La voix d'Élie Treese
Derrière la blancheur des façades de la belle ville de Saintes, à l’abri de la luminosité du dehors, Élie Treese cherche inlassablement à son bureau. Il mâche, mûrit, pèse chacun de ses mots. Les mots d’un écrivain discret et d’un enseignant de français exigeant. Deux pratiques qui rythment ses journées, s’interpénètrent, se nourrissent l’une de l’autre, tout en lui laissant encore le temps d’évoquer avec nous la grande affaire de sa vie : la lecture et l’écriture.
Vous souvenez-vous comment vous avez rencontré la lecture ?
Élie Treese : La rencontre a été plutôt tardive. J’ai grandi à la campagne, dans un petit hameau de Dordogne où ma vie d’enfant était faite avant tout de cabanes dans les arbres, de balades en forêt ou de parties de pêche. C’est au lycée que j’ai réellement commencé à lire, même si auparavant ma mère ou mon beau-père m’avaient mis quelques livres dans les mains. Je me rappelle très bien un enseignant, un peu excentrique mais passionnant, qui nous a fait étudier Les Mémoires d’outre-tombe. La plume de Chateaubriand, et plus tard celle de Proust m’ont immédiatement fasciné. Je crois notamment grâce au commentaire conjoint de ces textes. Les analyser dans le détail, examiner leur structure, en relever la facture m’a fait accéder à leur beauté. Je me souviens par exemple chez Proust de cet extrait où il parle du porche de l’église de Combray, des angles arrondis au fil des siècles par les manteaux des paysannes venant à l’office. Ce passage, cette image, reste encore très clair en moi des années après.
Cela signifie-t-il que vous êtes entré en lecture avant tout par goût de la forme ?
E.T. : Je ne parlerais pas de forme, mais plutôt d’écriture. La distinction entre forme et fond me semble à la fois restrictive et obsolète. Ce qui m’intéresse avant tout — et fait jonction entre les deux — c’est l’écriture. L’écriture est une totalité. C’est à la fois un imaginaire, un monde, et de manière indissociable un style qui porte ce monde. L’écriture a fondé mon goût pour la littérature. J’ai tout de suite compris qu’elle renfermait quelque chose d’inépuisable. Tous les textes qui m’ont parlé à l’adolescence et me parlent encore aujourd’hui — parfois de façon bien différente —, je sais qu’ils continueront à me parler dans des années.
L’envie de lire et celle d’écrire sont-elles nées du coup dans le même temps ?
E.T. : Je pense effectivement. Ce mystère de l’écriture, ce que l’on peut trouver dans un grand texte, un texte qui a une ampleur, une profondeur significative, j’ai assez vite essayé de le reproduire — même si c’était alors avec la maladresse et la naïveté d’un enfant de seize ans.
Trente ans plus tard, j’ai l’impression d’avoir un peu avancé dans cette recherche, même si en vérité le mystère demeure entier.
Élie Treese : La rencontre a été plutôt tardive. J’ai grandi à la campagne, dans un petit hameau de Dordogne où ma vie d’enfant était faite avant tout de cabanes dans les arbres, de balades en forêt ou de parties de pêche. C’est au lycée que j’ai réellement commencé à lire, même si auparavant ma mère ou mon beau-père m’avaient mis quelques livres dans les mains. Je me rappelle très bien un enseignant, un peu excentrique mais passionnant, qui nous a fait étudier Les Mémoires d’outre-tombe. La plume de Chateaubriand, et plus tard celle de Proust m’ont immédiatement fasciné. Je crois notamment grâce au commentaire conjoint de ces textes. Les analyser dans le détail, examiner leur structure, en relever la facture m’a fait accéder à leur beauté. Je me souviens par exemple chez Proust de cet extrait où il parle du porche de l’église de Combray, des angles arrondis au fil des siècles par les manteaux des paysannes venant à l’office. Ce passage, cette image, reste encore très clair en moi des années après.
Cela signifie-t-il que vous êtes entré en lecture avant tout par goût de la forme ?
E.T. : Je ne parlerais pas de forme, mais plutôt d’écriture. La distinction entre forme et fond me semble à la fois restrictive et obsolète. Ce qui m’intéresse avant tout — et fait jonction entre les deux — c’est l’écriture. L’écriture est une totalité. C’est à la fois un imaginaire, un monde, et de manière indissociable un style qui porte ce monde. L’écriture a fondé mon goût pour la littérature. J’ai tout de suite compris qu’elle renfermait quelque chose d’inépuisable. Tous les textes qui m’ont parlé à l’adolescence et me parlent encore aujourd’hui — parfois de façon bien différente —, je sais qu’ils continueront à me parler dans des années.
L’envie de lire et celle d’écrire sont-elles nées du coup dans le même temps ?
E.T. : Je pense effectivement. Ce mystère de l’écriture, ce que l’on peut trouver dans un grand texte, un texte qui a une ampleur, une profondeur significative, j’ai assez vite essayé de le reproduire — même si c’était alors avec la maladresse et la naïveté d’un enfant de seize ans.
