L’UPCP-Métive à pied d’œuvre pour la défense de la culture poitevine-saintongeaise
Nichée en plein cœur du vieux Parthenay, en Deux-Sèvres, la Maison des cultures de Pays André-Pacher héberge l’UPCP-Métive, une association cinquantenaire qui fait vivre un réseau de quarante-cinq associations du territoire. Elles œuvrent toutes pour la sauvegarde d’un patrimoine culturel à travers des objectifs aussi précieux qu’ambitieux et marqués par le sceau de l’urgence, selon le point de vue de Stéphanie Coulais et Romain Chéré, deux des trois codirecteurs de la structure.
L’Union pour la culture populaire en Poitou, Charentes et Vendée (UPCP-Métive) rassemble treize permanents, quarante-sept techniciens et presque cent cinquante artistes qui travaillent tous à leur manière en faveur d’une culture et d’une langue qui leur sont chères.
Stéphanie Coulais, en charge du Centre d’études, de recherche et de documentation sur l’oralité (Cerdo), insiste d’emblée sur un aspect selon elle essentiel : "L’urgence aujourd’hui est celle de la conservation des archives." Il existe huit mille heures de collecte, dont deux mille cinq cents sont accessibles et décrites, et à peu près un millier de plus sont simplement numérisées. Ces documents essentiellement sonores (chansons, histoires, savoir-faire) ont été captés par "des jeunes en mobylette munis de magnétophones" qui parcouraient les campagnes dans les années soixante-dix. Il y avait déjà urgence alors, car une culture paysanne disparaissait, qui ne se transmettait plus autant de bouche-à-oreille depuis la Grande Guerre.
L’UPCP s’est créée dans cette énergie et si les "informateurs" sont morts, les "enquêteurs" sont toujours présents, bien souvent tellement structurés par cette expérience qu’ils se sont formés, professionnalisés. Ils sont devenus musiciens ou techniciens.
"Le Cerdo est la clé de voûte de cette 'mémoire en mouvement'"
Le Cerdo est la clé de voûte de cette "mémoire en mouvement", comme le souligne la baseline de l’association. Il a été créé en 1994 pour conserver les enregistrements d’origine sur un support fiable qui les rend accessibles sans les détériorer. Il fonctionne grâce à un technicien de la numérisation (Gilles Tapin), une documentaliste spécialisée (Sandra Egreteau), un médiateur documentaire (Jakub Polaszczyk) et Stéphanie Coulais, qui détaille les quatre étapes de la chaîne documentaire.
Tout commence par la sauvegarde des archives : il faut numériser les milliers de documents, ce qui demande du temps. Les rares vidéos, plus complexes à traiter, sont confiées à des prestataires spécialisés. Actuellement, le Cerdo n’a pas les moyens d’être aussi efficace qu’un centre d’archives public.
Vient ensuite la description des contenus, incontournable pour permettre l’accès au document. Toutes les archives encore inédites sont d’abord écoutées. De plus, comme le précise la directrice, "on a affaire à un matériau qui ne doit pas être sorti de son contexte". Pour une chanson, qui peut connaître de multiples variations, savoir si l’interprète lit sur une feuille ou chante de mémoire a son importance. Au bas mot, cinq heures de travail sont requises pour une heure de document. Une équipe de bénévoles vient à la rescousse, souvent les anciens enquêteurs.
La troisième étape consiste à mettre le matériau à la disposition de tous. Si le Cerdo est largement ouvert, sur rendez-vous, pour une consultation sur place et du conseil, la mise en ligne permet de toucher beaucoup plus de monde : "Le public est vraiment varié et la visibilité en ligne permet de s’informer de loin. Nous avons une moyenne stable depuis plusieurs années de quatre demandes par semaine."
Cette visibilité sur Internet est renforcée par le travail de réseau. En effet, le fonds du Cerdo vient des nombreuses associations adhérentes à l’UPCP-Métive, qui est membre à son tour de plusieurs structures, comme la Fédération des acteurs et actrices des musiques et danses traditionnelles (FAMDT). Proposant notamment un portail national, la FAMDT a été l’intermédiaire entre la Bibliothèque nationale de France et les centres de région qui œuvrent pour la description du patrimoine culturel immatériel.
