Le prix Renaudot des lycéens, une aventure littéraire trentenaire
Afin de marquer l'anniversaire et le lien fort entre la ville de Loudun, dans la Vienne, et le prix littéraire créé en 1992, de nombreux événements sont prévus dès cet automne.
Il y a bientôt 100 ans, à Paris, des journalistes-critiques littéraires, mécontents des choix proposés par les jurés du prix Goncourt, créent le prix Renaudot, en hommage à leur illustre confrère qui, en 1631, imprimait La Gazette, le premier journal hebdomadaire français. Bien peu aujourd’hui sont ceux qui peuvent citer ne serait-ce que le prénom de ce grand journaliste, ses origines et son parcours de vie.
Sauf à Loudun, petite ville du Haut-Poitou où naquit en 1586 Théophraste Renaudot, où il exerça la médecine et fit la connaissance, en son prieuré de Coussay-les-Bois (86), du futur cardinal de Richelieu, avant de devenir médecin ordinaire du roi Louis XIII et commissaire général des pauvres du royaume. Un second hommage lui fut rendu quand la Ville de Loudun, en 1969, acheta sa maison natale et y installa, en 1981, le Musée Renaudot géré alors par l'association des Amis de Théophraste Renaudot (aujourd’hui par la Ville).
Renaudot restant encore bien méconnu, Danièle Blum, présidente des Amis, s'est demandé pourquoi ne pas créer, à l'instar du prix Goncourt des lycéens (1988), le prix Renaudot des lycéens ?
Le prix Renaudot junior, devenu plus tard le prix Renaudot des lycéens, naît ainsi en 1992, en partenariat avec le lycée Guy-Chauvet de Loudun et souffle donc cette année ses 30 bougies. "Une aventure littéraire mais également une fabuleuse aventure humaine", selon Sébastien Guérin, président du jury lycéen en 1994, et qui, en trente ans, a connu une extraordinaire évolution. Si le principe de base est resté le même (choix de 8 puis 6 livres parmi la première sélection du prix parisien, lecture par les lycéens accompagnés des professeurs et documentalistes, débats, rencontres, annonce du lauréat par la présidence du jury lycéen), l'événement a pris une ampleur considérable.
En 20 ans, le nombre de lycées participants est passé de deux (lycée général Guy-Chauvet et lycée professionnel Marc-Godrie à Loudun) à douze avec la participation des Académies de Poitiers, Nantes et Limoges, et le nombre de lycéens lecteurs de dix à 340. En 2012, Liliane Roudy, présidente des Amis, écrivait alors : "Pourquoi soupçonne-t-on les jeunes de ne pas aimer la lecture et dit-on que le livre est en perdition ?" Dix ans plus tard, force est de constater que le prix connaît une nouvelle ampleur. Ce sont maintenant quinze lycées des Académies de Poitiers, Limoges, Nantes, Bordeaux, Orléans-Tours et deux établissements européens de Belgique et Roumanie, soit plus de 400 élèves qui participent à l'événement.
Les lycéens se bousculent pour participer
Les témoignages des nombreux lycéens ayant participé au prix illustrent à quel point celui-ci a pu être un "déclencheur" dans leur vie de lecteurs, comme l'explique Sébastien, juré en 1993 et 1994 : "Je n'étais pas un grand lecteur à l'origine. Cette expérience-là m'a permis de m'intéresser davantage à la lecture."
Présidente du jury lycéen pendant trois ans, Amandine se souvient "des débats toujours très animés et rythmés qui faisaient de ces rendez-vous de vraies parties de plaisir. L'un des meilleurs souvenirs de la 'période lycée'". Amélie, présidente du jury en 2000, assure aujourd'hui que "le fait d'échanger, de discuter et de défendre son point de vue [lui] a permis de s'affirmer et de faire de belles rencontres." "Ça pousse à affiner et à chercher des arguments, déclenche une envie de lire, ouvre l'esprit et donne le goût d'aller en librairie", retient de son côté Clémentine, présidente du jury en 2007 et 2008.
Le Renaudot des lycéens a pu également créer ou confirmer une vocation dans la transmission. Désormais enseignante en école primaire après avoir été jurée en 2008, Sandrine fait participer sa classe tous les ans à un prix littéraire. Jason, dans un courriel envoyé à son enseignante de lettres en septembre 2022, écrit : "Les souvenirs sont ancrés et encrés. C'est une expérience unique dont je tire beaucoup de satisfaction personnelle et de fierté. J'en tire les bienfaits encore aujourd'hui. J'y ai trouvé l'opportunité de sortir de mon manque d'assurance en me concentrant sur quelque chose de spécifique. Je peux dire que j'en suis sorti grandi. Désormais professeur, le fait d'être seul devant une classe ne m'a jamais inquiété."
