Angoulême : tous ensemble pour les créateurs
Porté par le rayonnement du Festival international de la bande dessinée, le territoire angoumoisin vit au rythme de la bande dessinée depuis des années. En plaçant les auteurs toujours plus au cœur des dispositifs, l’ensemble des institutions et opérateurs créent un panel d’accompagnements rarement égalé et réussissent le pari de la coopération. Un exemple à suivre.
La BD et Angoulême, 45 ans d’histoire partagée
42 000 habitants intra muros, 141 000 environ pour la communauté d’agglomération… Ce n’est pas à la taille que se mesure la dynamique d’un territoire. L’histoire croisée d’Angoulême et de la bande dessinée s’écrit depuis la création du festival en 1974, qui participe à inscrire cette discipline parmi les arts majeurs. L’ADN BD de la ville se lit jusque sur ses murs et dans son mobilier urbain : monuments, boîtes aux lettres, bus, statues… Les rues se parent des images des plus grands bédéistes et la mairie a même développé une application dédiée, permettant de géolocaliser les œuvres.
En choisissant Angoulême parmi les "villes créatives" mondiales en 2019, l’Unesco a confirmé l’importance du 9e art et couronné 45 ans de travail de fond mené sur le territoire pour valoriser et professionnaliser la bande dessinée. Cette reconnaissance est le fruit d’actions concertées entre tous les opérateurs et institutions, en impliquant également les auteurs locaux. Le plan d’actions présenté lors de la candidature décline neuf axes d’interventions qui se pensent localement, mais en s’appuyant sur un réseau devenu mondial. Ainsi, le plan prévoit de mettre en place un prix international pour la création urbaine autour de la bande dessinée, en s’appuyant sur les réseaux de designers présents dans les "villes design" de l’Unesco, afin de créer du mobilier urbain : Graz, Shenzhen, Saint-Étienne et Montréal sont d’ores et déjà intéressées... Un rayonnement qui ouvre des champs d’exploration encore insoupçonnés mais très stimulants pour une ville qui joue maintenant dans la cour des grands.
En réalité, le territoire a su depuis de nombreuses années créer une dynamique économique et créative qui a fait d’Angoulême et de son territoire une "capitale de l’image" attractive, alliant campus dédié à la création artistique et à l’image1, accompagnement des entreprises et des créateurs, grâce entre autres à Magelis et à la Cité regroupés au sein d’un quartier rénové. "Aujourd’hui, près de [2602] auteurs et illustrateurs résident à Angoulême et cette initiative a créé au cours des vingt dernières années près de [1 500] emplois équivalent temps plein au sein de 90 entreprises – TPE et PME productrices de contenus culturels (séries TV ou de longs métrages, éditeurs de livres et spécialistes de la communication, du son et de la musique) – implantées sur le bassin angoumoisin3." Une dynamique qui se poursuit aujourd’hui à travers la création de tiers-lieux4 et qui trouvera également un nouveau souffle à l’international. C’est d’autant plus remarquable que cet élan est porté par l’ensemble des acteurs locaux, en premier lieu les financeurs : le Conseil départemental de la Charente, la Ville d’Angoulême, la communauté d’agglomération GrandAngoulême ; mais également les opérateurs : le Pôle Image Magelis, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et sa Maison des auteurs (MDA). Chacun a son endroit, avec ses champs de compétences propres, mais allant tous dans le même sens. Au sein des différents CA, de groupes de travail communs, ils se rencontrent, échangent et coconstruisent des outils au service de la bande dessinée et des auteurs5.
Auteurs de bande dessinée : urgence !
Plusieurs rapports ont permis aux acteurs locaux de prendre conscience de la situation criante des auteurs de bande dessinée : les États généraux de la BD en 2016, pointant la grande précarité économique de beaucoup d'entre eux ; le rapport rendu au ministère de la Culture par le directeur de la Cité, Pierre Lungheretti, en janvier 2019, présentant 54 propositions "pour une politique nationale renouvelée"6 ; l’étude menée courant 2019 par Pili Muñoz, responsable de la MDA, sur les auteurs de BD à Angoulême ; et enfin, plus récemment, le rapport Racine qui, s’il ne parle pas exclusivement des auteurs de BD, est rédigé par le président de l’Association pour le développement de la bande dessinée à Angoulême…
L’ensemble de ces réflexions, concordantes quant au constat posé, ont permis d’élaborer des plans d’actions à destination des auteurs. Car si leur besoin principal, à savoir une meilleure répartition des revenus issus de l’exploitation des œuvres, n’est pas dans les mains des acteurs en place, tous souhaitent répondre néanmoins à l’urgence de la situation.
