Paysages d’auteurs, la série de documentaires sonores littéraires accompagnée par le réseau des résidences


Paysage d’auteurs est une création sonore en quatre épisodes, réalisée par l’écrivain Romuald Giulivo. Elle donne à entendre les voix d’auteurs et d’autrices qui déambulent en duo sur un territoire choisi – familier pour l’un, étranger pour l’autre – et dialoguent sur leur rapport à ce paysage, sur ses résonances avec leur intériorité. Ce projet, développé en Nouvelle-Aquitaine, avec des artistes d’ici et d’ailleurs, a été soutenu par la Direction régionale des affaires culturelles et accompagné dans sa logistique et sa diffusion par le réseau régional des résidences d’écriture. Romuald Giulivo, aux manettes pour l’association Un Autre Monde, déploie dans cette production les fondamentaux de ses propres pensée et pratique artistiques.
Paysages d’auteurs s’inscrit dans l’ADN de l’association Un Autre Monde, collectif d’artistes porté par l’autrice Lucie Braud et Romuald Giulivo, dont l’objet est de concevoir et de diffuser des créations originales qui se déploient dans différents champs : éducation artistique et culturelle, spectacle, médiation, nouveaux médias, etc. "Avec l’idée essentielle de donner la parole aux auteurs, d’écouter leur voix, précise Romuald Giulivo, mais selon un biais spécifique. Je trouve que les artistes sont souvent plus intéressants quand on leur fait faire un pas de côté : lorsqu’on leur demande, par exemple, de parler du travail des autres, de leurs lectures ou du regard qu’ils portent sur le monde." Autre singularité des projets menés par le collectif : ils sont construits selon les points de vue artistiques de leurs deux fondateurs et nourrissent leur propre travail créatif.
Ainsi, Paysages d’auteurs a été entièrement pensé selon l’approche, la sensibilité, les envies et les questionnements artistiques de l’écrivain Romuald Giulivo : "L’idée de ce projet est de faire travailler l’imagination, de se rapprocher du livre, qui évoque des images sans les montrer. La question de la différence entre l’image et le son m’intéresse. Je pense à la scène de viol dans Orange mécanique, avec Franck Sinatra en bande-son, ou comment Ozu filme toutes les scènes de dispute de couple avec une caméra à ras du sol. Je me suis toujours demandé comment transposer dans l’écriture ce qui est lié à l’image."
Quant à l’idée de travailler sur la notion de paysage, elle répond à sa vision globale et personnelle de l’histoire littéraire : "Je pense qu’il existe deux grandes tendances dans la littérature : il y a les auteurs, notamment européens, qui vont travailler le rapport au temps, et ceux qui s’intéressent d’abord à la géographie. Cette dernière catégorie correspond plus à la littérature nord-américaine – Faulkner, Hemingway… –, même si ce n’est pas si simple que cela, les deux dimensions coexistant parfois. Pour moi, en tant qu’écrivain, un livre commence toujours de la même façon : c’est quelqu’un quelque part."
Ce rapport à l’espace, qui est au cœur de ce projet de documentaires sonores, Romuald Giulivo l’aborde comme dans son propre travail d’écriture, en cherchant à capter les émotions et les sensations qui définissent ce qu’il appelle notre "paysage intérieur". Les auteurs et les autrices qu’il invite à s’exprimer face à un paysage donné sont ainsi rapidement amenés à parler de leur intériorité, de ce que la vue de ce lieu provoque en eux, bien au-delà de la réalité qu’ils ont devant les yeux.
Prenons pour exemple le récit que Romuald Giulivo fait du tournage du premier épisode, qui réunissait l’écrivain Erwan Desplanques et l’autrice Hélène Gaudy dans le port de Bordeaux : "Je trouvais cela intéressant de travailler sur les apparences qui sont fausses. Le Bordeaux maritime est un décor de théâtre, c’est un port dans une ville où il n’y a pas de mer. Erwan Desplanques, qui a habité plusieurs années à Hossegor, a très vite décalé son regard pour évoquer son rapport à la mer. C’est un peu comme si on était devant une toile tendue ou un décor de cinéma."
Si la forme et la thématique du projet reposent sur les partis pris d’auteur de son concepteur, celui-ci tient néanmoins à s’effacer pour laisser toute la place à la parole des artistes : "Le fait qu’il n’y ait pas de voix guide est essentiel pour moi. Je veux que les deux voix se répondent sans que l’on m’entende. C’est très important aujourd’hui, où la parole des médias, des éditeurs, des libraires, etc., l’emportent sur celle des auteurs, d’entendre des voix libres d’artistes."
