Gleeph et MyBlio : offrir une seconde vie à sa bibliothèque
Gleeph et MyBlio, deux applications néo-aquitaines de bibliothèque en ligne, invitent à repenser le rapport au livre en l'inscrivant dans une logique qui se veut collaborative et davantage écologique.
Si le numérique pollue, il peut, selon ses usages, limiter la consommation et donc la production, y compris dans le monde du livre. Créées respectivement en 2015 et 2019, MyBlio et Gleeph sont deux applications qui, depuis la Nouvelle-Aquitaine, partagent des ambitions communes : faire se rapprocher des utilisateurs et des utilisatrices en leur permettant de gérer leur bibliothèque de manière coopérative, organiser les prêts de leurs livres et les noter afin d’obtenir des recommandations personnalisées de prochaines lectures. Ces échanges de livres ou autour de livres offrent ainsi une deuxième vie aux ouvrages.
Gleeph rassemble aujourd'hui un demi-million d'utilisateurs. Un chiffre considérable pour l'application qui a vu le jour en 2019 à La Rochelle (17), à la suite d'un voyage à Kinshasa de son fondateur, Guillaume Debaig. Dans la capitale de la République démocratique du Congo, où l’accès aux librairies reste encore difficile, il s'est rendu compte de l'importance de liens créés spontanément autour des livres : "Quand je partais en déplacement à Paris, il n'était pas rare qu'on me demande de ramener des ouvrages pour qu'on puisse se les prêter dans Kinshasa à mon retour."
Même s'il considère le livre papier comme "l’objet technologique le plus abouti", Guillaume Debaig s'est demandé si "les réseaux sociaux ne pouvaient pas sublimer sa dimension sociale et démultiplier les espaces de rassemblement". Aujourd'hui, Gleeph permet à ses usagers de renseigner leur bibliothèque tout en leur donnant la possibilité de la partager à un grand nombre d'utilisateurs et d'utilisatrices, et tout cela de manière intuitive. Son écosystème permet en effet de passer d'ouvrage en ouvrage, de profil à profil, et le livre se voit finalement comme un prétexte, un substrat aux relations entre les personnes.
Comptant désormais plus de 30 000 références dans sa base de données, MyBlio a été pour sa part fondée en 2015. L'application a connu une première version développée par un service informatique bordelais, Yaal, après que le fondateur Justin Staple et ses associés ont pris conscience qu’à force de prêter leurs livres, beaucoup se perdaient. C’est de là qu’est né le projet Livres de Proches, qui deviendra MyBlio en mars 2022. Ce service gratuit permet de faciliter le prêt, le suivi et le retour de livres dans la bibliothèque des visiteurs et visiteuses de l’application. Une réelle "bibliothèque participative" qui rassemble désormais plus de 33 000 usagers.
Faire vivre sa bibliothèque en y intégrant des pratiques par définition écologiques est donc possible. "Le plus important est de permettre aux utilisateurs et utilisatrices de profiter de l’existant", avance Justin Staple. En effet, en renseignant leurs ouvrages via une bibliothèque visible par d'autres personnes, celles-ci peuvent échanger autour des livres et se les prêter dans la vraie vie. Cela permet aux ouvrages de passer de main en main dans un circuit court et de limiter la consommation, et donc la production. Finalement, prêter ses livres, c’est ne pas produire.
"Depuis la création de l’application, de nombreux groupes se sont constitués. Groupes de quartiers, d’amis, d’entreprises ou tout simplement d’inconnus ayant des intérêts communs en littérature ou autres genres."
"On veut permettre aux gens de vivre leur bibliothèque autrement et surtout de la vivre dans le partage”, abonde Guillaume Debaig. Et il ne croit pas si bien dire : depuis la création de l’application, de nombreux groupes se sont constitués. Groupes de quartiers, d’amis, d’entreprises ou tout simplement d’inconnus ayant des intérêts communs en littérature ou autres genres. Toutes ces personnes y découvrent une nouvelle façon d’échanger autour des livres, l’interface de l’application étant pensée pour les présenter comme sur une table de librairie. Les visiteurs et visiteuses peuvent donc prolonger ce même plaisir qu’ils ont à errer en magasin.
Gleeph est donc un outil de découvrabilité, façonné par une technologie avancée : "L'algorithme ne va pas seulement conseiller des livres de Paul Auster parce que l'utilisateur ou l'utilisatrice a renseigné ses préférences pour cet écrivain. Cela va plus loin que ça, notamment grâce aux thèmes des livres ou encore ce que les autres lecteurs et lectrices de Paul Auster ont dans leur bibliothèque". Les personnes se retrouvent autour d’atomes communs dans leurs lectures, et il n’est pas rare que beaucoup d’entre elles se rencontrent dans la vraie vie pour se prêter des livres et échanger autour de leurs lectures.
Les utilisateurs et utilisatrices de Gleeph et MyBlio se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers : ce ne sont pas moins de 23 millions de livres qui ont été ajoutés à Gleeph depuis son lancement, et plus de 30 000 qui sont ajoutés chaque jour dans les bibliothèques de chacun et chacune. Bien que leur utilisation soit d’abord pensée pour les particuliers, les professionnels du livre y trouvent aussi leur compte : c’est le cas de la librairie Le Divan, à Paris, qui a intégré une version de Gleeph à ses conseils aux clients et clientes. Les recommandations de cet algorithme viennent enrichir le service sur le site Internet de la librairie. Le changement est "flagrant" pour Béatrice Madrid, chargée de projets communication pour les établissements Gallimard : "Le temps consacré par un utilisateur ou une utilisatrice sur le site du Divan est passé de 3 à 8 minutes depuis que nous avons intégré les recommandations de Gleeph aux fiches livre". Les avantages ne sont pas que commerciaux pour la librairie mais répondent aussi à une logique écologique, celle de limiter les données stockées dans les serveurs en réutilisant ce qui est déjà présent sur son site marchand.
À l'instar de Gleeph, MyBlio a su s'exporter hors du territoire français : Justin Staple se dit ravi de voir parmi ses utilisateurs et utilisatrices des groupes d’expatriés au Canada, qui se sont rencontrés sur son application autour de livres et d’intérêts communs. Tout en prévoyant de nouveaux développements à leurs outils, les fondateurs de MyBlio et Gleeph ont déjà rempli la principale mission qu’ils se sont donnée : faire lire et rapprocher les lecteurs et les lectrices.