Les Coutures, Limoges


Terre de tournages propose de découvrir des lieux précieux ou secrets, qu'on ne voit plus ou auxquels on ne pense pas. Des lieux dont la singularité ou, au contraire, le caractère universel, permettent aux histoires de prendre place. Thrillers, comédies romantiques, enquêtes policières ou drames contemplatifs, tous les écrins existent. ALCA vous plonge dans une rêverie cinématographique, pour impulser des envies, pour y accrocher des récits, pour révéler le territoire limousin dans toute sa richesse géographique et poétique. Le limousin, une terre de tournages et de légendes à arpenter.
Première légende
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La légende dit que L’Amour Ouf aurait dû être tourné aux Coutures, et que s’il ne l’a pas été, eh bien, il n’est pas trop tard pour l’imaginer.
Alors imaginons. Ça commence par une scène d’une violence terrible. Un jeune voyou mène une expédition punitive. Il a mal évalué les rapports de force. Il est abattu aussitôt arrivé. Une mort bête et brutale. Ça commence à peine, et c’est déjà fini.
Il faut donc recommencer. Vue aérienne des Coutures, au petit matin. La coupole de la gare se découpe sur un ciel laiteux. La manufacture de porcelaine et la cité ouvrière s’enchevêtrent en un dédale de briques rouges. En son cœur, il y a un Minotaure, qui est le destin, et qu’on a déjà vu croquer notre héros. Il y a une Ariane, il y a un Thésée.
Clotaire est un petit agité. Il est fils d’ouvrier. Il ne va plus à l’école. Il passe ses journées à errer entre le skatepark et les épiceries des Coutures. Les week-ends, il s’aventure dans la zone commerciale, à l’affût d’un mauvais coup.
Jacqueline vit de l’autre côté de la cité, dans un immeuble récent, tourné vers la Vienne. Son père est électricien, sa mère est morte dans un accident de voiture. Elle rêve d’ailleurs, et trimballe avec elle une tristesse muette.
Clotaire et Jacqueline se croisent à la fête du quartier, un soir d'été. Clotaire participe à une battle de rap ; Jacqueline l’observe, mine de rien. Il la voit. Il improvise une déclaration. C’est maladroit mais c’est touchant. Il se moque de son prénom, lui dit qu’il l’appellera Jackie. Elle répond qu’elle ne l’appellera pas. On rit. Clotaire se tait. Il a compris : elle est meilleure avec les mots, avec la vie, avec tout. Il l’aime déjà, elle l’aime aussi. Et l’on se sent aimer malgré nous ce jeune homme, cette jeune fille, et leur amour voué à mourir, d’une mort bête et brutale. On comprend alors qu’on nous a joué un vilain tour. Qu’on va pleurer. Beaucoup.
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Seconde légende
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Que ce soit à Limoges ou Saint-Quentin, à Paris ou Rouen, les cités ouvrières de brique rouge entretiennent un paradoxe troublant. Souvent rangées parmi les "quartiers prioritaires", elles vibrent pourtant d’une douceur obstinée. Visitez les Coutures un jour de printemps, et vous le sentirez.
Il y a bien sûr la persistance d’un passé industriel. La gare n’est pas loin, la manufacture de porcelaine non plus. Il faut pousser à peine pour retrouver les ateliers de chaussures. Les Coutures racontent cette époque où la ville prenait soin de loger ses ouvriers à proximité de leur usine, dans des logements modestes mais bien conçus. Dès les années 30, on y trouve l’eau courante et le gaz, des toilettes et des sonnettes électriques. Les cours accueillent des jardins, les façades jouent sur la répétition des motifs et la polychromie des briques. Le quartier se veut auto-suffisant, les rez-de-chaussée accueillent des boutiques. On y vit bien — et ensemble. Tout est pensé pour favoriser la vie en communauté : les plis et replis, les passages, le lavoir, les bains-douches, les coopératives et associations… Il y a un certain prestige à vivre aux Coutures.
Il y règne toujours une forme de calme. Moins de circulation, plus de visages connus. Quelque chose de familial. L’industrie n’est plus là pour faire le lien. Parfois même la langue fait défaut. Mais on se mobilise. On s’entraide. Et puis il y a les enfants. Dans les jardins, les aires de jeu, les cours d’école. À l’ombre des murs rouges, on voudrait que la ville leur soit douce.