Portraits de libraires : elles ont ouvert une librairie en 2022
Dix-sept librairies indépendantes ont ouvert leurs portes en 2022 sur l’ensemble du territoire néo-aquitain, soutenues dans le cadre du contrat de filière Livre associant ALCA, le Conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine, la Drac et le Centre national du livre. À la tête de ces entreprises si particulières, cinq fondatrices de librairie témoignent en cette fin d’année de la concrétisation de leur projet : du rêve à la réalité, de la ville à la campagne et de l’idée au premier salaire.
Du rêve à la réalité
"C’est une chance d’être à ce point à sa place, raconte Sara Ghazali, je suis ravie de faire le métier que j’aime de la façon que j’aime." C’est à 14 ans que celle qui a fondé La mauvaise herbe, en Dordogne, s’est promis d’ouvrir sa propre librairie. Dix-sept ans plus tard, c’est chose faite. Comme elle, Alix Breton a su très tôt qu’elle voulait devenir libraire. À la faveur d’un licenciement économique en plein Covid et d’une cheville cassée, elle s’est retirée "au vert" pour quelques jours… et elle n’est jamais repartie : "Je suis passée devant cette boutique à La Croisille-sur-Briance (87), elle était à vendre, et je me suis dit : voilà ! Elle est là ma librairie." Et la jeune femme de poursuivre : "Vous savez, c’est la maison qui vous attend : la première fois que vous y entrez, c’est déjà chez vous." On imagine que ce même sentiment saisit les clientes et clients qui se réunissent autour du poêle à bois de La petite sauvage, pour des veillées-lecture au coin du feu…
Ouvrir sa librairie en 2022, ça raconte ça aussi : des chemins de vie post-2020 et 2021. Aida Fernandez Pena confirme : "J’étais ingénieure Télécom. À la suite de la crise sanitaire : changement de vie, changement de travail. Je me suis rendu compte que les domaines dans lesquels je m’éclatais le plus, c’était la littérature jeunesse et les gâteaux. Alors j’ai voulu trouver un moyen de gagner de l’argent avec ça !" La petite cabane était née.
Nathalie Rémaoun, elle, a quitté Grenoble et son activité professionnelle dans l’insertion, "un métier dur et violent", pour fonder La petite fourmi rouge à Castelnau-de-Médoc (33). Quant à Fanny Carlotti, elle s’est reconvertie après plusieurs années comme interprète en langues des signes, pour fonder Lecteurs en herbe à Neuville-de-Poitou (86).
De la ville à la campagne
C’est cette dernière, avec sa librairie Lecteurs en herbe, qui a choisi de s’implanter dans le bourg à la plus forte densité de population. Neuville-de-Poitou plafonne à 5000 âmes : "C’est une ville extrêmement dynamique, assez centrale dans la communauté de communes, avec un vrai soutien de la part de la mairie." Toutes font le même constat sur leur terre d’accueil : il y avait une place à prendre et, a fortiori, elles ne prenaient la place de personne. Pas question de se faire concurrence entre libraires…
Toute personne habitant dans un rayon de 40 minutes – en voiture ! – autour du petit village de La Croisille-sur-Briance (700 habitants), est considérée comme une voisine par Alix Breton : "Les gens sont très éparpillés, il faut ratisser large pour intéresser le public. Mais notre village est assez atypique : on a une compagnie de théâtre, un grand lieu culturel, il y a deux bars, dont un associatif, un boulanger, un médecin…"
En Gironde, Castelnau-de-Médoc est un petit bourg "dortoir" qui bénéficie de l’attractivité de Bordeaux, mais qui manque encore de services de proximité. "Tout le monde le dit, soit il fallait se rendre à Bordeaux, et c’était du temps et de la route, soit à Leclerc ou Intermarché… Les gens sont ravis d’avoir enfin une librairie, enfin du choix" note la libraire de La petite fourmi rouge. Télétravail et exode urbain devraient continuer à jouer en la faveur de la nouvelle librairie implantée au sein d’un tiers-Lieu qui héberge aussi un café, une boutique de créations, de jeux… L’émulation est bien là dans ce local de 350 m2.
"Chaque libraire met sur pied une offre culturelle originale,
souvent en lien avec des partenaires locaux."
Car si la dynamique culturelle de ces territoires ruraux existe – force est de constater que nos libraires n’y sont pas pour rien. Pour La petite cabane d’Aida Fernandez Pena, le réseau était entièrement à construire. Fraichement arrivée dans la région, la libraire doit avant tout créer du lien. Et, pour y parvenir, tout comme ses collègues, elle ne manque pas d’inspiration. Ateliers parentalité, ateliers portage, atelier insectes, nature, atelier lecture à voix haute, lectures dansées, atelier cuisine ou encore dégustation de vin sous hypnose, chaque libraire met sur pied une offre culturelle originale, souvent en lien avec des partenaires locaux : "Il y a un livre pour tout, donc on peut tout faire !", s’enthousiasme Aida Fernandez Pena.