Des enseignants motivés
Jason reconnaît ainsi le travail et l'engagement des professeurs et plus particulièrement de sa professeure de lettres au lycée Guy-Chauvet de Loudun. Interrogée sur sa longue expérience, elle se souvient "d'immenses sourires et d'yeux brillants de fierté des président(e)s et vices-président(e)s de jurys après l'annonce du lauréat ; d'un élève transfiguré de joie, alors qu'il ne se sentait pas 'digne' de parler d'un livre, lors du visionnage de sa prestation télévisée sous les applaudissements nourris de ses camarades." Elle peut témoigner de "bien d'autres moments encore d'émotion partagée avec une jeunesse pleine de doutes mais aussi d'enthousiasme."
C’est aux professeurs qu’il appartient de travailler en amont de la proclamation : café littéraire au lycée, lecture en classe, soirée lecture à voix haute ouverte aux autres élèves et aux familles. Le travail continue même après le prix pour ceux qui ont choisi de présenter un des romans de la sélection au bac de français.
Des lauréats stupéfaits
Enthousiasme, curiosité, gaieté, exigence… des mots qui reviennent souvent dans les déclarations des autrices et des auteurs primés. "Ma rencontre avec les lycéens fut joyeuse, passionnante, vivifiante. Je retrouve chez eux l'enthousiasme, la curiosité, la capacité d'émerveillement...", se souvient Louise L. Lambrichs. "Ces garçons (beaucoup de garçons)... je me souviens de leurs rires et d'un allant, d'une énergie", témoigne Marie-Hélène Lafon. "Je sentais partout une atmosphère de fête et chez chacun la curiosité, le goût de la découverte", ajoute Philippe Ségur, rejoint par Olivier Poivre d’Arvor : "Et ces jeunes lycéens dont je n’oublie pas les questions, la curiosité, l’exigence."
Anne Berest, l'autrice lauréate du prix Renaudot des lycéens 2021, "espérai[t] de tout [son] cœur avoir ce prix inattaquable et magnifique" : "Les prix de lycéens sont très respectés par les libraires, par les critiques, ce sont des prix décernés par des gens incorruptibles."
Les 30 ans
Les festivités n’ont pas attendu les rentrées scolaire et littéraire et vont jalonner tout le dernier trimestre de cette année 2022.
Le premier moment fort s'est déroulé le 2 juin 2022 au lycée Guy-Chauvet : un atelier d’écriture organisé avec Nicole Burési (autrice de Théophraste Renaudot raconté aux enfants) a rassemblé quinze lycéens. À partir d’un extrait du roman d’Amélie Nothomb Premier sang (présent dans la sélection 2021 et primé au niveau national), ils devaient écrire sur le thème du décalage en intégrant des mots donnés en direct pendant l'écriture. Le livret Le Décalage a été envoyé à Amélie Nothomb comme cadeau "décalé".
Dès ce mois d’octobre, Nicole Buresi présente à la médiathèque le travail littéraire de Théophraste Renaudot dans une conférence intitulée "Théophraste Renaudot, médecin : du héros de roman au roman du héros".
Sur le thème de la nécessité d’écrire aujourd’hui, les autrices et auteurs Jean-René Van der Plaetsen (lauréat en 2020), Lenka Hornakova Civade (lauréate en 2016), Alice Zeniter (lauréate en 2015), Adeline Dieudonné (lauréate en 2018) dialogueront au cours de deux soirées programmées le 16 et le 23 novembre.
Deux projections de films adaptés de romans lauréats seront également proposées : Plonger, roman de Christophe Ono-dit-Biot (2013), et La Dernière Leçon, roman de Noëlle Chatelet (2004).
En attendant les festivités, place à la lecture !
Le jeudi 8 septembre, au lendemain de la publication de la liste des romans retenus pour le Renaudot national, les organisateurs du Renaudot des lycéens ont choisi six ouvrages de cette liste.
Les rapports entre hommes, nature et animaux seront au cœur d’On était des loups de Sandrine Colette (éditions Jean-Claude Lattès) et de Le Dernier des siens de Sybille Grimbert (éditions Anne Carrière). Deux romans noirs seront à dévorer : Taormine d’Yves Ravey (éditions de Minuit) et La Printanière de Michel Quint (éditions Serge Safran). Enfin, deux sagas familiales seront au programme avec Partie italienne d’Antoine Choplin (éditions Buchet-Chastel) et Les Sacrifiés de Sylvie Le Bihan (Denoël).
À ne pas manquer : une lecture partagée avec le public lors d’échanges avec les lycéens à la médiathèque et surtout lors de ces extraordinaires et joyeuses rencontres en décembre lors de la venue de la lauréate ou du lauréat. Aussi, une journée à l’espace culturel René-Monory en deux temps : l’après-midi avec les 400 jurés lycéens et la soirée ouverte au grand public.
Le roman lauréat sera connu le 15 novembre. Rendez-vous à Loudun en décembre !