Le Polar en Nouvelle-Aquitaine : le genre favori des chaînes TV continue d’étendre son royaume


Parallèlement à son succès en littérature, le polar représente une part très importante des fictions télé qui se tournent en Nouvelle-Aquitaine. S’il est un genre plus confidentiel du côté des longs métrages soutenus par la Région, sa domination dans la production locale de séries s’explique par des atouts intrinsèques, une capacité à incarner une intrigue dans une grande diversité de décors, et par des contingences matérielles tout aussi déterminantes. Décodage d’une recette aux mille et une variations.
Depuis le succès en salle, dans les années 60, de la trilogie cinématographique des Fantômas portée par le duo Louis de Funès et Jean Marais, et dont la télévision s’empara plus tard avec une mini-série en quatre épisodes pour Antenne 2 (diffusée en 1980), en passant par la Collection Fred Vargas (soit neuf téléfilms) créée pour France 2 par Josée Dayan, la prégnance du polar dans la production audiovisuelle française est un phénomène culturel qui ne date pas d’hier, et qui se voit sans cesse alimenté par une littérature noire aussi généreuse que propice aux adaptations. La Nouvelle-Aquitaine n’échappe pas à cette lame de fond.
Depuis quelques années, les tournages de séries policières se multiplient un peu partout. La Charente, la Charente-Maritime et la Dordogne avaient accueilli la saison 1 de Brigade Anonyme, une mini-série policière pour M6 avec Eric Cantona. Le tournage de la saison 2 à Angoulême et Cognac vient de s’achever. Pour sa collection policière Mystères de, France TV a, depuis 2017, jeté son dévolu sur la Charente-Maritime où cinq des huit téléfilms qui constituent la collection y ont été réalisés (notamment à Rochefort, La Rochelle, sur l’île d’Aix ou encore l’île d’Oléron). Avec Le Daron, comédie policière diffusée sur TF1, Bordeaux est, depuis deux saisons, le terrain de jeu d’un avocat fantasque à la tête d’un cabinet familial prestigieux, campé par Didier Bourdon. Enfin, les Landes ne sont pas en reste avec la série Erica (TF1) qui a mis à l’honneur la côte sud du département (Hossegor et Capbreton) pour cette adaptation des polars de l’écrivaine suédoise à succès Camilla Läckberg. Le tournage de la saison 2 doit démarrer en mai.
Le caméléon des décors
D’après la Région et son fonds de soutien à la fiction audiovisuelle, les polars représentent les trois quarts des fictions tournées en Nouvelle-Aquitaine. Comment expliquer ce ratio ? D’abord par le goût des téléspectateurs et leur attachement au genre, ce qui pousse naturellement les chaînes à commander aux sociétés de production des séries policières. Genre caméléon par excellence, le polar peut investir une intrigue dans n’importe quel décor, en zone urbaine ou périurbaine, en zone rurale, en pleine nature, etc. Si l’on peut mettre du polar partout, donc, cela voudrait-il dire que les décors sont, pour ce genre en particulier, secondaires, sortes de tableaux vierges interchangeables moins choisis pour leur identité propre que pour leur praticité ? Un peu des deux en somme.
Le choix d’un lieu dépend en partie du cahier des charges imposé par les chaînes aux sociétés de production. L’esthétique télé n’aime pas les images sombres et réduit au maximum les scènes de nuit (tout comme les scènes contemplatives ou d’une violence trop frontale), de peur qu’un écran noir pousse le téléspectateur à zapper. Ainsi, pour le cas de TF1, avide de lumière, et de la série Erica, cette esthétique très éloignée des ambiances scandinaves des polars de Camille Läckberg, a pesé dans le choix de tourner dans les Landes.
"On a scouté (fait des repérages, ndlr) beaucoup de régions pour Erica. On est d’abord allé en Bretagne et en Normandie. C’est vrai que TF1 veut du solaire, donc il ne fallait pas une ambiance trop lugubre. Notre directeur de production, Philippe Roux, vit dans les Landes, et c’est lui qui nous a proposé de venir découvrir Capbreton, Hossegor, etc. On y a trouvé une ambiance unique, un côté californien slow life, et surtout ces immenses plages qui apportent beaucoup d’ouverture. Ça respire, c’est moins minéral que la Bretagne ou la Normandie, c’est lumineux !", explique Martin Réa. Pour ce producteur du studio Reaz Potomak, il fallait exploiter à fond cette lumière si singulière de la côte landaise. "Dès qu’on le pouvait, on mettait nos personnages dehors. Erica, c’est une série d’extérieurs. Elle est diffusée au cœur de l’hiver. Toute cette lumière, ça fait envie, ça plait aux téléspectateurs."
