Au fer rouge
Au fer rouge de Marin Ledun aux Éditions Ombres noires.
Marin Ledun poursuit-il sa "saga" noire sur le pays Basque dans son dernier roman qui vient de paraître ? A priori, oui : on y retrouve certains personnages qui s’étaient tristement distingués dans son précédent thriller, L’homme qui a vu l’homme aux éditions Ombres noires et J’ai Lu. Et la question traitée tourne toujours autour du pays Basque et de la manière, pour les États concernés, d’en éradiquer le terrorisme supposé de ses militants nationalistes.
Mais ici plus de journaliste investigateur : le devant de la scène romanesque se partage, presque à égalité, entre policiers enquêteurs et nervis de tout acabit. Les uns et les autres se penchent sur le cadavre de Domingo Augusti, trouvé dans une valise, sur une plage du sud des Landes. Présenté comme un trafiquant d’héroïne exécuté par ses complices quasiment avec l’assentiment de policiers français, c’est en fait un ancien militaire espagnol impliqué dans des affaires d’enlèvement d’Etarras. Les policiers grattent (ou font semblant), découvrent (ou font semblant de découvrir) peu à peu l’implication de Javier Cruz, un policier espagnol qui fut détaché auprès de la sous- direction anti-terroriste de Bordeaux, dans la liquidation de cet encombrant témoin.
Ce Cruz n’est pas un inconnu pour les lecteurs de l’opus précédent ; alors homme-orchestre de la disparition de journalistes, il déclenche ici une opération ironiquement qualifiée de "tempête dans les montagnes", avec ses séides : il s’agit de gagner beaucoup de fric via des opérations délictueuses pour financer la lutte clandestine contre le mouvement nationaliste. Ce personnage est une sorte de Vautrin moderne ; tout comme la créature de l’univers de Balzac, il est truand et policier, dans le même temps.
Mais voilà : les intérêts particuliers des crapules ne vont pas nécessairement coïncider avec les intérêts généraux, fussent-ils crapuleux eux aussi : "sa multinationale de la paix et de la peur organisées", ce grand dessein personnel de Cruz pour le petit pays basque va-t-il réussir ?
Ainsi, le roman est-il un impressionnant chassé-croisé des éléments fondateurs d’une œuvre "paranoïaque" : théories du complot, fausses accusations, idées fixes et scélératesse sans limites. À la manœuvre, des personnages qui constituent comme un chœur à la criminalité plutôt vertigineuse, en général. Car c’est un des aspects novateurs de la construction romanesque de Marin Ledun : la mise à nu des mécanismes criminels par les acteurs eux-mêmes. Et un éventail de policiers à la morale professionnelle assez lâche : "je sais bien qu’il ne t’arrivera rien parce que tu es prudent" dit la femme de l’un, lequel s’interroge auprès de son chef : "je me suis toujours demandé où était la frontière entre sens du devoir et compromission". Il n’aura pas de réponse… Un autre est déjà jusqu’au cou dans les tripatouillages et tente de tirer son épingle du jeu… Le troisième enquêteur une femme, Emma, a décidé de consacrer sa vie à la lutte contre le terrorisme… Vaudrait-elle mieux que ses collègues ? À vous de le découvrir… Et ne parlons pas de Cruz et de sa bande, pas plus que d’un industriel bayonnais ou du procureur de la république.
La construction de ce jeu de massacre brasse avec réussite un mélange détonant d’urgence, de colère froide et d’analyse cruelle d’un monde (de fiction), si proche du nôtre et décidément bien mal-en-point.
Au fer rouge
de Marin Ledun
Éditions Ombres noires
Janvier 2015
460 pages
20 euros
Isbn : 978-2-08-133488-5
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