Quatre dimensions éditoriales en littérature de l’imaginaire
De la littérature patrimoniale aux œuvres contemporaines, la littérature de l’imaginaire recouvre une multiplicité de sous-genres. Quatre éditeurs néo-aquitains, qu’ils soient spécialisés ou qu’ils y consacrent une partie de leur catalogue*, en révèlent la richesse à travers une ligne éditoriale singulière où l’illustration tient une place majeure.
L’Arbre vengeur
Entretien avec David Vincent
David Vincent et Nicolas Étienne ont fondé les éditions de L’Arbre vengeur en 2003. Ils sont aujourd’hui installés au sein de la Fabrique Pola, à Bordeaux. Deux cent cinquante titres dessinent ce catalogue décalé et insolent où le style combat la culture du cliché, où l’humour écrase l’esprit sérieux, où les genres ne sont guère cloisonnés.
L’Arbre vengeur a édité plus d’une trentaine de livres s’inscrivant dans le registre de la littérature de l’imaginaire, pour la plupart dispersés au sein de différentes collections. Ce parti pris de ne pas classer par genre est la philosophie des éditeurs qui ne pensent pas la littérature de cette façon. "La littérature de l’imaginaire est un ensemble très composite, mais c’est aussi un concept marketing dans lequel certains "domaines" sont trop souvent confondus." Désenclaver cette littérature qui souffre un peu de cette notion de "mauvais genre" est une nécessité, même si les éditeurs ont accepté la règle qu’une partie de leur catalogue y soit associée. "Des titres étaient écartés du rayon SF alors qu’ils marchaient mieux dans cette catégorie. Les remettre dans cette "case" permet de rattraper des lecteurs qui ne les identifiaient pas nécessairement, mais cela nous pénalise lorsque nous revendiquons le décloisonnement des genres." L’un des intérêts de la classification est aussi économique. La littérature de l’imaginaire constitue l’une des branches, étrange, du tronc de leur arbre, l’espoir secret des deux éditeurs étant que leurs livres ne soient pas rattachés à une communauté qui se voudrait "exclusive", voire "excluante". Car c’est avant tout la qualité littéraire qui prime, à rebours de ce que l’on peut parfois constater dans d’autres maisons d’édition. Si L’Arbre vengeur remet au goût du jour des livres oubliés du patrimoine littéraire, les textes d’auteurs contemporains ont néanmoins une place importante dans leur catalogue, au même titre que les illustrateurs. L’Arbre vengeur s’est démarqué dès sa création par sa ligne graphique, le domaine de Nicolas Étienne. Il conçoit certaines couvertures, mais en littérature de l’imaginaire, beaucoup sont l’œuvre de Greg Vezon, un adepte de SF qui a su créer une identité visuelle évitant certains clichés du genre.
Enfin, il est à noter qu’à l’occasion du festival Hypermondes de Mérignac (2 et 3 octobre 2021), L’Arbre vengeur a réimprimé leur premier titre d’imaginaire, Quinzinzinzili de Régis Messac, chef-d’œuvre et monument de l’anticipation française.
À découvrir :
Maîtres du vertige, anthologie présentée par Serge Lehman : une synthèse de trente ans de recherche sur la SF française, octobre 2021.
Boire la tasse, Christophe Langlois, 2021, Grand Prix de l’Imaginaire.
La Montagne morte de la vie, Michel Bernanos, 2017.
L’Homme que les arbres aimaient, Algernon Blackwood, 2017.
Diffusion/distribution : Harmonia Mundi
Les Moutons électriques
Entretien avec André-François Ruaud
Les Moutons électriques sont nés à Lyon en 2004. Depuis huit ans, c’est à Bordeaux qu’André-François Ruaud, Melchior Ascaride et Mérédith Debaque dirigent cette maison d’édition de littérature de genres avec une forte exigence stylistique et littéraire.
