Les chaînes régionales, motrices de la coproduction documentaire
France 3 Nouvelle-Aquitaine, TV7 Bordeaux, Kanaldude et ÒCtele. Ces quatre chaînes locales de télévision, dont les sièges se situent en Nouvelle-Aquitaine, contribuent toutes à la coproduction de films documentaires, notamment dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens (COM) engagés avec la Région Nouvelle-Aquitaine.
"Nous nous inscrivons dans une histoire assez ancienne de coproduction documentaire dans les stations régionales de France 3. Depuis 2017 et la création de France 3 Nouvelle-Aquitaine, nous produisons une trentaine de films documentaires par an en région", explique Jean-François Karpinski, conseiller des programmes de France 3 Nouvelle-Aquitaine. Des films documentaires s’insérant dans une ligne éditoriale "privilégiant les sujets de société au sens large et liés à des calendriers sociaux, politiques, économiques ou de territoire, comme Blum et ses premières ministres1 qui présente un écho évident aujourd’hui aux droits des femmes". La coproduction se matérialise par un apport numéraire mais aussi par un apport à l’industrie – la mise à disposition d’un ou plusieurs services, de postproduction par exemple – qui peut varier selon les besoins du projet.
Parmi cette trentaine de films coproduits chaque année, huit s’inscrivent dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens (COM) engagés avec la Région Nouvelle-Aquitaine. Ces contrats permettent un soutien financier des chaînes afin de développer des programmes de proximité et contribuant à l’identité territoriale, et d’amplifier le soutien à la création et à la production audiovisuelle en région. Des appels à projets sont lancés chaque année dans le cadre du COM par France 3 Nouvelle-Aquitaine en partenariat avec trois festivals de la région : Biarritz Amérique latine, le Festival international du film d’Histoire de Pessac et Filmer le travail2, à Poitiers.
L’apport des COM s’avère incontournable pour les autres chaînes régionales souhaitant s’investir davantage dans la coproduction documentaire. "C’est grâce aux COM que nous pouvons nous engager sur du préachat de films documentaires", témoigne ainsi Damien Cortadi, responsable de l’antenne et de la production à TV7 Bordeaux. La chaîne, signataire des COM depuis 2011, fonctionne avec des appels à projets pour un préachat de quatre ou cinq documentaires par an. En dehors de ce dispositif, TV7 s’implique dans des projets avec un apport à l’industrie, en mettant par exemple ses locaux à disposition pour des besoins de montage. D’un point de vue éditorial, TV7 privilégie l’émergence et le rapport à la région : "Soit le porteur de projet est en Nouvelle-Aquitaine et il peut traiter n’importe quel sujet, soit il est d’ailleurs et son projet doit forcément aborder le territoire."
La web TV occitane ÒCtele s’engage de son côté depuis trois ans, dans le cadre des COM, sur la production de deux documentaires de création en format 52 minutes. "Nous souhaitons conserver ce volume afin que tous les films présentés soient bien tournés en occitan. Mais si de nombreux sujets de qualité nous parvenaient, nous pourrions alors coproduire un projet supplémentaire, en réduisant l’apport individuel", explique Stéphane Valentin, directeur de production de la chaîne installée à Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques. Comme ses homologues, il tient à ce que les producteurs disposent d’un apport numéraire d’au moins 200 euros par minute, leur permettant de bénéficier également du mécanisme automatique d’aide à la production du CNC. Un apport à l’industrie, une aide à l’écriture et une aide au développement sont également octroyés au gré des projets.
"À l’instar des autres chaînes régionales, Kanaldude soutient également la création documentaire en attribuant directement aux auteurs deux bourses à l’écriture de 1 000 euros dans le cadre de Premiers films en région, dispositif porté par le Fipadoc et ALCA, visant à soutenir les auteurs émergents de documentaires."
Parmi les derniers films sur lesquels s’est engagée ÒCtele, Les Nouveaux Siffleurs d’Aas3 a été réalisé il y a deux ans par Richard Martin-Jordan sur un sujet qui n’est pas occitan mais dont le traitement a été fait dans cette langue. Le film a rencontré un vif succès puisqu’il a été sélectionné à neuf reprises à l’étranger et a obtenu trois prix. Aujourd’hui, les critères éditoriaux pour ÒCtele sont prioritairement la présence de la langue occitane, la qualité du traitement cinématographique du projet puis le sujet du documentaire.
