Chez Gustave, une nouvelle librairie en pays palois
En mars 2023 s'ouvrait à Morlaàs (64), commune béarnaise d'environ 4 000 âmes, la librairie Chez Gustave. Donnant sur le flanc d'une église romane vieille de 1000 ans, la vitrine se fait discrète. Pas d'étals sur le trottoir, la propriétaire Marjolaine Pétillon a opté pour une arrivée timide mais certaine. Timide, ce n'est pas ce qui caractérise cette jeune libraire. Enfant du pays basque et voyageuse insatiable, elle a posé ses valises, ou plutôt, ses bibliothèques, à Morlaàs, et compte bien s'y établir durablement.
Que faisiez-vous avant d'ouvrir Chez Gustave ?
Marjolaine Pétillon : J'étais chargée de projets web dans une agence au Canada. C'est une reconversion ! Je suis née dans le coin, puis, quand j'ai eu l'âge de partir, j'ai travaillé dans la communication et le marketing à Paris, Londres et Montréal. Mais je me suis toujours dit : un jour, j'ouvrirai ma librairie.
Pourquoi Morlaàs ?
M.P : Je voulais une librairie proche de ma famille, et une ville de plus de 20 000 habitants… Sauf que lorsque je suivais ma formation à L'École de la Librairie, un de mes professeurs (ex-propriétaire de la libraire L'Escampette à Pau) m'a parlé de Morlaàs en me disant "c'est ça qu'il te faut". J'ai passé quelques après-midis à m'y promener et j'ai vite compris l'immense potentiel du lieu.
Ouvrir ici correspond-il à la volonté d'enrayer l'habitude d'acheter des livres en grandes surfaces quand on habite dans des communes rurales, souvent éloignées des librairies indépendantes ?
M.P : Absolument. Il y avait un vrai manque. Les seules options pour trouver une librairie indépendante se situaient dans le centre de Pau, or, ça coûte cher de s'y rendre. Entre le prix de l'essence, les travaux partout, le stationnement payant…il existe beaucoup de freins. Et sinon, il faut aller à Lourdes ou à Tarbes. Donc les gens vont au Leclerc Loisirs d'à côté. Tous m'ont dit quand j'ai ouvert "Enfin ! On avait vraiment marre d'aller au supermarché, il y a trop de choix et pas assez de libraires." Ici, c'est à taille humaine, on peut commander et le livre arrive la semaine d'après. Un vrai gain d'essence, de temps, et de conseil.
Plutôt jeunes, plutôt vieux, mangas ou essais : qui sont les lecteurs de Chez Gustave ?
M.P : C'est impressionnant parce que j'ai de tout ! Des ados qui viennent tout seuls se procurer des mangas, des CSP + qui veulent un essai archi pointu sur l'économie… C'est très varié. Du coup, souvent, je n'ai pas ce qu'ils souhaitent dans mon fonds mais je commande et les gens sont prêts à attendre quelques jours, ils sont très compréhensifs.
Diriez-vous que la loi Lang a sauvé le secteur ?
M.P : Bien sûr ! Même s'il demeure un vrai travail d'éducation à mener auprès du public, dont une grande partie croit que les livres sont moins chers en grande surface. Il faut aussi leur assurer que nous ne sommes pas en concurrence, la bibliothèque et moi (au contraire, on travaille ensemble !). Je rabâche sur le prix unique du livre et quelques fondamentaux, j'ai d'ailleurs produit un livret que je donne quand je vois que les clients ont beaucoup de questions. Ça s'appelle Les dessous d'une librairie et ça reprend tous ces principes phares, très simplement.
Organisez-vous des événements hors temps classiques, comme des soirées lectures ?
M.P : Oui, j'ai ouvert un club de lecture qui se tient une fois par mois au café d'à côté. Je suis ravie parce que je m'imaginais avoir trois inscrits et je me retrouve avec 45 personnes qui suivent la lettre d'information et une vingtaine de présents en général. Les membres sont très éclectiques mais exclusivement féminines. Ça va des étudiantes aux retraitées. J'organise ça au café, pour plusieurs raisons. D'une, je manque de place, mais aussi parce que se retrouver au café dédramatise la rencontre car elle ne se tient pas dans un lieu de savoirs mais autour d'un thé ou d'un verre de vin, à côté d'autres habitants qui tendent l'oreille pour peut-être s'inscrire la prochaine fois. Ça fait retomber la pression, et ça permet aussi de faire fonctionner le tissu local. Je n'y vois que des avantages.
Cela doit être compliqué d'ouvrir une librairie généraliste, on se dit qu'il faut être bon en tout. Avez-vous des domaines de prédilection ou vous vous considérez vous-même comme généraliste dans vos goûts ?
M.P : J'adore la BD, les mangas, la littérature jeunesse et celle de l'imaginaire. Désormais, je me force un peu à lire de la littérature contemporaine, notamment pour le club de lecture, et j'en suis très contente ! Ça me demande beaucoup mais c'est très enrichissant. J'aurais trouvé ça dommage de me spécialiser. Les clients ont compris que je ne pouvais pas tout lire, et certains viennent pour me dire "Ça, j'ai lu, vous pouvez le conseiller les yeux fermés !" Un vrai lien de confiance se crée entre nous et aussi entre les lectrices du club. Mais par exemple, j'ai remarqué qu'on me demandait souvent de la littérature japonaise, je pense donc à enrichir mon fonds en ce sens.
Combien ça coûte, d'ouvrir une librairie comme Chez Gustave ?
M.P : 100 000 euros. Et encore, j'ai eu la chance de ne pas payer la main d'œuvre pour mes travaux. J'ai reçu des aides de la Région et de la DRAC, j'ai emprunté à la banque et j'ai fourni un apport financier conséquent. ALCA a porté mon dossier, et j'ai bénéficié du soutien de ma famille. Il faut pouvoir acheter les meubles, le fonds, puis toute la papeterie, les marque-pages… Je n'ai pas prévu de me verser de salaire avant décembre prochain.
Conseilleriez-vous à des aspirants et aspirantes libraires de se lancer dans une aventure telle que la vôtre ?
M.P : Oui bien sûr, c'est juste qu'il ne faut pas viser un gros chiffre d'affaire ni un salaire mirobolant. Ouvrir une librairie dans des petits villages, c'est presque du service public. Une librairie est un lieu de rencontres, un lieu de connaissances où l'on tisse des liens entre les gens mais aussi avec les écoles et les acteurs culturels environnants. Morlaàs, je n'en rêvais pas, et pourtant j'ai la chance d'avoir des clients extraordinaires. Certains passent une tête pour me dire bonjour ou juste : "N'oubliez pas ! Aujourd'hui, c'est jour de poisson au marché !". Les rencontres sont ce que je préfère dans mon métier. Je suis en train de réfléchir à ouvrir un club de lecture pour les jeunes, pour créer un nouveau rendez-vous, et des nouvelles rencontres, qui sait ?