"À la faveur de l'été"
C'est à la jeune maison d'édition bordelaise Michi que l'on doit le somptueux album À la faveur de l'été, véritable ode à l'enfance et à la nature. Un livre qui se lit mais surtout qui se contemple comme un doux poème…
Les textes sont courts, ramassés, ponctués d'onomatopées, et laissent l'image s'étendre en pleine page, voire en double… Il n'en faut pas moins à Kôshirô Hata pour exprimer son sens de l'immensité comme des petits détails. Chaque illustration, ou presque, plonge son héros minuscule dans des paysages qui s'étendent sans limite, tant en dévoilant ici et là grenouilles, insectes et oiseaux qu'un cadrage savant arrive à placer au premier plan. Car le vrai protagoniste de ce livre, c'est la nature, la nature telle qu'elle est réellement : parfois sauvage, bruissante et désordonnée, parfois apprivoisée et contrainte, nichée entre route et chemin de fer.
Mais revenons au commencement : en tout début d'album, un enfant s'apprête à sortir de chez lui. La maison est calme, peut-être même vide, plongée dans la pénombre bien que l'on devine à l'extérieur un soleil éclatant. L'enfant sort, un filet à insectes à la main, avec un objectif bien précis : attraper un grand scarabée dans une forêt voisine. Commence une course folle, où l'enfant traverse à grandes foulées enthousiastes la ville, la plage, un village de campagne et ses vaches, les escaliers d'un temple avant d'enfin arriver dans la forêt. Il ne se décourage jamais, ni face aux dizaines de marches du temple, ni après s'être écorché le genou, ni face au chêne bien trop haut pour qu'il puisse l'escalader, entièrement tendu vers son objectif : contempler de plus près ce magnifique scarabée.
Si l'histoire tient en quelques lignes, sa force évocatrice est puissante. On y parle de l'enfance, bien sûr, de ce qui l'émerveille, de la persévérance, de la joie. Mais l'auteur dépeint aussi, sans que la démonstration soit trop appuyée, quelque chose de la joie brute qu'offre parfois la solitude, la solitude face à la beauté du monde. L'enfant s'éloigne considérablement de chez lui. Il est seul et loin de son foyer, enfoncé au cœur de la forêt, là où la lumière ne pénètre plus. Il est seul sous l'averse, minuscule au milieu des rizières à perte de vue, et c'est un sentiment grisant, authentique.
Tout cela, Kôshirô Hata l'exprime avant tout avec ses pinceaux. Dès la deuxième page, contrastant avec le calme de la maison et son atmosphère tamisée, tout n'est que lumière et mouvement. Il faut dire que le gamin galope sacrément, et l'auteur arrive merveilleusement à rendre cette course folle. L'enfant, si absolument seul, traverse de nombreux paysages sans s'arrêter un instant : la course fait partie de la joie. Il fonce dans ce décor d'un Japon rural et contemporain, qui est certes paisible mais lui aussi constamment mouvant, animé par le vol des oiseaux, des insectes, parfois par le passage d'un véhicule au loin, et surtout, par la course des nuages. C'est le ciel et sa lumière qui marquent l'avancée dans le temps, dans cet après-midi d'août. On devine la chaleur écrasante, atténuée par la brise du bord de mer, par la présence omniprésente de l'eau, rizière mare et cascade. Et bientôt, par la pluie…
La couverture annonce déjà la couleur : si le ciel y est d'un bleu pur, l'impressionnante masse de nuage semble à deux doigts d'engloutir l'enfant et le ciel. En effet, au fil des pages, la lumière change, constamment. La lumière est d'abord directe, crue, intense, une vraie lumière de début d'après-midi, avec des ombres – celle de l'enfant du moins – ramassées et très noires. Puis, le bleu du ciel évolue au fil des pages, vire au vert émeraude, avant de s'estomper alors que les ombres s'allongent. On devine que la course du garçon, qui commence à alors à fatiguer face à l'immense escalier du temple, a été fort longue. Une fois dans la forêt, l'atmosphère change radicalement : les arbres étouffent la morsure du soleil, et tout est soudain plus feutré. Jusqu'à voir disparaître les couleurs : fin des verts éclatants, place aux bruns et au gris. L'orage d'été est là, soudain, la pluie tiède et drue, qui laissera place aux rose-orangés de la lumière de fin du jour. Bref, un travail de coloriste de haute volée pour démontrer le temps qui passe sans la moindre parole, sans autre artifice que la palette. Palette par ailleurs très fauve : l'auteur s'embarrasse rarement d'effets de matière ou de texture. Il privilégie les grands aplats, en couleur directe, donnant la sensation que la lumière, en début d'album, efface les détails. Ce n'est que pour mettre un élément en valeur, les nuages de la couverture par exemple, ou la pluie soudaine et inattendue, qu'il modifie sa technique pour un travail au pinceau plus détaillé. Quoi qu'il en soit, pas de contour, pas de trait : la couleur est le dessin. Et elle est à l'image de ce petit gars plein d'énergie : authentique et sans chichis.