"Essayer de renouveler le cinéma de genre français depuis Bordeaux"
Fondateur de la société de production bordelaise Capricci, Thierry Lounas s’est associé à Vincent Maraval et sa société Wild Bunch International pour créer Wild West, une nouvelle structure entièrement dédiée au cinéma de genre au sens large et qui a pris ses quartiers en Nouvelle-Aquitaine. Rencontre.
Vous avez lancé au mois de juin dernier la société de production Wild West. À quand remonte l’idée de ce projet commun "dédié à 100 % au film de genre au sens large" et pourquoi ?
Thierry Lounas : J’organise depuis plusieurs années les résidences Sofilm pour le cinéma de genre à Bordeaux, dont Wild Bunch est partenaire avec Bordeaux Métropole et le CNC. Des liens se sont tissés au fil des années et se sont particulièrement renforcés au moment de La Nuée de Just Philippot, le premier long métrage sorti de ces résidences et dont Wild Bunch est le vendeur international. Face au succès du film à Cannes et sur Netflix, Vincent Maraval a souhaité aller plus loin dans son implication en créant une société de production spécialisée dans le genre et en y associant ses partenaires américains, l’agence de talents CAA. Vincent Maraval et moi-même avons une relation d’amitié ancienne qui a commencé avec les films d’Abel Ferrara et un ADN commun lié au cinéma de genre. Les résidences Sofilm, et maintenant Wild West, sont nées du constat qu’il y avait un manque en France d’un cinéma de genre au sens large : fantastique, science-fiction, mais aussi polar, thriller, film d’aventure… Alors qu’en parallèle, il y a une demande de plus en plus forte sur les chaînes et les plateformes. Les résidences ont, à leur échelle, permis de populariser et de "glamouriser" ce cinéma. La création de Wild West s’inscrit dans cette continuité en essayant de mieux le produire et de faire émerger davantage de projets et de cinéastes. Le but de cette structure est d’essayer de renouveler le cinéma de genre français depuis Bordeaux.
Il existe une multitude de sensibilités et de ressentis qui rendent difficile d’établir une seule définition du film de genre. Quelle est la vôtre ?
T.L. : C’est un terme un peu vague, c’est vrai, mais selon moi, le cinéma de genre est un cinéma de l’imaginaire où la question du rapport avec la réalité est passionnante, hors d’un cadre naturaliste. Il permet de rendre compte du monde actuel, de ses mutations et de ses crises. C’est un cinéma visuel où la mise en scène donne à ressentir et à comprendre des choses qui seraient plus compliquées à saisir ailleurs.
Vous évoquez le film La Nuée produit par Capricci et sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes, en 2020. Il y a eu également le succès récent de Titane avec une Palme d’or, toujours à Cannes, et distribué notamment par Wild Bunch. Y voyez-vous un changement de regard des professionnels du cinéma sur les créations de l’imaginaire ?
T.L. : Oui, pour plusieurs raisons. On constate un changement de génération d’auteurs et de cinéastes, des gens qui ont grandi avec des séries, avec des idées différentes pour porter un cinéma nouveau et qui connaissent bien les films de genre. Un autre facteur essentiel, c’est l’évolution du monde qui nous entoure : toutes les questions liées au climat, la situation écologique dans son ensemble ou la crise sanitaire, par exemple, et le traitement médiatique qui en est fait... L’idée même de catastrophe est en permanence devant nos yeux et est intégrée au réel. Cela a une influence directe sur ce que les cinéastes ont envie d’écrire, mais aussi sur la demande, sur ce que les gens veulent voir dans les salles de cinéma. Enfin, il y a l’arrivée de nouveaux diffuseurs sur le marché qui changent la donne et qui révolutionnent le cinéma français classique.
Justement, cette diversification des modes de production, avec l’apparition des plateformes sur le marché du film qui offrent de nouvelles possibilités, est-ce que cela faisait partie de la réflexion au moment de créer Wild West ?
T.L. : Il y a plusieurs éléments. La création de Wild West s’est faite d’abord dans l’idée de mieux financer le cinéma de genre à travers le réseau français et international de Wild Bunch, une société qui a déjà une longue histoire et une grande notoriété. Ce réseau nous permet bien évidemment de proposer des films à une multitude de partenaires potentiels. L’idée est de constituer un tronc commun de projets que nous souhaitons développer ensemble et de voir ensuite comment les concrétiser et à qui on va les destiner. Nous avons présenté notre premier line-up en juin dernier à Bordeaux, en présence de Netflix, Orange, Canal+, Arte, Le Pacte et Studiocanal, qui sont tous venus pour se positionner tôt sur ces films/séries, dès leur développement. La multiplication des partenaires permet une variété des projets : Netflix, par exemple, est plutôt intéressé par les films d’action, les thrillers érotiques ou les films de sociopathes, quand Orange aura un goût plus prononcé pour le film de créature et le cinéma fantastique. On est donc dans un mélange d’initiatives et dans un esprit de commande qui oriente le développement des différents projets.
