Éducation aux images et jeu vidéo : ouvrir le champ des possibles
Décalé à plusieurs reprises en raison de la crise sanitaire actuelle, un cycle de formation de trois jours autour du jeu vidéo sera prochainement proposé par le pôle néo-aquitain d’éducation aux images (EAI) en collaboration avec Cina (Cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine). Un temps d’échange avec les différentes structures formant le pôle – ALCA Nouvelle-Aquitaine, la Fédération régionale des maisons des jeunes et de la culture (FRMJC) Nouvelle-Aquitaine et Les Yeux Verts – était l’occasion de revenir sur les origines, l’organisation et le développement du tout premier projet commun de formation du Pôle régional récemment constitué. Rencontre avec Virginie Mespoulet1, Damien Virgitti2, Olivier Gouéry et Valérie Mocydlarz3 4.
Pourquoi associer cinéma et jeu vidéo dans le cadre de l’éducation aux images ?
Damien Virgitti : Bien que certaines structures s’en emparent, comme De la suite dans les images ou Images en bibliothèques pour ne citer qu’elles, le jeu vidéo comme outil d’EAI demeure peu traité, ce malgré l’apparition et l’évolution spectaculaire de nouveaux champs de l’image, dont il fait partie, ou le rapprochement réciproque qui s’exerce entre lui et le septième art comme le montre le récent Death Stranding5. Il s’agit d’une technologie et d’un art à part entière qui nous intriguent, nous, "adultes-médiateurs", et passionnent certains publics que l’on souhaiterait rapprocher de l’univers cinématographique.
Olivier Gouéry : C’est une culture nouvelle, possédant ses codes et ses spécificités, avec un public bénéficiant d’une interactivité qui bouleverse la notion de spectateur au cœur de l’EAI. C’est également un nouveau référent d’images pour les générations actuelles que les exploitants et médiateurs cherchent à attirer dans les salles afin qu’elles puissent voir des films, mais aussi observer des gens jouer ou jouer elles-mêmes, échanger autour de ces pratiques et finalement s’approprier autrement la salle de cinéma.
La légitimité de l’art vidéoludique ne relève pas du fait pour certains, son accessibilité en inquiète d’autres. Qu’en pensez-vous ?
Virginie Mespoulet : On a tous une représentation partielle de ce qu’est le jeu vidéo. À titre d’exemple, nous sommes régulièrement interrogés sur les addictions et la violence. La formation sera l’occasion de déconstruire les a priori et les contraintes tout en apportant une contribution à ce que l’on pourrait identifier comme une forme d’illettrisme numérique, notamment en donnant les outils nécessaires pour appréhender le jeu vidéo autrement. Peut-être pourra-t-on ainsi rassurer les inquiets ou sceptiques vis-à-vis de l’utilisation du jeu vidéo en tant que technologie présentant un fort potentiel pédagogique et artistique.
Comment se dérouleront ces trois journées ?
Vi. M. : Concernant les dates, il est difficile de s’exprimer clairement aujourd’hui en raison des modifications d’organisation induites par le passe sanitaire. Dans tous les cas, trois grands modules ont été envisagés, chacun en partenariat avec un cinéma néo-aquitain : le premier, qui se déroulera au cinéma Jean-Eustache de Pessac (33), consistera en une introduction sous l’angle de l’histoire, des sciences humaines et du soin afin de mettre en question les préjugés autour du jeu vidéo ; le deuxième, organisé à Angoulême (16) en partenariat avec le cinéma de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image animée et l’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques (Enjmin) sera consacré à la question des métiers du jeu vidéo ; enfin, le troisième et dernier, prévu au cinéma Rex à Brive-la-Gaillarde (19), permettra à des porteurs de projets de restituer et de partager leurs diverses expériences en lien avec l’art vidéoludique afin que chacun puisse s’inspirer, se former.
Valérie Mocydlarz : Des invités comme Alexis Blanchet, maître de conférences en cinéma et audiovisuel ayant dédié plusieurs ouvrages au jeu vidéo, ou Yann Leroux, docteur en psychologie et créateur du blog Psy et Geek, apporteront leur expertise et leurs connaissances. Par ailleurs, différents sujets seront abordés à travers ces trois modules comme la place des femmes dans l’univers du jeu vidéo ainsi que les spécificités de l’économie de l’industrie vidéoludique. Une expérimentation concrète, déclinable en atelier, viendra systématiquement nourrir et compléter les approches théoriques. Les événements auront lieu en présentiel mais seront également retransmis simultanément en ligne ; une captation et une restitution seront disponibles, plus tard, sur Imagi’na.
À quel public cette formation est-elle destinée ?
Va. M. : Elle s’adresse avant tout aux acteurs et passeurs d’EAI de Nouvelle-Aquitaine – exploitants de salles de cinéma, animateurs, éducateurs, médiathécaires, enseignants, artistes intervenants – ou aux étudiants, notamment en Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) ou en cinéma et audiovisuel, un public relativement important pour nous étant donné son rôle futur dans la mise en place de projets d’EAI. Comme dit précédemment, le format hybride sera privilégié afin que le plus grand nombre de personnes intéressées par le sujet puissent accéder aux ressources, aux informations et aux contributions proposées au cours du cycle de formation.
