La poétique de l’instant lu
Lauréate d’une aide à la création en 2021, Catherine Berthelard a été accueillie en plusieurs étapes entre juin et novembre au Ciel de Royan pour son projet intitulé Mosaïque d’estuaire. Cette résidence, soutenue par ALCA dans le cadre du réseau des résidences en Nouvelle-Aquitaine au titre d’artiste émergente, a été proposée et conçue par le Ciel de Royan.
Cet espace-temps consacré à la construction d’un travail complexe à la fois d’écriture, de mise en voix et en musique d’une diversité de textes et de paroles, a permis à Catherine Berthelard d’achever une œuvre originale et collaborative, dont le théâtre est l’estuaire de la Gironde à son embouchure, entre fleuve et océan.
Votre résidence au Ciel de Royan est consacrée à la création d’une œuvre performative associant poésie, lectures musicales, voix, musique sera présentée en novembre à Royan. Quelle est l’origine du projet ?
Catherine Berthelard : Depuis plusieurs années, ici à Royan, j’ai mené plusieurs projets d’écriture, des stages et des lectures musicales. En 2020 notamment, en collaboration avec Annette Coquet de la compagnie Écoute s’il pleut encore, j’ai créé une lecture déambulatoire sur les trois étages du Ciel de Royan.
Au fil du temps, j’ai exploré cet espace de l’Estuaire, ses paysages, ses habitants, la richesse de son histoire et de son architecture. Ce territoire, très poétique, est devenu pour moi une puissante source d’inspiration et de création. J’avais aussi envie de poursuivre le travail entamé avec Véronique Willmann au sein du Ciel de Royan où se croisent les différentes expressions artistiques.
La lecture et l’écriture ont jalonné votre vie et la poésie a été déterminante dans votre parcours, en particulier la lecture de Rimbaud. La poésie est le socle de ce nouveau projet. Comment s’est-il forgé ?
C.B. : En effet la poésie porte mon travail parce qu’elle réinvente sans cesse les choses, elle est faite de silences, de ce qui est indicible, de ce qui résiste au banal… Elle m’a inspiré un travail avec des petits carnets où je peux inscrire des esquisses, des fragments de textes, de toutes petites choses qui peuvent être très poétiques. Depuis 20 ans, je conserve ces traces précieuses de moments de vie, de mémoire de lieux ou d’un début de création.
La poésie appelle la voix, la mise en voix. Elle est source de rencontres, de croisements avec d’autres expressions comme la photographie, la musique, la danse.
Un philosophe m’accompagne dans le projet Mosaïque d’estuaire : c’est Gaston Bachelard. Dans son ouvrage La Poétique de l’espace, Bachelard invite à explorer la dimension imaginaire de notre relation au monde et à cultiver par la rêverie notre "joie d’habiter". En somme, c’est notre imaginaire, nos rêves qui créent le paysage.
"J’ai voulu sonder les marges : dans l’estuaire, il y a ce que l’on voit et perçoit, mais qu’en est-il de ce qui se cache derrière ses vastes paysages ?"
C’est à partir de la "matière" de vos carnets que vous travaillez votre projet, mais pas seulement…
C.B. : Le temps de la résidence me permet d’écrire, de rassembler des travaux que j’ai élaborés dans plusieurs lieux. La construction intègre aussi des écrits des habitants de l’estuaire, des récits où ils évoquent les deux rives. Pendant ma résidence, j’ai conçu une carte postale où j’invite toute personne qui le souhaite de livrer en quelques mots leur "lieu de joie", l’endroit de l’estuaire qui rend heureux.
En suivant Bachelard, l’enjeu est d’explorer la notion d’habiter l’espace, notre espace intérieur et extérieur ; comment le réel et l’intime influencent notre façon d’être au monde.
J’ai voulu sonder les marges : dans l’estuaire, il y a ce que l’on voit et perçoit, mais qu’en est-il de ce qui se cache derrière ses vastes paysages ?
Au cœur de cette recherche, il y a la notion de traversée parce qu’elle jalonne toute notre vie : traversée des espaces physiques et intimes, traversée des âges, des saisons, des périodes agréables ou troublées… Elle est le fil de ma création. Elle représente aussi notre capacité à rester en mouvement et cette dimension est importante dans la crise que nous traversons.
