Chafouine
Avec Chafouine, sélectionné parmi les cinq ouvrages en lice pour la neuvième édition de La Voix des lecteurs, Alain Galan livre un récit qui rend le fantastique convaincant et fascinant sur un monde animal qui nous échappe.
Chafouin(e) : nom et adjectif, 1611, putois, de chat et fouin, masculin de fouine, - air ou figure chafouine : personne qui a une mine sournoise, rusée.
On est loin de l’usage courant du mot qui associe l’air chafouin à une mine chagrine, à un esprit grognon. C’est en effet à l’animal qu’Alain Galan, en amoureux de la nature et des mots, confie le soin d’éveiller notre curiosité. Il garde aussi de l’adjectif le côté rusé dans ce livre qui réserve bien des surprises. La citation de Buffon en incipit nous prévient : "…Il faut ne rien voir d’impossible, s’attendre à tout…".
Tout commence dans la lumière indécise d’un matin d’octobre. André Delhot, naturaliste amateur, en observant une souche dans le lit d’une rivière, s’aperçoit que celle-ci s’avère être un animal étrange, une sorte de chat affublé d’une tête de chouette, vite baptisé "la souche" et rattaché à l’ordre des félidés…faute de lui trouver sa place dans l’ordre animal, "un chat qui, par sa seule présence, dérangeait le grand ordonnancement." Cette rencontre sera suivie d’autres ainsi que nous l’apprendrons grâce au narrateur, un écrivain, journaliste, lui-même embarqué dans la rédaction d’une biographie d’Étienne de Silhouette, né à Limoges et connu pour ses portraits en ombre chinoise.
Alain Galan, rusé et espiègle, se plait à construire un labyrinthe d’hypothèses (Qui est André Delhot ?, la "souche" est-elle un chat sauvage ? un blaireau, une genette ?) et de conjectures ( Delhot ?, anagramme de André Dhôtel, écrivain et poète, conteur du merveilleux et de la nature). Jusqu’au narrateur qui en vient à penser "qu’une chatte elle-même n’y retrouverait pas ses petits !" et que "du chat de gouttière au lion de la savane, n’y a-t-il pas une place pour un chat à tête de chouette ?". Ce chat-fouine ou chat-chouette serait un peu l’ornithorynque du Limousin, mais existe-t-il vraiment ? Ne serait-il pas le fruit d’illusions, notre imagination et nos yeux mélangeant parfois rêve et réalité, comme en témoigne Mélie, attachante et originale centenaire, agrégée de lettres classiques et réfugiée au fond des bois.
Chemin faisant, nous parcourons faune et flore d’un monde merveilleux et enchanteur. L’art d’Alain Galan tient dans cette lecture-écriture objective et réflexive du récit qui rend le fantastique convaincant et fascinant. On se laisse séduire par son discours élégant et ses variations animalières dont les rebondissements sont autant d’occasions de remettre en cause notre vision des choses. Cette déambulation dans l’imaginaire est aussi un cheminement dans un bestiaire menacé, bien réel celui-ci. Comme nous le rappelle Tommy, l’ami britannique installé dans la région et à la reconquête de son passé médiéval :
"Même les paysans autour de chez moi ne savent plus faire la distinction entre une martre et une fouine, une genette et une belette, une hermine ou un putois, une loutre et un rat musqué. Qu’est-ce qu’on leur apprend à l’école aux petits froggies ?"
Il y a là tout un monde animal qui nous échappe et dont nous avons perdu les clefs. Il se glisse dans la lecture une mélancolie devant ce regard sur une campagne qui peine à préserver son environnement, sa mémoire, ses acteurs (l’image du garde-chasse ou du facteur !) et ses mots, nommant bêtes, plantes et lieux. Car Alain Galan sait l’importance des mots, des noms de lieux, de l’histoire qu’ils véhiculent. C’est toute une cartographie et un patrimoine qu’il déploie devant nos yeux, comme pour nous tendre un miroir où nous reconnaître. En semblant passer du coq à l’âne, l’air de rien, il brosse un tableau complet d’une nature et d’un milieu qu’il connaît comme sa poche et dont la mémoire disparaît de nos vies urbaines.
L’humour, la poésie et la légèreté n’en sont pas moins présents dans cet éloge de la biodiversité, du merveilleux, de l’imaginaire et… de l’écriture. C’est en tissant les interrogations du narrateur et celles de Delhot qu’il nous laisse entrevoir les méandres de la création littéraire. De commentaire en digression, il met en abîme le regard du créateur et du lecteur. Ce livre dans le livre nous ouvre les portes de la réflexion sur document et fiction, imaginaire et réel, invention et vérité. L’art de l’ombre chinoise des portraits découpés de Monsieur de Silhouette est ici une belle allégorie de la magie de l’écriture romanesque.
Par ce "clin d’œil fraternel et complice" à André Dhôtel, Alain Galan rend hommage à une littérature dans laquelle l’homme et la nature sont en symbiose. Enfin, on ne peut manquer d’évoquer le fait qu’Alain Galan a longtemps travaillé comme journaliste à La Montagne. Les fameuses chroniques d’Alexandre Vialatte pour ce journal ont sans doute nourri son inspiration. Le bestiaire de Vialatte ne mentionne pas la fouine, mais les chats y sont bien présents :
"Les chats sont de sales bestioles qui lacèrent les fauteuils et font pipi au milieu des salons, après quoi ils vont s'établir sur les genoux d'une dame respectable, une présidente de confrérie, une grand-mère de parents d'élèves, une lauréate de jeux floraux infiniment maigre et savante."
On sait à quel point Vialatte était fasciné par les animaux et leur comportement, gageons qu’il aurait sans doute apprécié ce vif récit, documenté et inventif.
Chafouine, d'Alain Galan
Éditions Buchet-Chastel
192 pages
janvier 2018
14 euros