Ségur-le-Château


Terre de tournages propose de découvrir des lieux précieux ou secrets, qu'on ne voit plus ou auxquels on ne pense pas. Des lieux dont la singularité ou, au contraire, le caractère universel, permettent aux histoires de prendre place. Thrillers, comédies romantiques, enquêtes policières ou drames contemplatifs, tous les écrins existent. ALCA vous plonge dans une rêverie cinématographique, pour impulser des envies, pour y accrocher des récits, pour révéler le territoire limousin dans toute sa richesse géographique et poétique. Le Limousin, une terre de tournages et de légendes à arpenter.
Première légende
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La légende dit que c’est à Ségur-le-Château que tout a commencé.
Ce n’est pas encore l’hiver, et un soleil doré se lève paresseusement sur les ardoises, les pierres déjà anciennes du bourg. Les portes grincent, les volets s’entrouvrent, des enfants s’égaillent dans les ruelles. Le château surplombe la scène, attentif et sombre, perché comme un rapace sur son éperon rocheux.
Au loin, une rumeur monte. Le martèlement des sabots résonne bientôt sur le pont de pierre. Les bannières claquent dans l’air frais du matin : le cerf couronné de la maison Baratheon avance dans poussière. Le roi Robert est là, massif. Deux décennies de festins trop gras, trop arrosés, ballotés sur le dos d’un cheval fourbu. Pourtant, toujours cette aura de sauvagerie. Et le contraste saisissant que fait, à ses côtés, la reine Cersei. Il y a encore l’œil amusé de Jaime, celui vide de Joffrey, et tout le poids d’une armée.
Ned Stark les attend sur la place. Il reconnait son frère d’arme. Il pourrait se réjouir. Mais quelque chose l’inquiète. On ne sait pas quoi : ce n’est que le début d’une longue histoire. Alors on scrute les signes, sous les bannières et la fanfare, les accolades et les sourires. Mais au fond, on a déjà compris : la lumière d’or qui baigne le village cédera bientôt à l’ombre, qui s’étend, lente, inexorable, sur Westeros.
À quel point Ned en est-il conscient ? Se voit-il déjà sombrer dans le cloaque de Port-Réal ? Sait-il sa famille, le royaume, le monde voués à être broyés par la grande roue du pouvoir ? Sent-il venir l’hiver ?
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Seconde légende
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Le silence pesait sur la cour des Appeaux. C’était l’hiver, les murs de pierre suintaient. L’air avait cette viscosité fétide des lieux clos, où les haleines se mêlent aux émanations du suif. Bedaines insolentes et dents noires, les notables du lieu s’étaient rassemblés autour du juge royal, un nouveau venu drapé de laine sombre. C’était plus qu’un jugement qu’ils attendaient — c'était la confirmation de leur bon droit, de leur élection divine, appuyée, s’il le fallait, par un glaive terrestre.
L’accusé était l’un des leurs. Pas le plus remarquable, certainement pas le plus futé, mais l’un des leurs quand même — un petit seigneur, accusé par ses serfs d’avoir fait pendre, sans procès, un garçon pour vol de grains. Condamné à Bordeaux, il avait fait appel ; tout le procès devait se rejouer au calme de Ségur, loin des regards.
Le père de l’enfant avait souffert du déplacement. Il dévidait son discours patoisant, étranglé par la peur et le chagrin, compris de personne et les impatientant tous. Le juge soupira. Il interrogea l’accusé, qui eut au moins l’élégance d’être bref. Ce fut la seule. On aurait ramené sans le trahir son témoignage à la sentence : "Je tue celui qui me vole."
Le clerc lut les chartes. Le prévôt confirma que la pendaison s’était faite sans preuve ni procès. La salle murmura. Oui, soit. Mais l’ordre. Enfin le juge leva la main : "Le droit est clair. Nul ne peut ôter la vie sans jugement." L’accusé pâlit, pas sûr d’avoir compris. Les notables se tournèrent, effarés, vers le juge. Il les fixait en retour. La haine embrasait ses pupilles.