Le BAT47 : dix ans de tournages et de transmission en Lot-et-Garonne
Acteurs de la création et du développement du BAT47, le Bureau d'accueil de tournages du Lot-et-Garonne, Pierre-Henri Arnstam et Hervé Bonnet, respectivement président et directeur de la structure qui célèbre son dixième anniversaire en ce mois de décembre 2021, témoignent de la mue du département en terre de cinéma. Une rétrospective de films tournés localement est proposée dans les salles de cinéma indépendantes, avant une grande soirée festive organisée le 16 décembre au Campus numérique d'Agen.
Nous célébrons en ce mois de décembre 2021 le dixième anniversaire du Bureau d'accueil de tournages du Lot-et-Garonne, dont vous êtes, Pierre-Henri, à l'initiative de sa création. Qu'est-ce qui a motivé il y a plus de dix ans la mise en place de cet outil facilitant l'accueil de tournages ?
Pierre-Henri Arnstam : Il faut remonter à 2007, année à laquelle je deviens président de l'agence régionale du cinéma qui s'appelle alors Aquitaine Image Cinéma (AIC), devenue Écla puis ALCA. Je succède à Jean-Marie Dupont qui m'a proposé à Alain Rousset, président du Conseil régional. À l'époque, l'AIC est une petite structure qui ne compte que six personnes et qui œuvre sur les cinq départements de l'ex-région Aquitaine. En observant les pratiques sur ce territoire, je me suis rendu compte que là où il y avait un bureau d'accueil de tournages il y avait des tournages, et inversement. Au même moment, je m'installe de façon permanente en Lot-et-Garonne, où j'avais des attaches familiales, et me convaincs qu'il faut créer un bureau d'accueil des tournages parce que ce n'est pas normal que l'on ne puisse pas accueillir des tournages dans ce beau pays.
Je prends alors mon bâton de pèlerin pour aller convaincre les responsables politiques du département, en l'occurrence Pierre Camani, qui est le président du Conseil général de l'époque, et d'autres élus de la collectivité. Cela prend un certain temps, ce qui est normal puisque le Lot-et-Garonne est un département où il n'y a pas beaucoup d'argent, celui-ci étant dédié principalement aux aides sociales. Mes interlocuteurs me disent :"Pierre-Henri, le cinéma, ils ont de l'argent ! Il y a le CNC, il y a des aides, etc. Pourquoi est-ce qu'on irait mettre de l'argent ?" Je leur réponds que ces dispositifs existent en effet mais que pour notre territoire, ce serait un atout que d'accueillir des tournages. À la fois pour valoriser le territoire lui-même, pour faire travailler les professionnels qui y vivent et qui sont obligés d'aller travailler ailleurs. Et enfin, parce qu'un tournage induit des retombées économiques considérables. C'est à la fin de l'année 2010 que le Bureau d'accueil des tournages est créé, avec une aide du Département et dans une moindre mesure de la Région. Il n'aurait donc pas vu le jour sans ces rencontres avec Jean-Marie Dupont, Alain Rousset et Pierre Camani, mais aussi avec la comédienne Catherine Leprince qui a eu l'idée du nom de l'association : Espace Productions 47.
Très vite, nous recrutons un premier chargé de mission en la personne de Fabien Jankowiak qui, à cause de problèmes de santé, quitte malheureusement la structure au bout d'un peu plus d'un an. L'autre personne qui est dans ce bureau depuis sa création, c'est Sanne Brinkhoff, notre assistante dont les missions se sont progressivement élargies. Je pars donc à la recherche d'un nouveau chargé de mission et on me signale un photographe qui a commencé à faire de la réalisation de documentaires. Je vais le rencontrer avec un réalisateur ami pour avoir un double avis. C'est ainsi que nous avons choisi de recruter Hervé Bonnet, qui va se révéler à la fois un excellent chargé de mission pour accueillir les tournages en étant extrêmement disponible, mais aussi attentif aux attentes des professionnels grâce à son parcours de photographe et de réalisateur. Il va par ailleurs développer le bureau au-delà de l'accueil de tournages, en organisant des présentations de films en avant-première dans les cinémas de proximité, avec aussi des interventions dans les écoles, dans des collèges, dans les lycées, avec la présence de réalisateurs qui sont venus tourner chez nous et, enfin, avec ce projet formidable qui vient de sortir, Comett.
