La Maison de la poésie à Bordeaux ouvre ses portes, en grand !
Ouvrir grand les portes d’une maison sans mur, voilà l’ambition toute poétique d’une équipe de passionnés. Ils et elles sont neuf éditeurs, libraires, bibliothécaires et enseignants à s’être associés pour donner naissance à la Maison de la poésie de Bordeaux. Le 8 avril prochain, dans le cadre de l’Escale du livre, la jeune association présidée par Patrice Luchet proposera son premier événement au public.
La transmission au cœur
Les clichés sur la poésie, Patrice Luchet les connaît bien : "On a la vision d’une langue qui serait inaccessible, cette image du poète inspiré, loin du monde… En réalité, écrire c’est du temps de travail, des efforts, des réussites, des échecs, des nouvelles tentatives. Comme n’importe quel autre métier." Et quelle que soit sa casquette du jour – professeur de français, latin et grec en collège, poète ou président de la Maison de la poésie –, il bat en brèche ces idées reçues. Il a la transmission au cœur et c’est une valeur cardinale qu’on retrouve dans les actions de l’association fondée il y a tout juste six mois.
Pour la Maison de la poésie, l’oralité est le mode de transmission privilégié des textes : "Faire une lecture à voix haute permet d’interpeller des enfants – même tout petits ! – et n’importe qui, par le rythme et les sonorités. Tout un chacun surpasse ainsi la peur d’ouvrir un livre de poésie", explique Patrice Luchet.
La patte de la Maison
Pour faire entendre les mots, l’association prévoit d’organiser un événement par trimestre, toujours sur le même mode : ateliers d’écriture avec un poète invité pendant une semaine ; soirée de restitution des ateliers avec des temps de lecture par l’auteur ou l’autrice invitée ; puis d’autres lectures, en collaboration avec des dessinateurs, dessinatrices, plasticiens, plasticiennes, vidéastes ; et, pour finir, une lecture en musique.
"Présenter la restitution des ateliers d’écriture au début de nos rencontres, c’est pour nous un vrai choix politique et social", affirme le président de l’association. Lors du lancement de la Maison, le 8 avril prochain à l’atelier du conservatoire de Bordeaux, ce seront les élèves de l’école Anatole-France – qui participent actuellement à des ateliers sur le thème de la mémoire visuelle et du souvenir avec le poète Nicolas Tardy – qui ouvriront le bal. Puis Nicolas Tardy proposera, dans un second temps donc, une lecture de certains de ses textes.
Ensuite, viendra le temps des croisements entre les pratiques artistiques, différentes manières de traduire le monde. Car s’il faut faire entendre la poésie pour l’arracher à ses clichés, il faut aussi la donner à voir. Fanny Chiarello lira ainsi à voix haute ses textes accompagnée d’une projection de photos prises lors de ses trajets à vélo retracés dans son livre. Et, pour finir, la Maison de la poésie proposera, comme elle le fera pour chaque rencontre, une lecture concert du duo Emanuel Campo (textes) et Éric Pifeteau (musique). Ces cocréations doivent faciliter le premier abord du texte poétique et permettre de toucher un plus large public.
La Maison de la poésie n’affiche pas l’ambition de transmettre un "art noble" au plus grand nombre, non. Il s’agit bien plutôt de proposer un art "comme un autre" – qui nous déplace, nous aide à avancer, réfléchir, imaginer et, parfois simplement aussi, nous divertisse : "Nous voulons faire en sorte que l’idée d’aller écouter de la poésie soit commune, comme celle de se rendre au cinéma", confirme Patrice Luchet.
Aller vers les autres
Mais avant que le public se rende à la Maison de la poésie, c’est elle qui ira à lui. Pas d’adresse unique, à ce jour – pour des raisons évidentes de moyens nécessaires pour investir un lieu à Bordeaux. Elle sera d’abord mobile, s’incarnant au gré des collaborations. "Ce n’est pas le bâti qui importe, mais bien le fait d’habiter", rappelle Patrice Luchet. Offrir une présence, un regard, des mots, une attention à l’autre, quelle que soit sa couleur de peau, son origine sociale, le niveau de sa fortune ou de sa renommée. "L’idée c’est d’aller vers les autres", résume le président.
Cet été, l’association proposera par exemple des actions auprès des jeunes qui ne partent pas en vacances, dans le quartier de Bacalan. Et d’autres partenariats, nombreux, existent déjà : avec l’Escale du livre, en ce moment-même, puis avec le festival Chahuts, au mois de juin. En septembre, on retrouvera la Maison au Festival Gribouillis.
La Maison de la poésie souhaite aussi intervenir dans les entreprises : "L’idée, c’est de créer du lien social à des endroits où il n’y en a pas et de faire découvrir la poésie. Nous imaginons très bien qu’Auchan Mériadeck nous accueille trois heures par semaine pour un atelier d’écriture avec dix ou quinze personnes, des veilleurs de nuit, des managers, des caissières… On organiserait un temps de restitution avec leurs familles." La Maison pourra proposer des actions au sein des établissements scolaires : "Amener la poésie dans les classes, j’y crois à fond !", souligne l’enseignant. Dans la Maison de la poésie idéale, il y aurait aussi un espace documentaire, qui pourrait proposer des textes indisponibles dans le fonds des bibliothèques de Bordeaux, et qui pourrait valoriser le fonds existant.
C’est en devenant un partenaire fidèle d’événements déjà existants à Bordeaux, que l’équipe, entièrement bénévole, pose les premières pierres de la Maison. Petit à petit, de lien en lien, la Maison espère ainsi déployer son action sur la métropole et la région et intégrer le réseau des Maisons de la poésie en France.
Soutenir une diversité de plumes
Un engagement évident et primordial pour l’association est celui de rémunérer les auteurs et autrices selon les grilles tarifaires du CNL. "En poésie, les ventes de livre ne permettent pas de vivre. Ce sont les résidences et les lectures qui rémunèrent. Pour l’instant, tout l’argent récolté sera reversé aux poètes et poétesses invitées", assure Patrice Luchet.
Affirmer la volonté de rémunérer les auteurs et autrices, c’est aussi soutenir l’émergence de jeunes plumes. Dans cette optique, un financement participatif a été lancé qui affiche à ce jour près de 4 500 € versés par plus de quatre-vingt-dix personnes : "Pour un projet autour de la poésie, c’est énorme !", s’enthousiasme son porteur. Plus tard, il faudra lever des subventions, pour pérenniser et multiplier les ateliers et les rencontres, ou encore salarier une équipe.
"Tout le monde est prêt à ce que ça devienne une grosse machine. Je reçois des mails quotidiennement de personnes qui me demandent comment soutenir la Maison", se félicite le président. Mais l’objectif du moment est le 8 avril, avec un seul vœu : remplir la salle de l’atelier du Conservatoire, c’est-à-dire mobiliser cent-cinquante personnes autour d’une lecture de poésie.
"Monter des projets liés à la poésie, c’est monter des projets en lien avec la société. Je ne sais pas si ça peut changer les choses, mais les formes du langage, peu importe leur genre, parlent de nous, de ce qui fonctionne ou dysfonctionne dans notre monde. La poésie dit des choses", conclut Patrice Luchet. Alors pour écouter activement ce que la poésie a à nous dire, pour créer du lien, mais aussi juste pour le plaisir, rendez-vous le 8 avril dans la salle de l’atelier du Conservatoire et sur la plateforme de financement participatif Helloasso.