Marion Brunet, autrice chez In8, reçoit le plus prestigieux prix de littérature jeunesse


Le 9 juin dernier, Marion Brunet recevait le prix commémoratif Astrid Lindgren 2025. Son roman jeunesse Des rires de hyènes, publié dans la collection "Faction" des éditions In8, a pesé dans la décision du jury. Créé par le gouvernement suédois en 2002 pour assurer le droit à l’accès à une littérature de qualité pour les jeunes, le prix honore chaque année une personne ou une organisation qui contribue à la promotion de la littérature jeunesse à travers le monde. Il est le prix international le plus important dans son domaine, équivalent au prix Nobel. C’est la seconde fois que ce prix est décerné à un auteur ou une autrice française, après Jean-Claude Mourlevat qui l’avait obtenu en 2021. Entretien avec Josée Guellil, heureuse éditrice béarnaise de la lauréate.
Quelle est votre histoire avec Marion Brunet ?
Josée Guellil : Marion Brunet a ceci de particulier qu’elle publie dans des collections adulte et des collections jeunesse. Elle ne veut pas cloisonner son écriture, aussi elle ne l'adapte pas en fonction de ses lecteurs, donc certains de ses romans pour adolescents sont d’abord publiés dans des collections jeunesse puis dans des collections de poche pour adultes. Le premier livre de Marion Brunet que nous avons publié est Katja, en 2021, dans la collection Polaroïd. Une novella pour adulte qu’elle a proposé à Marc Villard, directeur de cette collection. La même année, nous avons créé Faction, une collection de polars pour adolescents et en 2022, Marion nous a proposé un texte : Des rires de hyènes. C’est un roman qui aborde le harcèlement en milieu scolaire mais de manière différente. Ici, il s’agit de l’histoire d’un jeune enseignant harcelé par un collégien. À travers ce texte, Marion questionne le mal-être de l’Éducation nationale, le principe de l’enfant-roi, le statut de l’adulte par rapport à celui de enfant, l’autorité dans le cadre scolaire et le respect des uns et des autres dans cette relation dissymétrique. Elle aborde tout cela de manière hardie en ayant choisi un dénouement brutal et amoral. Elle a une liberté de ton qui fait débat, qui peut choquer, c’est ce qu’elle cultive dans ses livres et ce que nous aimons.
"Ses textes ne sont pas lisses. C’est un choix audacieux et affirmé de la part du jury."
Quelle a été votre réaction à l’annonce de ce prix ?
Josée Guellil : Nous avons été surpris à l’annonce de ce prix prestigieux, mais Marion a été la première à l’être ! Le jury fonctionne comme le prix Nobel. Ils font une veille en littérature jeunesse sur tous les auteurs depuis vingt ans dans le monde entier. Marion était rentrée dans la liste il y a quatre ou cinq ans, elle le savait, mais de là à ce que son nom sorte cette année, elle ne l’imaginait pas. Elle est plutôt une jeune autrice comparé à Jean-Claude Mourlevat, et ses textes ne sont pas lisses. C’est un choix audacieux et affirmé de la part du jury. Les textes de Marion sont engagés politiquement, très sociaux, réalistes, et pointent les dysfonctionnements sociétaux de la France contemporaine. Ils auraient pu être mis de côté pour toutes ces raisons. Cette décision marque sans conteste une volonté de leur part de contrecarrer un moralisme qui tue dans l’œuf les possibilités créatrices des auteurs de littérature jeunesse. Le jury a examiné et analysé chaque œuvre de Marion et il est évident que son choix n’est pas anodin. Des rires de hyènes est un livre qui a particulièrement fait débat au sein du jury, c’est pourquoi Marion souhaite notre présence lors de la remise du prix. Nous sommes en capacité de défendre ce travail-là en tant qu’éditeur indépendant, quand d’autres éditeurs plus installés ne le pourraient pas.
Que va apporter le prix Astrid Lindgren à la maison d’édition ?
Josée Guellil : C’est tout d’abord une très belle reconnaissance du travail de Marion Brunet qui lui donne une audience internationale. Cela offre un regain de visibilité à notre maison d’édition et ouvre la possibilité de se faire connaître à l’étranger. Nous avons été rapidement sollicités par des éditeurs Suédois, Espagnols, Serbes et Coréens du Sud pour des cessions de droits de traduction. C’est une reconnaissance symbolique et un impact économique positif pour In8. C’est une satisfaction par rapport aux choix éditoriaux que nous faisons depuis des années, cela nous encourage à poursuivre dans cette voie. Cela démontre que notre travail peut avoir un écho en dehors des frontières du Béarn. In8 publie des romans noirs réalistes sur le dysfonctionnement de la société française, sujet que l’on pourrait croire ne pas susciter d’intérêt à l’étranger. Le prix Astrid Lindgren balaie cet argument en disant clairement que la littérature sociale et réaliste peut questionner le monde au-delà de nos frontières. Nous défendons une littérature qui questionne une vision du monde sans prosélytisme, qui soulève le débat et ouvre le dialogue. C’est une littérature qui dérange et ne plaît pas à la majorité des gens, mais la littérature n’obéit pas à des règles marchandes et nous nous réjouissons que ce prix soit décerné à un autrice pleine de verdeur.