Toutes déploient cette même énergie, et le public est au rendez-vous : "Je me tenais prête à avoir besoin d’un peu de temps pour convaincre les gens de changer leurs habitudes [commander sur Internet, DRLR]. Mais, en fait, La mauvaise herbe a été adoptée tout de suite, je suis encouragée tous les jours", confirme Sara Ghazali. La spécificité du joli village d’Eymet (24), ce sont aussi les 35 000 touristes qui s’y rendent chaque été, en plus des 3000 habitantes et habitants à l’année, dont 20 % sont Britanniques : "C’est une clientèle qui est très curieuse de lire des petits livres en français. C’est un critère de plus dans la recherche, il faut que ça colle à leurs centres d’intérêts, leur budget, que ce soit court et dans une écriture limpide… Plus il y a de critères, plus ça devient excitant !"
Chacune cherche l’équilibre entre la réponse à la demande de la clientèle, la présence du fonds incontournable et la recherche des titres que lecteurs et lectrices ne s’attendaient pas à trouver en entrant dans ces espaces. Les cinq libraires louent la qualité des échanges, le plaisir de la recherche, la créativité. Cela nourrit la reconnaissance dont elles ont besoin, mais, ça ne peut suffire à les nourrir tout court…
Du temps et de l’argent
C’est ce qui a frappé Sara Ghazali, alors qu’elle était encore salariée : "Bon sang, quelle quantité de travail ça demande, en temps et en énergie d’avoir sa propre librairie ! Normalement, dans la vie, on a du temps ou de l’argent, quand on est libraire on n’a aucun des deux", conclut-elle dans un rire. Ça ne l’a pas empêchée de se lancer, mais elle fait les choses avec justesse, à sa manière. La mauvaise herbe restera ainsi en dormance tout au long du mois de janvier. Pour la libraire, c’est clair : "Il faut trouver un équilibre et prendre soin de soi – c’est un métier qui est exigeant sur la qualité d’accueil et d’écoute des clients. Pour être au plus près de leurs demandes, ça demande d’être reposée !" Ça, pour le temps.
Pour l’argent, la plupart d’entre elles ne se verse pas de salaires pendant plusieurs mois après l’ouverture. Deux d’entre elles envisagent néanmoins d’embaucher à moyen terme. Pour Fanny Carlotti (Lecteurs en herbe) et Sara Ghazali (La mauvaise herbe), il y avait la volonté ferme de monter ce projet seules : "J’ai toujours travaillé en équipe, mais, là, j’avais envie de faire ce projet seule du début à la fin. C’est intéressant comme manière de travailler aussi", admet la fondatrice de Lecteurs en herbe. À Galgon (33), Aida Fernandez Pena s’apprête, elle, à ouvrir (très, très, très prochainement !) avec une salariée : "Le lieu l’exige, on a deux étages, une terrasse, et nos deux activités – le café et la librairie. C’est un pari !"
Un soupçon de chance, la bonne rencontre, le bon endroit, le bon moment… Toutes listent ces ingrédients dans la recette. Sans oublier ce qu’il faut de confiance, de détermination et d’enthousiasme. "Je ne réalise pas encore tout à fait je crois. Je ne suis pas encore redescendue de mon petit nuage, mais c’est fou de voir ce projet se concrétiser. Maintenant il est là, il est vivant", se réjouit Alix Breton – et nous avec elle.
Après les avoir écoutées raconter leur passage du rêve à la réalité, c’est de nouveau le rêve qui s’installe… Mais si jamais votre tour n’est pas encore venu de tout plaquer pour devenir libraire, rendez-vous vite chez toutes vos nouvelles libraires indépendantes préférées !
La mauvaise herbe, à Eymet (24)
Librairie indépendante et généraliste, La mauvaise herbe s’appuie sur trois principaux piliers : littérature, jeunesse et BD. Sara Ghazali propose de nombreuses animations toute l’année, pour petits et grands. Ses thèmes de prédilection sont l’écologie, le féminisme et les enjeux de société.
La petite fourmi rouge, à Castelnau-de-Médoc (33)
Implantée dans le tiers-lieu Les Viviers, La petite fourmi rouge s’organise autour de 4 grands rayons : littérature francophone et étrangère ; polar et roman noir ; jeunesse ; BD et manga. Outre un large choix de titres, vous pourrez y entendre les playlists créées par la libraire, autour des polars qu’elle a aimés. Elle ouvre ses portes du mardi au dimanche.
La petite Cabane, à Galgon (33)
Librairie familiale et gourmande, La petite cabane ouvrira ses portes dès que possible (travaux oblige… !). On y trouvera des livres en français, en anglais et en espagnol. Aida et sa collaboratrice déploieront une offre jeunesse, BD, manga, parentalité, vie pratique, cuisine et une section littérature adulte. Dans la partie café, il y aura aussi de délicieuses pâtisseries variées pour faire voyager les papilles !
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Lecteurs en herbe, à Neuville-de-Poitou (86)
L’accessibilité et la parentalité sont les deux axes forts de Lecteurs en herbe. Accessible en langue des signes, le fonds de la librairie de Fanny Carlotti s’articule autour de trois thèmes principaux : la nature et l’écologie, l’ouverture d’esprit et la parentalité. On y trouve aussi un large choix de titres pour personnes "dys".
La petite librairie sauvage, à La Croisille-sur-Briance (87)
Librairie généraliste, avec un fonds important sur la BD et la jeunesse. Le dada d’Alix Breton, c’est le roman graphique, mais elle s’efforce de proposer un large panel d’ouvrages pour que tout le monde y trouve son compte ! La libraire s’applique à réunir des ouvrages relatifs, notamment, aux combats sociaux, au féminisme, au développement durable et à la permaculture. Elle propose aussi des livres sur la culture sourde.