Le catalogue des Moutons électriques est principalement axé sur le registre du merveilleux (la fantasy), mais n’exclut pas les autres genres. La ligne éditoriale privilégie des textes qui parlent de l’humain et du monde. Parmi les collections qui organisent un fonds de plus de trois cents titres, la collection phare, "La Bibliothèque voltaïque", donne la part belle aux auteurs francophones contemporains, tandis que "La Bibliothèque des miroirs" renvoie à une culture de l’image très importante au sein de l’imaginaire geek. Cette culture de l’image se retrouve d’ailleurs dans le soin apporté aux couvertures des ouvrages, avec une ligne graphique s’inspirant d’une esthétique anglo-saxonne.
Récemment, les trois éditeurs ont choisi de publier des textes de littérature étrangère au sein de deux nouvelles collections : "Courant alternatif" et "Le Bateau-feu". "Courant alternatif" est une collection de littérature à la tonalité dure et engagée, proposant une analyse sociétale. La collection "Le Bateau-feu", quant à elle, privilégiera à partir de mai 2022 le réalisme magique, un courant qui réenchante le réel à travers une vision décalée de celui-ci.
Les Moutons électriques travaillent surtout avec la centaine de libraires possédant un rayon de littérature de l’imaginaire, ce qui est peu au regard des ventes et de l’engouement que ce genre suscite. "L’enjeu, aujourd’hui, est de faire des livres qui plairont aux libraires avant de plaire aux lecteurs, pour être présents sur les tables de vente." Chaque roman est édité en version numérique alors que les versions audio concernent uniquement les plus grosses ventes. La problématique reste le marché étranger : malgré des tentatives, le marché anglo-saxon reste fermé et seulement quelques cessions de droits ont pu avoir lieu en Russie. André-François Ruaud déplore le manque de relais et d’aides pour exporter la littérature francophone à l’étranger.
Les Moutons électriques font partie des organisateurs du festival Hypermondes de Mérignac et coéditent l’anthologie éponyme, un recueil de textes et de récits offrant un panorama moderne de ce que les sciences et la fiction ont à nous dire sur le thème des robots et de l’intelligence artificielle.
À découvrir :
Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski, 2021.
Les Papillons géomètres, Christine Luce, 2017.
Les Ménades, Nicolas Texier, 2021.
Avant 7 jours, Nelly Chadour, 2021.
Diffusion/distribution : Média Diffusion/MDS
Plume blanche
Entretien avec Marion Barril
Marion Barril a fondé Plume blanche en 2015, à Varetz (19), une maison d’édition spécialisée dans les romans de littérature de l’imaginaire. Son catalogue compte plus de cinquante titres et comprend cinq collections, chacune dédiée à un public spécifique, sans distinction de genres.
Dystopie, science-fiction, fantastique, steampunk, space opera… Plume blanche s’intéresse à tous les sous-genres qui fondent la richesse de la littérature de l’imaginaire. Même si elle affectionne plus particulièrement la fantasy, Marion Barril édite un texte lorsqu’il lui donne envie de se battre pour lui. La littérature de l’imaginaire est une littérature de tous les possibles, qui n’a de limites que celles qu’on lui donne. Pour satisfaire différents types de lecteurs, elle a créé des collections ciblées pour divers publics, dont une pour les plus jeunes qui ne se retrouveraient pas dans d’autres genres littéraires.
Les lecteurs de littérature de l’imaginaire forment une communauté très présente sur le web, aussi Plume blanche se doit d’y être visible. "C’est une petite structure, elle a besoin de cette communauté pour exister. Cela fait partie de mon travail d’éditrice et de celui de l’auteur de l’entretenir."
La littérature de l’imaginaire répond à certaines règles. Marion Barril évacue le déjà-vu, privilégie l’originalité et veille à la cohérence de l’univers développé par l’auteur. "Il n’y a pas une littérature de l’imaginaire spécifique à la France, si ce n’est que nous sommes dans un pays qui aime faire entrer les choses dans des cases." Lorsque Marion choisit d’éditer À ma vie, à ta mort de Sandra Triname, un mélange de thriller et de fantastique, elle constate que les lecteurs sont perdus. "Lorsqu’un livre mélange les genres, il faut le défendre, en parler sur les salons, trouver un libraire qui saura le porter. S’engager avec un auteur est une histoire de confiance réciproque pour une aventure qui durera parfois longtemps. L’éditeur doit lui donner la visibilité nécessaire." Pour cela, Plume blanche édite ses livres en formats papier et numérique, et s’attache à faire connaître le travail de ses auteurs au-delà de l’Hexagone, bien que les contraintes diffèrent selon les pays. "Des titres qui parlent de religion ou de romance homosexuelle ne seront pas bien accueillis partout. Il faut penser les propositions en tenant compte de cela."
