"Virginia Woolf, journaliste" : réparer l'omission


L’ouvrage Virginia Woolf, journaliste, est sous-titré : L’histoire méconnue d’une émancipation par le journalisme. L'autrice de ce livre documentaire en sait sûrement quelque chose puisqu' elle est elle-même journaliste, enseignante-chercheuse à l'École de journalisme de Bordeaux, l'IJBA. Son étude donne un éclairage inédit sur une figure-clé de la littérature britannique du début du vingtième siècle.
Virginia Woolf, bien connue non seulement pour ses romans et ses essais, mais aussi pour son engagement entre autres avec les suffragettes et le mouvement féministe, a en outre mené une carrière continue de journaliste indépendante de 1904 à la veille de sa disparition tragique en 1941. En évoquant l’importance d’un telle carrière, la présente étude apporte un nouvel éclairage sur la vie et l’œuvre de la célèbre romancière. Elle répare ainsi une omission des exégèses de référence, qui le plus souvent ont eu tendance à considérer le journalisme comme un genre mineur.
Née en 1882 dans une famille de l’élite bourgeoise londonienne où le père, Leslie Stephen, est écrivain et journaliste, Virginia Wolf n’a pas été scolarisée mais a reçu dans ses jeunes années une éducation à domicile très soignée, comprenant le recours à l’importante bibliothèque familiale et l’apprentissage du grec et du latin. De 1893 à 1995, elle dirige et publie par jeu avec ses frères et demi-frères un journal familial, Hyde Park Gate News, relatant la vie quotidienne de la famille qui habite à proximité du célèbre parc du centre de Londres. Grâce aux relations de la famille dans les milieux de la presse, elle commence à publier des articles dans un supplément du Guardian à l’âge de 22 ans. Très attachée aux questions d’éducation et à la condition ouvrière, ainsi qu’à la démocratisation de la presse, elle ne va cesser de publier des comptes-rendus de livres en tant que critique littéraire et des essais journalistiques entre article d’opinion et reportage dans la plupart des quotidiens et périodiques les plus importants de son époque, y compris parfois aux États-Unis. Méthodiquement, Maria Santos Sainz s’est attachée à montrer comment, tout au long de son existence, Virginia Woolf a développé une interaction extrêmement originale entre journalisme et travail de création littéraire pour ses essais et romans, dont le premier, Les vagues, a paru en 1931. Chemin faisant, elle aura joué un rôle particulièrement déterminant, avec son époux Leonard Woolf, dans le rayonnement de l’élite progressiste britannique de son temps. Parmi les essais, il faut citer : Une chambre à soi, Trois guinées, et aussi The common reader, qui témoigne du souci constant de Woolf pour le dialogue avec ses lecteurs. À partir de cette notion de dialogue proche des travaux théoriques de Mikhaïl Bakhtine sur le dialogisme en tant que fait culturel, elle a élaboré et expérimenté en contemporaine conséquente de James Joyce et John dos Passos un principe de décentrement du point de vue narratif qui, associé à celui de stream of consciousness (le courant de conscience), a contribué de manière décisive au renouvellement des formes sur le plan de l’écriture romanesque.
Dans un avant-propos aussi émouvant que précis, Maria Santos Sainz a écrit au sujet de son propre travail : "Comme un puzzle, les pièces s’assemblaient dans mon esprit, au fil de mes recherches." Et aussi : "Mon travail de recherche a été conçu selon une perspective propre aux études de journalisme et avec une approche sociologique de la singularité de Virginia Woolf […]." Et encore : "Son histoire personnelle, le contexte historique, les questions de genre et de classe, ainsi que sa vulnérabilité psychologique doivent être mis au premier plan de l’analyse." Elle a noté par ailleurs : "[En France] la Pléïade a édité seulement deux tomes consacrés à son œuvre romanesque, sans jamais publier le troisième volume dédié à son œuvre de non-fiction." Le travail de Maria Santos Sainz s’est appuyé non seulement sur une vaste bibliographie spécialisée, tant en anglais qu’en français, mais sur la consultation et une analyse très réfléchie et pertinente de la correspondance épistolaire de Virginia Woolf, ainsi que sur l’histoire et l’importance sociopolitique du fameux groupe de Bloomsbury et des Éditions Hogarth Press, qui au cours des années 1930 ont notamment publié pour la première fois l’œuvre de Freud en anglais.
Docteure en Sciences de l’Information de l’Université de Madrid, Maria Santos Sainz a dirigé l’IJBA DE 2006 à 2012, où elle est actuellement responsable de la presse écrite et du multimédia. Elle est l’auteure de nombreuses communications scientifiques et de quatre autres ouvrages, dont Albert Camus, journaliste (Apogée, 2019) et Le dernier Goya (Cairn, 2021), à la suite d’un premier ouvrage à quatre mains avec François Guillemeteaud, Espagnols à Bordeaux et en Aquitaine (Éditions Sud-Ouest, 2006).
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Virginia Woolf, journaliste. L'histoire méconnue d'une émancipation par le journalisme, de Maria Santos Sainz, aux éditions Apogée