Accueillir la parole de l’autre est l’exigence de ce projet, qui réunit à chaque séquence un auteur du territoire et un autre venu d’ailleurs ; soit un regard porté sur un paysage familier en vis-à-vis de celui que pose un artiste étranger sur ce même site. "C’est le travail de l’altérité, explique Romulad Giulivo, une manière de susciter la rencontre. Cela relève de la notion de convivialité incombant à la personne qui est sur son propre territoire. D’un autre côté, il y a toujours des moments fugaces, dans la vie, où tout à coup, tu regardes différemment un paysage ou un visage familier. J’espère que le fait d’inviter une personne qui n’est pas originaire du lieu va susciter ce regard décalé."
L’altérité est d’autant plus prégnante lorsque, pour le troisième épisode, se trouvent réunis non plus deux artistes, mais un scientifique travaillant sur le Parc naturel des Landes de Gascogne, Jean-Philippe Ruguet, et une poétesse iranienne, Banafsheh Farisabadi.
"Se confronter à d’autres pratiques et faire dialoguer des perceptions différentes" sont, là encore, des approches que Romuald Giulivo, ingénieur de formation, applique dans sa propre pratique artistique. Car, au-delà des œuvres produites par les écrivains invités, il s’agit bien plus, dans ces documentaires sonores, de révéler, dans l’instant présent du tournage, des regards singuliers et des processus créatifs, comme un instantané photographique. Pour rester dans la magie de cette imprévisibilité, Romuald Giulivo prépare le moins possible ces entretiens, de la même manière qu’il pratique la musique improvisée. Et pour se concentrer sur l’échange avec les auteurs, être en situation totale d’écoute, il a confié les prises de son à un professionnel du cinéma, Olivier Vieillefond.
Il restera le montage, étape décisive : "La partie montage me fascine. J’ai une matière sonore, la parole des auteurs, à partir de laquelle je peux créer. Je vais montrer des pensées, des émotions en route, avec leurs fêlures, leurs défauts, leurs incapacités, parce que c’est là que se loge l’humanité, mais en étant toujours dans la bienveillance."
Les structures d’accueil auront eu un rôle important dans ce dispositif, notamment les lieux de résidences du réseau régional de Nouvelle-Aquitaine, alliés essentiels dont Romuald Giulivo salue les compétences : "Ce partenariat est primordial. D’abord parce que je n’aime pas travailler seul sur ce genre de projet. J’ai envie de remettre en question mes certitudes et je n’ai pas la connaissance de toute l’actualité des auteurs régionaux ou de ceux qui passent par ce territoire. Quand j’ai voulu aller sur les terres du Sud Gironde et évoquer le rapport aux incendies, avec l’idée de travailler sur la manière de reconstruire la mémoire d’un lieu où il n’y a plus rien, je n’avais pas la connaissance du territoire ni des auteurs qui ont travaillé sur ce sujet. J’ai donc fait appel au Chalet Mauriac et au réseau des résidences qui m’ont aidé pour les repérages et m’ont proposé des artistes. Ils m’accompagnent dans l’ingénierie culturelle et cela apporte aussi une plus-value à leurs actions. Je pense que nous sommes complémentaires. Cette mise en réseau est importante et permet aux projets de durer dans le temps."
Le lancement de Paysages d’auteurs aura lieu le 24 mai à Saint-Léon-sur-Vézère, dans le cadre du festival littéraire Les Plumes de Léon. D’autres moments d’écoute collective seront programmés en Nouvelle-Aquitaine, la promesse que ces voix d’auteurs résonneront encore longtemps sur ce territoire.
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1. https://www.1autremonde.eu/
2. Le quatrième épisode de la série réunissait Lydie Palaric, artiste photographe, directrice de la Forêt d’Art contemporain et autrice de Le Sens du vent (éditions L’Entre-deux-Mers, 2025), et Pascale Moisset, écrivaine jeunesse et autrice de l’album Feu (éditions Courtes et longues, 2025), sur une zone incendiée du Sud Gironde, près de Landiras.
3. La résidence d’écriture Les Plumes de Léon (https://www.lesplumesdeleon.com/residence.html) était partenaire du deuxième épisode enregistré sur le site préhistorique de La Madeleine, en Dordogne, avec l’auteur et metteur en scène Ismaël Jude, et l’autrice de bande dessinée et illustratrice Laureline Mattiussi.