Plume blanche ouvre pour la première fois un appel à textes qui se clôture en novembre 2021, une façon d’enrichir son catalogue par de nouvelles découvertes.
À découvrir :
Dégénérescence, Léna Jomahé, 2020.
Les Aînés, Serenya Howell, 2021, 3 vol.
Rozenn, de Laëtitia Danae, 2020, 2 vol.
La Guilde des ombres, Anna Triss, 2021, 2 vol./6.
Diffusion/distribution : Myosiris – Prisme
Le Visage vert
Entretien avec Xavier Legrand-Ferronnière
Le Visage vert a vu le jour en 1995 du côté des Yvelines, mais c’est non loin de Pau qu’il œuvre aujourd’hui. Il réunit des bénévoles passionnés, érudits et exigeants. Son catalogue est un répertoire de la diversité existante en littérature de l’imaginaire : contes décadents, essais, littérature mystérieuse, humour, contes cruels et gothiques, réalisme magique, science-fiction…
Le Visage vert est au départ une revue spécialisée et pointue réunissant des textes de fiction et des essais relevant du patrimoine de la littérature de l’imaginaire des xixe et xxe siècles. Au fil du temps, elle s’est ouverte à la publication de textes d’auteurs contemporains majoritairement français et de quelques auteurs anglo-saxons. Publiée en collaboration avec les éditions Joëlle Losfeld, Payot, Mango, puis Zulma, la revue navigue seule depuis une dizaine d’années. Donner vie à des textes anciens au sein d’une revue fait appel à l’art de la composition : il faut créer une ambiance, agencer les textes et les illustrations de telle façon que chacun trouve sa place. Avec une pagination variant de 190 à 230 pages, la fréquence de publication prévue pour être semestrielle est bien plus aléatoire au regard du travail titanesque qu’elle représente.
En parallèle et en complément des textes édités dans la revue, Xavier Legrand-Ferronnière a concrétisé un souhait qui rejoint ses expériences antérieures de directeur de collection en créant une collection de livres. La ligne éditoriale est principalement axée sur la littérature patrimoniale, mais intègre là aussi des auteurs contemporains. Certains sont issus de la revue, d’autres, comme Jean-Pierre Naugrette, ont choisi d’y publier une partie de leur œuvre. Et parce que Le Visage vert se veut un territoire de recherche, l’éditeur donne une place importante à la publication de colloques et de travaux de recherches universitaires réalisés sur le large champ d’exploration qu’offre cette littérature.
Xavier Legrand-Ferronnière s’intéresse de près à la littérature de l’imaginaire française, mais cela paraît difficile pour autant de parler d’une spécificité française tant elle répond à une grande diversité d’écritures (surréalisme, réalisme magique…) et revêt une multiplicité de styles. La littérature anglo-saxonne est quant à elle plus formatée, mais ce ne sont là que des généralités auxquelles on ne peut se fier. Au Visage vert, ce qui compte, c’est le plaisir de lecture et le ressenti de sensations fortes, le tout porté par un objet papier dont la conception a été pensée avec soin.
À découvrir :
Le Visage vert, n° 3, 1997.
En quête de l’inconnu, Robert W. Chambers, 2012.
Le Club des défis, Barry Pain, 2015.
Les œuvres de Jean-Pierre Naugrette et Yves Letort.
Diffusion/distribution : abonnement – libraires partenaires
*Note de la rédaction : il ne s’agit pas, bien entendu, d’un choix exhaustif. Pour découvrir les autres éditeurs néo-aquitains concernés par la thématique, on pourra consulter et/ou télécharger le répertoire 2021 des éditeurs de Nouvelle-Aquitaine.