Trente ans plus tard, j’ai l’impression d’avoir un peu avancé dans cette recherche, même si en vérité le mystère demeure entier.
"J’avoue toutefois ne pas lire très régulièrement de littérature française actuelle."
Étant de culture américaine par votre père, comment naviguez-vous entre littérature française et production d’outre-Atlantique ?
E.T. : Je me nourris des deux. Ce sont, je pense, deux manières diamétralement opposées d’écrire. Entre Julien Gracq et Bukowski, il y a un océan. En France, la littérature est très réfléchie et réflexive. On pense à Proust et à la construction sinueuse, architecturale de son oeuvre. Ici, on cherche à tout dire, tout conceptualiser. À l’inverse, si l’on regarde ce qui se fait aux États-Unis, la densité de l’écriture s’affirme plutôt à travers l’art de peindre la vie de personnages, une façon de les regarder d’abord exister, agir.
J’avoue toutefois ne pas lire très régulièrement de littérature française actuelle, j’ai du mal à trouver dans la production du moment ce que je recherche, à savoir des livres qui me font à un moment lever la tête, font jaillir des impressions, des sentiments ou des questions extrêmement diverses. Je déniche néanmoins parfois de vraies trouvailles, comme La Grande Idée de Anton Beraber ou Mourir et puis sauter de son cheval de David Bosc qui m’ont, chacun à leur façon, fortement impressionné ces derniers temps. Peut-être que la littérature américaine contemporaine est moins avant-gardiste, plus ancrée dans une tradition forte du récit et du roman. On s’y sent du coup en terrain familier, d’où une facilité à tomber sur des ouvrages qui, même s’ils ne sont pas toujours de grands livres, procurent un certain plaisir de lecture.
Comment dialoguent vos lectures d’écrivain et celles du professeur de français ?
E.T. : Enseignant dans un collège, je cherche si possible à proposer à mes élèves des textes simples de grands auteurs. Par exemple, j’ai fait travailler cette année une classe de troisième sur Comment Wang-Fô fut sauvé, nouvelle que je ne connaissais pas et m’a permis, en tant qu’écrivain, de redécouvrir Marguerite Yourcenar.
Dans l’autre sens, j’aime lire chaque année en classe des passages de La recherche du temps perdu. Je fais cela sans explication du texte, juste pour le plaisir de retrouver le cœur de ce j’aime en écriture, mais aussi pour planter des graines de cette littérature dans une jeunesse turbulente.
E.T. : Je me nourris des deux. Ce sont, je pense, deux manières diamétralement opposées d’écrire. Entre Julien Gracq et Bukowski, il y a un océan. En France, la littérature est très réfléchie et réflexive. On pense à Proust et à la construction sinueuse, architecturale de son oeuvre. Ici, on cherche à tout dire, tout conceptualiser. À l’inverse, si l’on regarde ce qui se fait aux États-Unis, la densité de l’écriture s’affirme plutôt à travers l’art de peindre la vie de personnages, une façon de les regarder d’abord exister, agir.
J’avoue toutefois ne pas lire très régulièrement de littérature française actuelle, j’ai du mal à trouver dans la production du moment ce que je recherche, à savoir des livres qui me font à un moment lever la tête, font jaillir des impressions, des sentiments ou des questions extrêmement diverses. Je déniche néanmoins parfois de vraies trouvailles, comme La Grande Idée de Anton Beraber ou Mourir et puis sauter de son cheval de David Bosc qui m’ont, chacun à leur façon, fortement impressionné ces derniers temps. Peut-être que la littérature américaine contemporaine est moins avant-gardiste, plus ancrée dans une tradition forte du récit et du roman. On s’y sent du coup en terrain familier, d’où une facilité à tomber sur des ouvrages qui, même s’ils ne sont pas toujours de grands livres, procurent un certain plaisir de lecture.
Comment dialoguent vos lectures d’écrivain et celles du professeur de français ?
E.T. : Enseignant dans un collège, je cherche si possible à proposer à mes élèves des textes simples de grands auteurs. Par exemple, j’ai fait travailler cette année une classe de troisième sur Comment Wang-Fô fut sauvé, nouvelle que je ne connaissais pas et m’a permis, en tant qu’écrivain, de redécouvrir Marguerite Yourcenar.
Dans l’autre sens, j’aime lire chaque année en classe des passages de La recherche du temps perdu. Je fais cela sans explication du texte, juste pour le plaisir de retrouver le cœur de ce j’aime en écriture, mais aussi pour planter des graines de cette littérature dans une jeunesse turbulente.
Romuald Giulivo est né en 1973 à Provins. Architecte naval de formation, il se consacre désormais à l’écriture et aux musiques improvisées. Il est notamment l’auteur d’une trilogie à l’humeur gothique chez Bayard jeunesse, de plusieurs romans inspirés par l’actualité immédiate à l’École des Loisirs et d’un premier roman pour adultes aux éditions Anne Carrière.