Installée à Bidarray, également en Pyrénées-Atlantiques, la web TV Kanaldude hérite d’une "tradition du documentaire" puisque la société qui l’édite, Aldudarrak bideo, était "déjà investie dans la production de documentaires", comme nous l’explique Loïc Legrand, en charge de la création. Un savoir-faire qui permet à la chaîne de coproduire tous les ans une dizaine de films, dont quatre dans le cadre des COM avec la Région Nouvelle-Aquitaine, avec un soutien numéraire mais aussi "de la coproduction uniquement en industrie pour certains projets, comme le font beaucoup de chaînes de TV locales".
Kanaldude s’investit principalement dans des sujets abordant l’histoire du Pays basque et ses enjeux actuels, comme le film Bolante baten historia4 (Histoire d’un volant), ainsi que sur des sujets de société contemporains par le prisme des alternatives et des cultures minoritaires. À l’instar des autres chaînes régionales, Kanaldude soutient également la création documentaire en attribuant directement aux auteurs deux bourses à l’écriture de 1 000 euros dans le cadre de Premiers films en région, dispositif porté par le Fipadoc et ALCA, visant à soutenir les auteurs émergents de documentaires.
Pour valoriser les films documentaires qu’elles coproduisent, les chaînes régionales innovent en matière de diffusion, notamment en proposant des émissions qui leur sont dédiées. Blum et ses premières ministres a ainsi été diffusé dans le cadre de l’émission nationale La France en vrai, une série documentaire "se focalisant sur les régions françaises et les développements de l’actualité sur le territoire". Les films coproduits par les antennes régionales de France 3 peuvent aussi être diffusés dans le cadre de la "case" estivale L’Heure D, qui met plutôt en avant des films d’auteur comme Wilfrid Animation, de Léo Lagrafeuille, lauréat du prix Brouillon d’un rêve de la Scam en 2019, ou Sri-Landaise, de Maylis Dartigue, lauréate Premiers films en région également en 2019. Les films intégrant cette programmation sont par ailleurs mieux dotés financièrement. Certains documentaires sont aussi diffusés sur NoA, précédant un débat dans le cadre de l’émission hebdomadaire Débadoc. Autre programme, lancé en septembre 2020, Côtédocs évoque l’actualité du film documentaire en Nouvelle-Aquitaine et donne la parole aux producteurs, aux réalisateurs ou encore aux organisateurs de festival.
Les autres chaînes ne sont pas en reste : Kanaldude a lancé Hordok, une émission dans laquelle la diffusion des films est suivie d’un entretien avec le réalisateur du documentaire ou avec un intervenant concerné par la thématique de l’œuvre. Une rencontre avec Idoia Rodriguez, doctorante en Lettres qui s’intéresse au sexisme dans la littérature jeunesse basque, a ainsi prolongé la diffusion au mois de janvier dernier de Pom-pom Boys, petite brigade contre le sexisme, coproduit avec Public Sénat. De son côté, TV7 propose l’émission mensuelle Première séance où les films sont introduits et peuvent être enrichis par une discussion. Dans le cadre du COM, la chaîne bordelaise programme aussi chaque année deux soirées thématiques pour accompagner la diffusion des documentaires d’un débat autour de la thématique abordée.
1Documentaire sur l’entrée en juin 1936 de trois femmes au sein du gouvernement de Léon Blum en qualité de sous-secrétaires d’État. Réalisé par Maud Guillaumin, produit par Midralgar (Marmitafilms) avec France Télévisions et Mediawan Thematics, soutenu par le Département de la Dordogne et la Région Nouvelle-Aquitaine.
2Voir article p. 37 dans ce numéro d'Éclairages.
3Documentaire sur l’association Lo Siular d’Aas (Les Siffleurs d’Aas) veillant à la pérennisation de la langue sifflée dans la vallée d’Ossau. Réalisé par Richard Martin-Jordan, produit par Mara Films avec ÒCtele (2019). marafilms.fr/production/nouveaux-siffleurs-daas
4Documentaire sur les recherches entreprises par sa famille autour de la disparition de José Miguel Etxeberria, jeune Basque assassiné en 1980 par un groupe paramilitaire. Réalisé par Iban Toledo Ibañez et Iñaki Alforja Sagone, produit par VraiVrai Films avec ON Produkzioak et Kanaldude (2021). vraivrai-films.fr/catalogue/histoire_d_un_volant_fr