OFNI, un festival de découvertes et d’expérimentations visuelles en Nouvelle-Aquitaine
Née en 2001, l’association poitevine Nyktalop Mélodie déploie tout au long de l’année des activités de production, médiation et transmission autour de l’image et du son dans plusieurs villes de Nouvelle-Aquitaine. Chaque mois de novembre depuis seize ans, elle organise le festival OFNI, Objets filmiques non identifiés. Une programmation unique en région, radicale, multiforme et internationale, de films expérimentaux, ciné-performances VJing, concerts et expositions dans une diversité de lieux partenaires. Stéphane Le Garff, artiste photographe plasticien, dirige l’association depuis son bureau au sein de Level 6 à Poitiers.
Stéphane Le Garff : L’association a été créée à Poitiers par un collectif d’artistes ayant des activités autour de l’image et du son dans le but de diffuser et de porter la création d’un ciné-concert sur film muet. L’idée a été abandonnée mais le collectif formé s’est lancé dans d’autres projets de création liés à l’image. La première soirée proposée par Nyktalop Mélodie s’appelait "Cartoonesque" et mélangeait sur deux lieux des cartoons des années 1930 avec du VJing et des mix son créés en direct par les membres de l’association. On démarrait le VJing à Poitiers. La pratique est née dans les années 1980 mais préexistait sur des films 16 mm. Le principe de la lanterne magique du XVIIe siècle était déjà de la performance, comme nous l’avons montré lors d’une ouverture du festival OFNI au Lieu Multiple de Poitiers, croisant pré-cinéma et arts numériques.
Qu’est-ce qui a motivé la création du festival OFNI ? Quel est son propos ?
S.L.G : Avant 2003, Nyktalop Mélodie organisait des événements ponctuels sans budget, principalement des formes live expérimentales mélangeant de l’image et du son. Nous avons voulu créer un événement régulier sous forme de festival. OFNI a perduré et a permis à l’association de se développer. Le premier OFNI est né dans trois villes : Châtellerault, La Rochelle et Poitiers. Cette dimension régionale était une volonté dès le départ malgré un budget dérisoire. Les croisements avec les villes sont nés de rencontres, de l’envie de collaborer avec des structures et des personnes. L’objectif du festival est de diffuser de la création visuelle, toutes les formes d’expérimentations performatives de l’image et du son. Nous proposons une diffusion permanente de films expérimentaux, près de 200 au total, mais notre intérêt premier et assumé, quand le budget le permet, reste d’accompagner des œuvres d’expérimentations visuelles live hors normes.
Comment se construit la programmation du festival ?
S.L.G : Elle s’élabore avec les lieux partenaires puisque nous sommes souvent en coproduction. Les programmateurs des structures culturelles nous connaissent bien. Nous regardons ensemble ce qui peut rentrer dans nos envies croisées, ce qui leur permet d’ouvrir leur programmation. Le festival n’aurait jamais pu exister sans ces collaborations, nous manquons de budget pour organiser ce type de manifestation, surtout n’étant partis de rien ! Pour l’avant-première de Funérailles des roses de Toshio Matsumoto, le TAP (Théâtre auditorium de Poitiers) a été intéressé par la rareté du film et j’ai enfin trouvé une copie restaurée.
Je choisis des films que je connais, parfois vus en DVD/VCD, en festival ou dont j’ai entendu parler. Nyktalop est aussi liée à deux distributeurs de cinéma expérimental, Light Cone et le Collectif jeune cinéma. Le rôle du festival est de pouvoir accompagner par le débat des films qui, sinon, seraient invisibles. Dans l’histoire d’OFNI, nous en avons montré beaucoup, comme Caniba de Paravel et Castaing-Taylor sorti de façon inaperçue à l’été 2018. C’est un film qui questionne et que nous avons choisi de programmer avec le Dietrich de Poitiers. C’était aussi le cas de Docteur Chance de F. J. Ossang ou Aaltra de Delépine et Kervern dont personne ne voulait à l’époque. En 2017, nous avions Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico en avant-première, en présence de deux actrices du film et de la productrice, trois mois avant sa sortie réussie.
"Le cinéma est notre entrée première mais OFNI c’est aussi de la musique, du spectacle vivant, des arts numériques et une vingtaine d’expositions. "
Qu’en est-il des autres activités de l’association ?
S.L.G : Les activités de transmission sont sur la même ligne avec des ateliers de pratique. Nous nous adressons à tout type de public, de l’école jusqu’à l’EHPAD en passant par la prison. Dans ce dernier cadre, les détenus font les images à l’intérieur de la prison tout en apprenant à se servir des outils live. Nous constatons avec intérêt, dès le deuxième jour d’atelier, que le regard des détenus change sur ce qui les entoure. Un objet, la moisissure, les barreaux deviennent de la matière visuelle. Avec les seniors, nous avons travaillé sur des souvenirs, parfois flottants puisque certains n’en ont plus du tout. Nous avons produit avec eux des créations plastiques sur diapositives argentiques, de belles rencontres d’histoires personnelles.
En 2018, Nyktalop a construit deux dispositifs interactifs dans un module spatial en lien avec l’ouvrage de Marion Montaigne, Dans la combi de Thomas Pesquet, pour l’exposition BD et SF "C’est arrivé demain" du Miroir à Poitiers. Nous avons mené beaucoup d’autres projets de diffusion en parallèle d’OFNI, comme les Nyktalab, ateliers participatifs, Écran Parallèle et deux salons des éditeurs indépendants.
Depuis dix-sept ans, le travail de Nyktalop Mélodie a permis l’émergence d’artistes et de formes nouvelles de création dans le domaine des arts visuels. Quels ont été vos moyens pour faire aboutir ce travail ?
S.L.G : Essentiellement du bénévolat, nous n’avons jamais eu de budget de fonctionnement. Cela nous bride et nous condamne à des projets parfois aléatoires. À partir de 2011, l’association a pu financer des emplois grâce à ses ressources propres provenant des ateliers et des créations, complétées par des aides publiques. Aujourd’hui je suis le seul salarié à mi-temps en raison des baisses de financement et de la fin des emplois aidés. La diversité des champs – cinéma, spectacle vivant, production – devrait être un atout mais pose problème pour obtenir des aides, nous n’entrons pas dans les critères des dispositifs de soutien. Nyktalop fait preuve de longévité et bénéficie de reconnaissance, mais nous restons à la marge, hors cases préformatées. C’est devenu plus compliqué, mais nous allons continuer à soutenir des projets non normés et poétiques, dont l’objet reste l’expérimentation… du pré-cinéma au post-cinéma.