Fidadoc/Nouvelle-Aquitaine : construire un partenariat durable
Délégué général du Fidadoc depuis 2012, Hicham Falah explique comment créer une coopération efficace entre les régions Souss-Massa et Nouvelle-Aquitaine pour faire grandir le festival du documentaire marocain et mobiliser davantage les partenaires locaux.
Quel bilan tirez-vous de cette édition 2019 du Fidadoc, qui s’est déroulée du 18 au 22 juin dernier ?
Hicham Falah : Le festival continue de grandir et de s’imposer comme une place majeure pour voir et produire des documentaires au Maghreb et à l’international. La grande satisfaction cette année, c’est d’avoir trois films en compétition écrits par de jeunes auteurs algériens, marocains et nigérians qui étaient passés par notre programme de formation et d’accompagnement. C’est l’un d’eux qui a gagné le grand prix [Nadir Bouhmouch pour Amussu, ndlr] alors qu’il s’agit d’une compétition internationale avec des films de tous horizons et un jury de haut niveau. On considère l’avancée très positive, rapportée aux moyens disponibles. Malheureusement, le festival manque encore selon moi d’une certaine reconnaissance des partenaires publics et privés marocains. Le Fidadoc souffre de ce qu’on appelle au Maroc le "syndrome du mariage". Les partenaires locaux voient cela comme une fête sans trop prendre au sérieux le travail de médiation culturelle et le lieu d’échange et de rencontres professionnelles qu’il représente. Le festival permet de planter des graines qui pousseront plus tard, c’est un investissement et nous devons le faire comprendre aux personnes qui nous accompagnent, que ce soit les collectivités ou la Ville d’Agadir.
Vous disposez également de partenaires extérieurs. Comment s’organise la coopération avec d’autres partenaires à l’échelle régionale et internationale ?
H.F. : Heureusement, la production de films documentaires et les festivals s’y rattachant sont en pleine expansion. Il y a dans ce secteur une formidable solidarité internationale. Lorsque je commence la préparation d’un festival, je peux compter sur l’aide des grands festivals internationaux qui vont voir avec leur centre national du cinéma s’il est possible de faire venir des experts, prendre en charge une partie des déplacements, etc. Les réseaux de coopération se créent aussi par les rencontres. Par exemple, les échanges avec la Région Nouvelle-Aquitaine ont débuté après avoir discuté avec des producteurs aquitains lors du programme Africadoc au Sénégal. Comme nos deux régions sont liées, et que la Nouvelle-Aquitaine veut créer des projets d’échanges interculturels, il y avait quelque chose à faire. Le défi était de construire un partenariat durable à travers ce festival.
Quels sont les leviers déjà activés pour concrétiser cette coopération entre les Régions Souss-Massa et Nouvelle-Aquitaine et comment la faire grandir dans le futur ?
H.F. : Nous avons d’abord organisé en janvier 2014 les journées FidAC dans le cadre du Festival International des Programmes Audiovisuels (Fipa, devenu depuis Fipadoc) de Biarritz. L’idée était, à l’initiative du Fidadoc et d’ALCA, de permettre à des auteurs et producteurs de six films documentaires – dont trois passés par notre programme d’accompagnement, La Ruche documentaire – de présenter leur projet devant un comité de professionnels invités par ALCA. Des professeurs de l’université de Bordeaux sont également venus donner des cours à la faculté de Ouarzazate. Malheureusement, la relation s’est distendue à partir de 2015 à cause du redécoupage des régions aussi bien en France qu’au Maroc* et avec les élections. Tout a été bloqué. Lorsque les personnes en poste à un endroit changent, les budgets également. Ce n’est pas toujours évident de maintenir le lien. Mais le potentiel de coopération est naturel entre nos régions, il faut juste relancer la machine.