Avez-vous connaissance d’actions d’EAI en lien avec le jeu vidéo, menées en Nouvelle-Aquitaine, s’inscrivant dans la logique de ces trois journées ?
O. G. : Cina, avec sa commission Innovation, est très active au sujet de la question vidéoludique. On pense par exemple à la malle CinéGame développée par Hervé Tourneur, intervenant Cinéma, qui consiste en un ordinateur avec des jeux et un boîtier à connecter au projecteur de la salle. Elle circule avec succès auprès de cinémas adhérents de l’association à laquelle contribue également Raphaël Jaquerod, directeur du cinéma Le Pixel à Orthez (64), qui travaille actuellement sur un projet nommé Pixel Play6.
D. V. : Au mois de mai dernier, Émilie Ricard, fondatrice de la société Color Inside Films, a formé à la motion capture7 des professionnels de la médiation tout en proposant à des lycéens de Brive-la-Gaillarde une découverte de cette même technique. Des ateliers dans le cadre de Passeurs d’images et d’un parcours initiatique d’EAI ont également été organisés cet été à l’École municipale des sports de Médis (17). À Poitiers (86), le studio de production Hybrid Films a réalisé récemment, en collaboration avec un intervenant universitaire spécialiste du jeu vidéo, un court métrage de fiction auquel ont été intégrés des codes vidéoludiques par des jeunes d’un centre de loisirs.
Quels sont les objectifs ainsi que les résultats envisagés sur le court et le long termes ?
O. G. : Dans le domaine de l’EAI, nous ne comptons jamais véritablement sur un résultat précis, quantifiable. Au-delà du besoin d’incarner notre nouveau pôle à travers ce projet qui se nourrit des forces et compétences de chacune de nos structures, le but de ce cycle de formation est d’ouvrir le champ des possibles, de partager et d’enrichir les ressources à disposition ainsi que de mettre en relation les acteurs culturels néo-aquitains dans leur diversité et leur pluralité : les professionnels du cinéma et plus généralement les personnes exerçant dans la transmission, l’EAI ainsi que celles intéressées par le jeu vidéo.
D. V. : De cette manière, nous souhaitons faire émerger des idées et donc créer des envies de projets dans ce réseau professionnel vidéoludique que nous cherchons à mieux connaître, valoriser mais aussi croiser avec les besoins et spécificités de l’univers et du milieu cinématographiques.
1Responsable du Pôle régional d’éducation aux images de Nouvelle-Aquitaine (ALCA Nouvelle-Aquitaine).
2Coordinateur Passeurs d’images (FRMJC Nouvelle-Aquitaine).
3Respectivement responsable et médiatrice Cinéma (Les Yeux Verts).
4Entretien réalisé en juillet 2021.
5Jeu conçu par Hideo Kojima, créateur de la série Metal Gear Solid, qui a fortement marqué les esprits grâce à son esthétique, son ambiance et la participation de personnalités du cinéma (Léa Seydoux, Nicolas Winding Refn, par exemple).
6Voir encadré ci-dessous.
7La motion capture est une méthode consistant à enregistrer et, éventuellement, à modifier grâce à des logiciels, les mouvements d’éléments réels avant de les intégrer dans un environnement numérique (film, jeu vidéo, etc.).
Pixel Play, un projet d’éducation aux images autour du jeu vidéo
Développer de nouveaux liens avec le jeune public à travers la valorisation, théorique et pratique, de l’art vidéoludique et de sa présence dans la salle de cinéma : les objectifs de Pixel Play sont on ne peut plus clairs. Mené par Raphaël Jaquerod dans le cadre du dispositif Passeurs d’images, ce projet transmédia qui se déroulera entre septembre 2021 et avril 2022 permettra à cinquante jeunes âgés de douze à vingt-cinq ans de découvrir dans une démarche ludique l’univers du jeu vidéo dans toute sa diversité esthétique, thématique et professionnelle. Doté de nombreux partenaires – parmi lesquels ALCA, Cina, la Ville d’Orthez et la Communauté de communes de Lacq-Orthez – il comprend également plusieurs intervenants : Charles Mounal, producteur de jeux vidéo à Paris, Arthur Manoux, game designer et testeur chez Ubisoft Lyon ou encore Paul de Barbeyrac, rédacteur pour Jeux vidéo magazine et streamer sur les plateformes YouTube et Twitch. Cette dernière sera le support des quatorze séances de deux heures constituant le projet : la plupart se termineront avec une interview de l’intervenant sur la plateforme d’Amazon, à titre de restitution, après une heure et demie de jeu et de discussions avec chaque professionnel impliqué. Les thématiques, de même que les jeux qui les illustreront, seront variées : "Jeu vidéo et cinéma : inspirations mutuelles", "Manga, anime, jeu vidéo : destins liés" ou encore "La figure de l’héroïne dans le jeu vidéo". Ce programme sera nourri par des œuvres comme Metal Gear Solid, Limbo ou Tomb Raider pour ne citer que ces exemples qui inspireront les jeunes dans la création de jeux à laquelle ils prendront part, au cours de deux sessions spéciales, avec des logiciels accessibles.