"Les jeunes pouvant avoir une vision assez négative de leur territoire, vécu parfois comme un empêchement culturel ou professionnel, redécouvrir ainsi le territoire, de manière plus poétique et positive, peut leur donner confiance."
Hervé Bonnet : Assez vite, j'ai compris que notre mission ne devait pas se limiter à faire venir des films, mais aussi à développer les liens entre le territoire et les porteurs de projets comme avec les autres acteurs culturels du Lot-et-Garonne. Nous avons ainsi lancé des actions d'éducation aux images, d'abord de manière ponctuelle en parlant cinéma et fabrication des films dans les classes. L'autre axe est la valorisation des œuvres, en soutenant la diffusion au niveau local notamment par des expositions ou des avant-premières en présence des équipes. L'idée est d'associer le plus possible la population qui a suivi de près les tournages, à l'instar de la projection que nous avons organisée à l'été 2019 à Nérac avec le réalisateur Cédric Kahn quelques jours avant la sortie nationale de Fête de famille. Le bureau a connu un fort développement à partir de 2015, quand le Département du Lot-et-Garonne s'est doté d'un fonds de soutien à la création cinématographique et audiovisuelle. Parmi les films soutenus et que nous accompagnons figurent de nombreux courts métrages de qualité mais qui restent fragiles en matière de diffusion.
Toujours dans cette double logique d'éducation aux images et de valorisation des œuvres, nous travaillons depuis trois ans à la création d'un outil donnant accès à ces films et à un ensemble de ressources pédagogiques autour de ces derniers. Comett est destinée prioritairement aux enseignants et aux professionnels de l'éducation aux images, du cinéma. Pour l'instant gratuite, elle permet au grand public de visionner un film par mois et de parcourir des cartes interactives, des focus sur les lieux de tournage de chaque film. Je pense que c'est en partant du territoire que l'on peut intéresser les enseignants et les élèves à travailler sur un film. Les jeunes pouvant avoir une vision assez négative de leur territoire, vécu parfois comme un empêchement culturel ou professionnel, redécouvrir ainsi le territoire, de manière plus poétique et positive, peut leur donner confiance. La plateforme propose des analyses filmiques qui ont été faites par des universitaires ou par des médiateurs de cinéma. Les films sont bien entendu accompagnés des témoignages de réalisateurs et de techniciens qui présentent leur parcours. Un abécédaire illustré vient également expliquer ce qu'est un travelling ou un raccord dans l'axe. Les métiers et les formations du cinéma sont aussi référencés. Comett s'étend pour l'instant aux départements du Lot-et-Garonne et de la Gironde mais a vocation à s'élargir. Dès l'année prochaine, elle sera adossée au festival de courts métrages que nous avons monté avec Écrans47 (l'association départementale des salles de cinéma indépendantes) et qui en prendra le nom.
"Depuis la création du bureau, nous avons accueilli et accompagné 17 long métrages, 35 courts métrages, 10 films documentaires et un peu plus de 700 jours de tournage."
Quel bilan dressez-vous de ces dix années de travail, à la fois en matière d'accueil de tournages, d'accompagnement à la diffusion et d'éducation aux images ?
H.B. : Depuis la création du bureau, nous avons accueilli et accompagné 17 long métrages, 35 courts métrages, 10 films documentaires et un peu plus de 700 jours de tournage. Nous avons atteint l'objectif initial qui était d'atteindre une récurrence dans les tournages, avec au moins un long métrage chaque année.
