
C.G. : Matías Battistón, traducteur argentin que nous accueillons pour deux mois, est invité à participer au festival Lettres du monde. Il traduit en espagnol Journal, le roman d’Édouard Levé paru aux éditions P.O.L. Nous essayons, à l’image de Lettres du monde, de mailler cette population de traducteurs à la filière de l’édition, aux organisateurs d’événements, aux lecteurs et aux futurs lecteurs, pour faire vivre la filière du livre en Nouvelle-Aquitaine.
"Il faut nourrir ces gens-là, les accompagner en leur donnant des pistes et des réflexions de travail pour faire découvrir aux lecteurs la littérature étrangère."
C.Q. : Il nous expliquera ce que lui apporte cette résidence proposée par ALCA. Nous ne faisons, à Lettres du monde, qu’inviter les auteurs et non les accueillir sur un dispositif de création. Je suis ravie de travailler avec ces résidents et convaincue que nous pourrions les intégrer dans notre programmation en faisant de véritables interventions. Nous accueillons également deux auteurs argentins, Elsa Osorio [accueillie en résidence de création à la Prévôté en 2011, ndlr] et Miguel A. Seman, et nous faciliterons évidemment leurs échanges avec Matías Battistón.
Consacrer une journée d’étude sur les littératures traduites à destination des professionnels n’est pas une pratique courante pour un festival littéraire. Au-delà de répondre à des besoins forts exprimés par la filière, s’agit-il aussi de marquer le positionnement du festival ?
C.Q. : Complètement. Lettres du monde n’existe que par l’implication des professionnels et de nos nombreux partenaires. Il faut nourrir ces gens-là, les accompagner en leur donnant des pistes et des réflexions de travail pour faire découvrir aux lecteurs la littérature étrangère. Je pense notamment aux bibliothécaires qui peuvent assez facilement valoriser la rencontre avec un auteur et accroître la part de la littérature étrangère dans leurs fonds. Le rôle de Lettres du monde consiste fondamentalement à associer tous nos acteurs de la chaîne du livre pour diffuser dans les meilleures conditions cette littérature.
Consacrer une journée d’étude sur les littératures traduites à destination des professionnels n’est pas une pratique courante pour un festival littéraire. Au-delà de répondre à des besoins forts exprimés par la filière, s’agit-il aussi de marquer le positionnement du festival ?
C.Q. : Complètement. Lettres du monde n’existe que par l’implication des professionnels et de nos nombreux partenaires. Il faut nourrir ces gens-là, les accompagner en leur donnant des pistes et des réflexions de travail pour faire découvrir aux lecteurs la littérature étrangère. Je pense notamment aux bibliothécaires qui peuvent assez facilement valoriser la rencontre avec un auteur et accroître la part de la littérature étrangère dans leurs fonds. Le rôle de Lettres du monde consiste fondamentalement à associer tous nos acteurs de la chaîne du livre pour diffuser dans les meilleures conditions cette littérature.