Un vivier de techniciens locaux
D’autres contingences matérielles sont entrées dans l’équation pour Martin Réa. L’accessibilité en train, "on est une écoproduction, donc on voulait éviter l’avion", les très bonnes relations avec le BAT40 (bureau d’accueil des tournages) et avec la Région, qui a accordé une subvention de 180 000 euros pour le tournage de la saison 1, "sur un budget de 7 millions, ça compte quand même, ça permet de tourner des séquences qu’on n’aurait pas pu faire sinon", affirme le producteur.
Autre argument central, la Nouvelle-Aquitaine dispose d’un vivier important de techniciennes et de techniciens. "Pour la saison 2, dont le tournage va démarrer en mai, on a une vingtaine de techniciens locaux. On a des gens de la caméra au son, des machinos, des électros, etc., qui viennent de Dax, de Capbreton, mais aussi d’Anglet et de Bayonne, et qui peuvent rentrer chez eux le soir", souligne Martin Réa. Sans oublier la qualité de vie offerte par la côte landaise. "Quand on tourne quatre mois quelque part, pour l’équipe technique comme pour les acteurs, ça compte d’avoir un camp de base agréable !"
L’attachement à un paysage : l’exemple des Meurtres à...
Pour Dorothée Woillez, à la tête de Fléchette Production, les lieux du polar sont porteurs de sens et ne peuvent être réduits à des supports ou écrins prétextes. "Je crois que chaque producteur vous dira la même chose. Nous sommes très attachés à des paysages qui nous parlent, et ce dès l’écriture. Dans les Meurtres à..., il y a un attachement à la région dans laquelle chaque téléfilm est tourné", assure la productrice de Meurtres à Mont-de-Marsan (dont le tournage dans la ville-préfecture des Landes et à Saint-Sever vient de s’achever). Pour compléter la collection de téléfilms policiers de France 3, cette "fille du sud-ouest" revendiquée, qui a vécu à Mont-de-Marsan avec son père militaire, souhaitait "montrer une autre facette des Landes". Filmer la Chalosse plutôt que la côte, "montrer que c’est aussi une région d’eau, de sources, avec des forêts sublimes", pour créer une ambiance "entre Fargo et Le Règne animal". "Il y a beaucoup moins de tournage à l’intérieur des terres, donc ça avait un côté inédit. Il y a de la curiosité de la part des chaînes pour des territoires moins connus", assure Dorothée Woillez.
Au cinéma, le polar se réinvente
Dernier polar en date soutenu par la Région, le long métrage Un monde violent (sorti en janvier) raconte le parcours de deux frères, jeunes braqueurs en quête de sens dans une France semi-rurale qui les laisse de côté. Tourné entre Guéret et la Souterraine, dans un décor très cinégénique quoique encore très peu exploité au cinéma (comme à la télé), ce thriller social de Maxime Caperan a été écrit et pensé pour la Creuse, dans une indissociabilité entre les décors et le propos. "Il aurait été inconcevable pour moi de le tourner ailleurs que dans la Creuse. C’est un territoire que je connais bien, j’y ai des attaches familiales, et qui me semblait incarner au mieux les problématiques que je voulais traiter, comme le déclassement. C’est un environnement marqué par des crises multiples. La Creuse est rurale, assez pauvre, avec une forte mobilisation des gilets jaunes, un taux de chômage important, une crise agricole et c’est aussi un département que je trouve très beau. Beau et austère, et ça convient bien au genre du polar", analyse le réalisateur.
Ainsi, le polar continue d’inspirer des jeunes réalisateurs néo-aquitains, portés par des propositions artistiques fortes et personnelles. On attend, à ce titre, le futur long métrage de la girondine Léa Mysius (dont le premier film, Ava, avait été soutenu par la Région et le département de la Gironde), actuellement en pleine recherche de décors dans la région, pour l’adaptation du polar de Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit. Mais face à la production pléthorique de séries policières extrêmement codifiées et chartées, faut-il craindre une mainmise du genre polar par la télévision au détriment du cinéma ? "Le polar est très engageant et très efficace. Le côté jeu de pistes, le fait de réfléchir avec les personnages, la satisfaction finale de trouver le meurtrier, les téléspectateurs aiment ça. Et puis c’est le genre le plus rassembleur qui soit en termes de générations ! Bien plus rassembleur que la comédie, qui est plus compliquée à manier", souligne Martin Réa. Addictif, ludique et rassembleur, une recette somme toute irrésistible.

Diplômée en journalisme et en philosophie, Élodie Vergelati a d'abord été journaliste radio à Radio France pendant plusieurs années (avec un passage par Radio-Canada et la RTBF), avant de choisir la presse écrite en rejoignant la rédaction de Sud-Ouest dans les Landes, où elle vit. Elle est désormais journaliste indépendante mais aussi autrice.