L’autre élément lié à la création de Wild West est l’envie de produire différemment les films en rendant plus facile leur financement pour que les questions de fabrication se posent plus tôt et de manière plus concrète, notamment pour les effets spéciaux.
"Je demande aux auteurs avec lesquels je travaille de présenter des projets qui parlent du monde d’aujourd’hui. C’est aussi, selon moi, l’une des raisons qui pousse Wild Bunch à lancer Wild West, avec aussi la volonté de produire des films de genre en langue française."
Qu’est-ce qui caractérise, de votre point de vue, la science-fiction et le fantastique "à la française" par rapport à ce qui peut se faire dans d’autres pays ?
T.L. : La particularité française, me semble-t-il, est de pouvoir sortir le cinéma de genre de ses codes pour le connecter aux enjeux de la société et du monde d’aujourd’hui. La Nuée, pour revenir à cet exemple, est un film fantastique certes, mais c’est aussi un film écologique qui interroge sur la question de l’agriculture telle qu’elle est menée aujourd’hui et les risques que cela provoque pour la société de demain. Il y a une volonté, non pas de s’inscrire uniquement dans une logique de fantasme pur rattachée à des codes précis, mais de traiter les sujets qui rapprochent le genre du réel. Je demande aux auteurs avec lesquels je travaille de présenter des projets qui parlent du monde d’aujourd’hui. C’est aussi, selon moi, l’une des raisons qui pousse Wild Bunch à lancer Wild West, avec aussi la volonté de produire des films de genre en langue française.
Les bureaux et l’activité de Wild West sont installés à Bordeaux et le siège social à Bayonne. Pourquoi ce choix quand une grande majorité des sociétés de production sont encore centralisées à Paris ?
T.L. : Par son histoire, Vincent Maraval a un lien fort avec le Sud-Ouest dont il est originaire. Il a fait ses études à Bordeaux et il vit à Bayonne aujourd’hui. C’est un grand défenseur de l’identité basque. Il a également, par ses activités, des filiales partout en Europe, donc il y a un attachement naturel à ce que tout ne se passe pas à Paris. On défend ensemble cette idée de décentralisation cinématographique. Il est à Bayonne, je suis à Bordeaux, c’était donc naturel de créer Wild West en Nouvelle-Aquitaine. Et avec Manon Lhoumeau, qui coordonne Wild West, la synthèse est complète puisque c’est une Basque qui a fait Sciences Po Bordeaux.
Vous vous êtes également associés à District Digital, un studio d’effets spéciaux français, en créant une filiale à Bordeaux…
T.L. : C’était l’un des objectifs des résidences Sofilm : permettre à des acteurs économiques importants, dont de grands studios d’effets spéciaux, de venir s’installer à Bordeaux, toujours avec cette idée de rapprocher les questions d’écriture de celles de la fabrication. Digital District a réalisé les effets spéciaux de nombreux films américains et européens, c’est le partenaire de tous les films de Michel Hazanavicius. Donc la création de l’antenne bordelaise Bordeaux Digital était une marque d’ambition. C’est là qu’ont été réalisés, par exemple, l’intégralité des effets spéciaux de La Nuée, de La Troisième Guerre et de Messe Basse. C’est une première en France.
Le premier line-up de Wild West présenté en juin se compose d’une dizaine de projets en cours de développement. Quelle est la part, dans cette liste, consacrée à des films fantastiques ou de science-fiction ?
T.L. : L’idée est effectivement de pouvoir développer une dizaine de films par an et de coproduire avec d’autres sociétés sur certains projets, selon les envies et les besoins. Il y a toute une partie de cette première liste qui concerne des thrillers et des polars. L’autre moitié de ce que l’on a présenté correspond à des films de science-fiction ou de fantastique purs. Parmi eux, et c’est une fierté, on retrouve des projets de cinéastes et de scénaristes régionaux comme le film de Maël Le Mée, Incarnation, coproduit avec Bobi Lux et que Canal+ vient de préacheter, Les Dessins d’Alexandre, un film d’horreur fantastique développé par Clément Rière ou encore Cygnes, série psychédélique de Mathieu Mégemont. Il y a une longue tradition de cinéma de genre à Bordeaux que Wild West souhaite soutenir.