P-H. A. : Ces chiffres sont impressionnants et pourtant ils cachent un travail d'accompagnement plus large à destination de tous les porteurs de projets à la recherche de décors. Pour chaque tournage accueilli en Lot-et-Garonne, Hervé et Sanne ont travaillé sur six ou sept projets, en identifiant à chaque fois des décors qui pourraient correspondre aux attentes de leurs porteurs.
Quand on voit de tels résultats, on ne peut que se faire propagandiste des bureaux d'accueil de tournages ! Cela doit être selon moi une priorité pour chaque département de Nouvelle-Aquitaine de se doter de cet outil. Nous travaillons bien entendu en collaboration avec ALCA mais l'agence régionale à Bordeaux ne peut évidemment pas suivre aussi finement ce qu'il se passe à Villeréal ou à Monflanquin. Il faut être proche du territoire pour le connaitre et le valoriser.
Parmi ces nombreux tournages accueillis en Lot-et-Garonne, il y en a-t-il un qui vous a particulièrement marqués ?
P-H.A. : Deux films m'ont plus marqué que les autres puisqu'ils sont tous les deux réalisés par le même réalisateur, Stéphane Brizé, ce qui est très rare. Le premier, En guerre, a été extrêmement bien accueilli à Cannes et il continuera de vivre, notamment sur les petits écrans. Content de l'accueil qui lui avait été fait et des lieux qui lui avaient été proposés, Stéphane Brizé a recherché des décors ici et a donc tourné une nouvelle fois en Lot-et-Garonne il y a maintenant deux ans. La sortie de ce deuxième film a été reportée, il devrait sortir au printemps prochain.
H.B. : Je retiens également En guerre pour son impact sur le territoire, économique mais aussi humain. Stéphane Brizé avait choisi de travailler essentiellement avec des comédiens non professionnels, passant près de six mois à assurer le casting. Le film est le premier tourné ici à s'être trouvé en compétition officielle à Cannes. C'est une reconnaissance pour le réalisateur et les acteurs et donc pour le Bureau d'accueil de tournages.
"L'idée [est] de proposer à des associations qui œuvrent localement dans la culture de participer à cet anniversaire, à l'instar du Florida pour la musique ou de Pollen pour l'art contemporain. […] Et puis les professionnels lot-et-garonnais qui ont, pour un certain nombre d'entre eux, participé à ces tournages, qu'ils soient techniciens, comédiens ou réalisateurs."
Rendez-vous le 16 décembre au Campus numérique d'Agen pour une soirée festive réunissant les partenaires historiques du Bureau d'accueil de tournages…
P-H.A. : Nous proposons lors de cette soirée la projection en avant-première de courts métrages tournés en Lot-et-Garonne et d'autres temps forts. L'idée d'Hervé était de proposer à des associations qui œuvrent localement dans la culture de participer à cet anniversaire, à l'instar du Florida pour la musique ou de Pollen pour l'art contemporain. La soirée est bien sûr ouverte à tous et nous y convions nos partenaires que sont notamment la Région, le Département ou encore la Drac. Et puis les professionnels lot-et-garonnais qui ont, pour un certain nombre d'entre eux, participé à ces tournages, qu'ils soient techniciens, comédiens ou réalisateurs.
La semaine précédant la soirée, des films tournés en Lot-et-Garonne depuis la création du Bureau sont projetés en présence des réalisateurs dans les cinémas de proximité du réseau Écrans47.
H.B. : Parmi les films de cette rétrospective, pour la plupart accompagnés par une discussion avec les équipes : La Nuée de Just Philippot, Coup de chaud de Raphaël Jacoulot, En guerre de Stéphane Brizé ou Diane a les épaules de Fabien Gorgeart.
L'ADN du bureau d'accueil de tournages, c'est aussi de créer du lien, donc il n'était pas concevable de faire la fête le jeudi 16 décembre tous seuls. Nous avons voulu associer des structures comme le Florida pour la musique, Pollen pour l'art contemporain, le Comité départemental pour les paysages ou encore le Campus numérique qui nous héberge lors de cette soirée.