"Dès lors qu’il y a un lieu, un espace culturel où il est possible d’avoir des activités régulières, c’est plus facile de monter des projets d’échanges et de partenariats, avec des collectivités ou des institutions européennes notamment. "
Dans le futur, il y a deux portes d’entrée évidentes, des lieux précis pour bonifier cette coopération : le Fidadoc, en recréant les journées FidAC pour mettre en valeur des projets lancés dans le cadre de notre festival au Maroc et un technoparc en cours de construction à Agadir, un lieu d’accueil pour les start-up et les entreprises innovantes. Je me suis positionné pour avoir un rôle à jouer dans cette structure et sur son exploitation dans le cadre d’un événement comme le Fidadoc. Dès lors qu’il y a un lieu, un espace culturel où il est possible d’avoir des activités régulières, c’est plus facile de monter des projets d’échanges et de partenariats, avec des collectivités ou des institutions européennes notamment. Nous sommes en train de relancer la machine. Par exemple, nous allons travailler avec le Poitiers Film Festival pour leur édition 2019.
Dans quel cadre va s’effectuer cette collaboration ?
H.F. : Le Poitiers Film Festival dispose du programme Jump In qui se rapproche de ce que nous faisons au Fidadoc avec La Ruche documentaire, c’est-à-dire un programme de soutien aux jeunes auteurs-réalisateurs sortis récemment d’une école de cinéma et qui développent leur premier long métrage. Nous allons leur présenter un projet venant de notre Ruche documentaire. L’idée est de permettre à un jeune documentariste de rencontrer des professionnels différents et de s’aguerrir dans la réalisation de son projet en profitant de la dynamique des deux festivals. Notre résidence d’écriture se déroule en novembre et le festival poitevin débute en décembre. Il faut trouver le projet et la personne capable d’enchaîner les deux, mais cette perspective est particulièrement stimulante pour un jeune auteur déterminé.
En quoi consiste exactement le programme d’accompagnement de La Ruche documentaire ?
H.F. : C’est un programme que l’on a créé en 2012, seulement quatre ans après la création du Fidadoc, pour accompagner de jeunes documentaristes marocains et africains dans la réalisation de leur projet. Il y a plusieurs étapes. En juin, pendant le festival, une soixantaine d’étudiants venus des principales universités du pays proposant des formations en cinéma, assistent à des masterclass, réalisent des études de cas et voient des documentaires. On accueille aussi une quinzaine de jeunes qui ont un projet de documentaire à développer. Ils viennent le "pitcher" en public devant un panel de professionnels ayant déjà écrit et réalisé des films. Après étude des projets, on en sélectionne six qui vont participer à une résidence d’écriture au mois de novembre afin de peaufiner ce qu’ils ont à raconter et les lancer dans une dynamique professionnalisante.
Une fois les documentaires écrits et produits, quels réseaux de distribution avez-vous réussi à mettre en place au Maghreb et en France pour faire connaître ces films ?
H.F. : Au niveau national, on a la chance incroyable d’avoir 2M, la deuxième chaîne de télévision marocaine qui a créé une case documentaire intitulée "Des histoires et des hommes" en prime time tous les dimanches soir. On a un partenariat avec eux sur plusieurs années qui a permis de lancer et de démocratiser le documentaire au Maroc. Depuis, le mot "documentaire", "wathai’qi" en arabe, fait de nouveau partie du vocabulaire commun. Pour le reste, nous sommes dans une région du monde où il y a peu de salles de cinéma. Il existe un réseau principal, Naas, qui dispose de vingt-cinq salles de Casablanca jusqu’à Beyrouth dans lesquelles nous essayons de diffuser des films. Ils travaillent ensuite pour les diffuser à l’international. L’Institut français, qui dispose de quatorze écrans dans tout le Maroc, nous aide également en organisant Le Mois du documentaire en novembre au cours duquel des films sélectionnés et/ou créés au Fidadoc sont diffusés. Pour le reste, il s’agit surtout d’une question de temps et d’énergie. Je montre des films au festival Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient de Saint-Denis et j’aimerais travailler en collaboration avec des collèges et des lycées pour faire de l’éducation à l’image et faire connaître le genre. Montrer des documentaires à des jeunes, c’est leur donner envie d’en voir d’autres et pourquoi pas d’en faire, et c’est ça le meilleur réseau de diffusion.
*La Région Aquitaine est devenue, avec le Limousin et le Poitou-Charentes, Nouvelle-Aquitaine en 2015 et la Région Souss-Massa-Drâa, Souss-Massa la même année.