Je m’intéresse à cette oscillation entre le dedans et le dehors : comment ce qui est en nous va prendre forme à l’extérieur, comment l’extérieur va donner forme à notre espace intérieur. J’ai prêté une grande attention à ce mouvement d’aller-retour – dedans-dehors – car je voudrais qu’il structure la façon de dire sur scène.
Cette carte postale, diffusée dans l’aire de l’estuaire comme une bouteille jetée à la mer, a livré de nombreux secrets.
Vous travaillez avec un musicien. Comment allez-vous associer ces matières et disciplines ?
C.B. : Le fil rouge, c’est la mosaïque, sa trame, son appui sur des lignes sonores.
Le travail pendant la résidence a été de réfléchir à l’articulation entre les différentes disciplines, entre écriture, lectures, mouvements, musique, de peaufiner une méthodologie.
Depuis toujours la musique accompagne l’écriture de mes textes. Jean-Michel Jaron est musicien et chorégraphe ; nous travaillons tous les deux en résonance. Ce dialogue est intéressant et très fécond.
En parallèle des cartes postales, nous avons décidé d’accompagner cette création par des ateliers d’écriture à la médiathèque et au musée de Royan. En octobre dernier, deux journées ont été consacrées à l’écriture de textes par des personnes qui ont accepté d’y participer pour livrer leurs regards sur l’estuaire, sur leurs espaces de joie. Le principe est que d’autres voix s’ajoutent à la mienne pour décrire le coin de paradis – petit ou grand – qui nous habite…
Dans ces ateliers articulés autour de l’idée "de cheminer vers l’estuaire", les participants ont expérimenté l‘exercice de l’écriture, de sa mise en voix par eux-mêmes, de son accompagnement musical. Jean-Michel Jaron était présent et a proposé des univers sonores. L’idée était de leur faire sentir que des sonorités sont sources d’images et de créativité. Les ateliers se sont achevés par la mise en voix et en musique des écrits.
La dernière étape consistera pour moi à introduire ce travail dans la création. À cet égard, je vais proposer aux participants qui en ont envie de donner une lecture en intégrant les performances des 19 et 20 novembre. C’est une création performative qui offre l’opportunité aux personnes d’expérimenter la mise en voix collective et participative.
Vous avez été accueillie lors de plusieurs sessions entre juin et novembre au Ciel de Royan. Que retenez-vous de cette expérience ?
C.B. : À plusieurs reprises, j’ai eu le bonheur de réaliser plusieurs projets au Ciel de Royan. C’est un lieu unique, très ouvert physiquement sur la ville avec une terrasse en haut de l’immeuble offrant une vue splendide sur la ville et l’estuaire où j’ai eu l’occasion de faire des lectures. Très ouvert artistiquement car sa directrice, Véronique Willmann, qui s’investit beaucoup, associe à travers les résidences et les événements culturels des artistes de différents univers. J’apprécie cette ouverture qui correspond totalement à ma pratique. C’est un espace particulièrement propice à l’inspiration. Cette résidence, organisée avec l’appui d’ALCA, me permet d’achever un travail d’écriture entamé de longue date. Ma sortie de résidence se concrétisera par deux lectures musicales présentées au public :
› 19 novembre au Musée de Royan à 17 h où nous serons accueillis par Isabelle Debette, directrice du musée
› 20 novembre au Ciel de Royan à 11 h 30 / contact@lecielderoyan.com
Les couleurs du ciel
Le Ciel de Royan, lieu de résidences pluridisciplinaires, est situé au centre de Royan, à deux pas de la plage et du port. Dans un immeuble de trois niveaux construit dans les années 50, typique de la Reconstitution de Royan, Véronique Willmann a entrepris de créer un espace dédié à l’écriture et aux expressions artistiques de tous horizons. Le Ciel de Royan est aussi un pôle culturel proposant un programme d’événements tout au long de l’année : expositions, concerts, rencontres, ateliers d’écriture et autres activités. Ce lieu doté de vastes espaces lumineux aux couleurs très fifties, a été reconverti sous l’impulsion de sa directrice, en un lieu de croisements artistiques.