Au Chalet Mauriac, "une circulation d'idées qu'enrichit la variété des disciplines"
Pour entrer dans le Chalet Mauriac ou en sortir, on emprunte le plus souvent l’entrée de service. Plus modeste que le perron en façade, elle donne directement sur la cuisine qui devait être, à l’origine, réservée aux gens de maison, à la domesticité. Sans doute prenons-nous la même entrée que les livreurs. L’agrément de cette simplicité, de cette entrée familière, tout de suite m’a touché, m’a mis à l’aise et fait me sentir chez moi. Un peu comme dans un roman qui commencerait in medias res. Je suis d’origine modeste, et la poésie – aimable groom que je n’imaginais guère dans ce rôle-là – m’ouvre la porte de maisons bourgeoises. On se sent tout de suite de plain-pied avec cette belle demeure et avec ses boiseries, dont l’histoire ne nous écrase pas mais nous accueille. Les espaces de travail sont au premier étage, les chambres aux derniers. Mais cette hiérarchie classique est chamboulée par la fluidité de tout ce qu’il peut y avoir d’échanges en ces lieux. L’une des beautés de cette résidence (elles sont nombreuses), c’est qu’il s’y produit une circulation d’idées qu’enrichit la variété des disciplines représentées : littérature, arts plastiques, cinéma, etc., et la diversité des parcours des résidents.
Un détail qui est un indice très sûr de ce qu’une résidence en collectivité a été réussie, ce sont les liens que nous pouvons conserver les uns avec les autres (et parfois même les projets en commun dont l’idée peut germer entre ces murs). Ainsi, Liuna, Marie, Thomas, Stella, Camille, Annarita, Ali, Nicolas, Vincent, Laetitia et les autres n’ont pas quitté ma vie en quittant le Chalet.
J’ai dit collectivité, mais qu’on ne croie pas à une continuelle promiscuité, dont on pourrait concevoir qu’elle en rebuterait certains. La disposition des lieux, le confort qu’apportent des bureaux individuels et le nombre d’espaces de travail possibles qu’offrent les coins et les recoins de la maison (dont je me suis abondamment servi, curieux de voir combien des endroits différents entraînent de subtiles variations dans l’écriture, ne fût-ce que par la lumière et les paysages changeants qu’ils offrent au regard), tout cela fait que nous avions tous grand plaisir à nous retrouver quand nous en avions envie, tant dans le Chalet qu’à l’extérieur, au Cercle ouvrier par exemple, ou dans la région environnante que la voiture et les vélos mis à disposition nous ont permis de découvrir.
Aimée Ardouin dirige aimablement ce navire post-mauriacien, avec une sûreté et une bienveillance sans défaut, avec humour aussi. Je m’inquiétais, quelque temps avant ma venue, que la question d’un programme d’animations n’ait pas été abordée. Il n’y en a pas, me répondit-elle, sauf si vous désirez que nous organisions des rencontres en fonction de vos attentes. La résidence est faite avant tout pour que vous puissiez vous consacrer pleinement et sereinement à votre projet d’écriture. Et si jamais (je tentai de me faire l’avocat du diable) ça ne marche pas, que je n’arrive pas à écrire, ou que rien de ce que j’écris n’est satisfaisant. Alors c’est que vous avez besoin de repos, et cela vous sera bénéfique pour la suite. Voilà comment Aimée balaya mes craintes.
Moyennant quoi, comme tous les résidents avant et après moi je suppose, j’ai bien travaillé, dans la meilleure ambiance possible, au point que j’ai même pu avancer sur deux projets à la fois. (Pourtant mon projet initial s’intitulait Tu te tais : c’est dire combien je m’interrogeais sur ma capacité à lui donner forme.) Dans le souvenir très vif qui m’en restait, c’était ce qui pouvait le plus s’approcher de vacances studieuses, rythmées et dynamisées par les rires, les rencontres, les conversations.
"Le Chalet peut nous encourager et nous redonner l’élan qui nous manquait."
Une anecdote pour finir : au cours de la Fête au Chalet, des ateliers d’écriture étaient proposés à des collégiens. Ils avaient écrit des poèmes, puis les lisaient s’ils en avaient envie. Une élève timide ou peu sûre d’elle hésitait, avait déjà chiffonné sa feuille, jugeait son poème "pas terrible", déjà prête à le jeter. On insista un peu, très peu, pour ne pas la gêner. Cela suffit à la décider. Elle se lança. Il se trouva que son poème, en dépit de ce qu’elle en pensait, était magnifique. Tout le monde l’applaudit. Elle rougit, lissa de la main son papier et le plia avant de le ranger soigneusement dans sa poche de chemise. Lorsque, écrivain ou artiste en général, on doute aussi, et cela ne manque pas d’arriver, le Chalet peut de la même manière nous encourager et nous redonner l’élan qui nous manquait. Cela n’est pas le moindre de ses effets. Je pourrais citer cent autres anecdotes qui forment comme un réseau de fils par lesquels je me sens encore attaché à ce début d’automne 2019 dont l’action fut sur moi si bénéfique. Une notamment où il fut question de chauves-souris, qui étonna tout le monde, se révélant être un cas rare de synchronicité.
Au risque de faire dangereusement ressembler cette brève et nostalgique évocation à un dépliant touristique, je n’aurai garde d’oublier dans les beautés du Chalet Mauriac, celle du parc environnant qui ajoute encore au calme mais aussi, par son exubérance maîtrisée, à l’énergie des lieux.
(Photo : Stéphanie Quérité)