La MDA rassemble, au sein d’un groupe de travail élargi, les acteurs locaux référents mais également le Conseil régional, ALCA et la Drac afin d’œuvrer au financement et à la mise en œuvre concrète d’actions réparties dans quatre champs : vivre et travailler, favoriser les nouvelles opportunités de travail, soutenir la création et développer l’éducation artistique et culturelle (EAC). Parallèlement, GrandAngoulême a souhaité mettre en place un plan d’actions renforcé, impliquant l’ensemble des services de l’agglomération : dix actions sont en cours de mise en œuvre, en cohérence avec les autres, touchant entre autres à l’éducation, l’édition, l’urbanisme, le lien aux entreprises, l’habitat, la communication…
Parmi les axes majeurs qui se dégagent de ces plans, on peut en noter certains particulièrement originaux.
L’accompagnement social des auteurs
La permanence juridique proposée aux auteurs à la MDA est étendue à trois jours par semaine et permettra au permanent d’assurer un rôle de référent vis-à-vis des administrations. Ce service s’accompagne d’une expérimentation mise en place avec les services départementaux gérant le RSA des auteurs : les personnels administratifs sont formés aux particularités des métiers de la création et de l’édition et inversement, la MDA est également formée pour mieux comprendre les arcanes du RSA. De quoi fluidifier les échanges… Un autre volet concerne l’habitat : parc de logements, en dialogue avec les bailleurs sociaux, mais également parc d’ateliers (Magelis gère deux immeubles d’ateliers partagés, la MDA accueille 50 auteurs par an, parfois sur des durées longues). Il s’agit à la fois de faciliter les conditions de vie des auteurs et de favoriser l’installation de nouveaux entrants sur le territoire.
Les débouchés professionnels et la diversification
Les acteurs sont attentifs à l’entrée sur le marché du travail : une résidence de création au sein de la MDA, proposée à un(e) étudiant(e) à l’issue de sa formation à l’EESI, a été expérimentée depuis un an et devrait s’élargir à d’autres écoles du campus. Des outils pratiques (livrets, ateliers, tutorats…) sont en cours de réalisation pour favoriser l’installation des jeunes diplômés. Des aides à l’autoédition (souvent importante au démarrage des activités dans ce domaine) et aux projets collectifs sont portées par GrandAngoulême et Magelis.
La mise en relation avec les entreprises est également renforcée : site Internet faisant la promotion des créateurs angoumoisins, formation des entreprises aux modalités de travail avec des auteurs (statuts, rémunération, cessions de droits…) ou événements permettant leur rencontre, présence sur des salons… GrandAngoulême s’est ainsi engagé depuis trois ans à faire travailler systématiquement des auteurs locaux pour leurs supports de communication.
Faire connaître les auteurs localement
Si la ville vit au rythme de la bande dessinée, les habitants ne connaissent pas suffisamment les créateurs qui vivent et travaillent sur place. Plusieurs dispositifs visent à présenter cette richesse territoriale, notamment à travers des programmes renforcés d’EAC portés par l’agglomération et la Ville, qui font rencontrer des bédéistes aux enfants lors d’ateliers en classe. Enfin, une exposition du photographe Alain François montrant les auteurs dans leur quotidien sera proposée à l’Alpha d’Angoulême, de mai à septembre 2020 et placardée partout dans l’espace public tout au long de l’année.
Un bel hommage à ces artistes, à l’image de la place qui leur est faite sur ce territoire hors norme.
112 écoles forment plus de 1 300 étudiants par an, et bientôt l’installation d’une école 42 de codage.
2Les chiffres indiqués dans l’article ont été mis à jour selon les informations fournies par Magelis.
3Cristina Badulescu, Valérie-Inès de La Ville. D’un territoire dédié aux industries culturelles à une économie créative : les défis de la technopole du Grand Angoulême, XXIe Congrès de la SFSIC : Création, créativité et médiations, juin 2018, Paris.
4Comme la New Factory portée par la Cité (cf. p. 31 dans ce numéro), Crealab, au sein du Technopart Krysalide, porté par GrandAngoulême…
5On peut noter que les auteurs participant aux instances de réflexion sont dédommagés pour leur travail.
6La Bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle, Pierre Lungheretti, rapport au ministre de la Culture, janvier 2019, accessible sur le site du ministère.