Dernière étape : les outils. Expositions ou mallette pédagogique sont constituées pour faciliter l’appropriation d’un savoir-faire ou la création d’une musique. À titre d’exemple, Stéphanie Coulais évoque "Des images qui parlent", un dossier thématique sur les contes en langue poitevine-saintongeaise – ou parlanjhe – avec un résumé en français.
Grâce au Cerdo, l’UPCP permet donc l’accès à une matière riche et variée et valorise le patrimoine immatériel du poitevin-saintongeais. Elle offre aussi un cadre pour la création et tisse des liens pour mener ses missions d’éducation populaire.
Le festival De Bouche à Oreille, "c’est trente propositions artistiques en quatre jours", annonce fièrement Romain Chéré, chargé de cet événement annuel qui existe depuis trente-cinq ans. Les groupes de Nouvelle-Aquitaine y sont à l’honneur. C’est un moment important, car la musique traditionnelle peut compter sur très peu de scènes, très peu de lieux pour travailler. Elle pâtit encore d’une image folklorique malgré la reconnaissance de magazines culturels tels Télérama ou Les Inrocks.
C’est pourquoi stages, conférences, expositions – et bals bien sûr ! – sont autant d’occasions pour se rencontrer, faire ensemble et "questionner la mémoire", comme le souligne Romain Chéré, qui poursuit : "Pendant le festival, les enquêteurs et les gamins, qui attendent depuis des années d’avoir l’âge d’être bénévoles ou musiciens, se côtoient… Il s’agit de passer du temps ensemble. Ce sont des moments de retrouvaille."
De nombreux projets voient le jour ou aboutissent lors de ce rendez-vous, qu’il s’agisse de la création musicale ou de la transmission auprès des plus jeunes. L’UPCP-Métive entretient aussi un partenariat avec la Ville de Parthenay pour la programmation culturelle. En 2021-2022, une classe de l’école de Verruyes (79) a mené un travail d’écriture à partir d’une légende locale avec le médiateur Jakub Polaszczyk. Les élèves ont réalisé un film qui a été projeté au cinéma de la commune.
"Le travail mené autour de la langue depuis des années commence à porter ses fruits", note Stéphanie Coulais. Aujourd’hui, l’UPCP-Métive est soutenue par plusieurs partenaires : la Région Nouvelle-Aquitaine sur un volet Langue et culture poitevines-saintongeaises, le département dédié aux sciences du langage de l’université de Poitiers et l’Institut national de formation des professeurs de Niort, qui projette pour l’année en cours d’intégrer la langue vivante et régionale en invitant les étudiants à créer un album pour enfants en parlanjhe.
La présence de la jeunesse renforce ces soutiens. Stéphanie Coulais le réaffirme, en pointant un paradoxe : "Si la langue et la musique sont anciennes, de nombreux jeunes les pratiquent et les défendent." La nouvelle génération d’artistes intègre en effet la langue des histoires familiales dans ses créations. Elle semble faire siens les mots de Christian Pacher, musicien violoneux et mentor : "Je parle comme ça parce que j’aime. L’important est ce que tu dis, pas comment tu le dis1. "y a du militantisme dans sa voix, comme dans celle de Stéphanie Coulais ou de Romain Chéré. Car le parlanjhe peine encore à décrocher la reconnaissance qu’ont l’occitan ou le basque. L’imaginaire reste imprégné d’une image dévalorisante. Mais si une langue se définit par une grammaire et une graphie normalisée, alors le poitevin-saintongeais en est une, parlée "entre Loire et Gironde, entre Atlantique et Limousin".
La parution de livres en parlanjhe participe bien sûr à sa reconnaissance. L’UPCP-Métive est ainsi à l’origine de la maison d’édition La Geste, dans laquelle elle est toujours très active. Elle publie aussi. En juin 2021 sont sortis deux cahiers de tablatures, une notation qui repose sur la tradition des violoneux. Tirés de documents datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, ces cahiers sont enrichis d’un support CD, pratique pour les enseignants.
Ainsi, l’UPCP-Métive est présente sur tous les plans, de la conservation du patrimoine culturel immatériel à la diffusion de musiques et danses traditionnelles. C’est unique, à l’échelle de tout le territoire national. Manches retroussées, Stéphanie Coulais conclut : "Notre objectif : remplir au mieux nos missions, sauvegarder des archives uniques et accessibles. Et avoir les moyens et les outils pour transmettre et créer."
1Entretien accessible sur le site de l’UPCP-Métive, dans la présentation de la mallette "causàe de maeme avec Mano" (metive.org).