"Feu !" : un album de résilience pour les amoureux de la nature


Dans Feu !, son dernier album jeunesse paru aux éditions Courtes et Longues, Pascale Moisset transpose et transcende l’histoire traumatique des grands incendies qui ont ravagé la forêt du Sud Gironde à l’été 2022. Elle nous raconte l’aventure d’un écureuil facétieux dont l’innocence va rapidement être assombrie par la survenue d’un événement extraordinaire, au sens premier du terme. Pourtant, tout espoir n’est pas perdu… Magnifiquement illustré par Yves Viallard, Feu ! est à mettre entre toutes les mains de celles et ceux qui voudraient retrouver un peu de légèreté, de beauté et de poésie dans une histoire qui a marqué douloureusement et pour longtemps les esprits.
Avant même de se plonger dans le récit, le lecteur est d’emblée captivé par les remarquables planches naturalistes qui ouvrent et clôturent le livre. Ce choix éditorial souligne l’une des qualités premières de ce livre : la finesse et l’exactitude des spécimens qui y sont représentés, nous invitant ainsi, par-delà l’histoire qui nous est contée, à une initiation aux sciences naturelles. Car l’ouvrage, si l’on en croit la dédicace, À la forêt, est aussi un hymne à la nature. Comme pour mieux nous immerger dans le paysage de cette histoire – la forêt des landes de Gascogne –, Pascale Moisset et Yves Viallard ont sélectionné et dessiné quelques espèces de la faune et de la flore locales, aux noms souvent poétiques, voire exotiques : "herbe à alligator", "cuivrée des marais"… Nous sommes désormais prêts, nos sens en éveil, à pénétrer dans cet univers.
Le récit commence au printemps, dans une explosion de couleurs vives. Des double-pages à la végétation luxuriante (comme un clin d’œil, peut-être, aux peintures du Douanier Rousseau ?) plantent un décor édénique où bruissent les sons d’une multitude d’espèces : les "bzzz" des libellules, les "trilles mélodieux d’un pinson", les "chants de mésanges"… Au cœur de cette nature, et en harmonie avec elle, évolue un jeune écureuil. L’été venu, avec sa chaleur accablante caractéristique des landes girondines, le jeune rongeur se laisse guider par une libellule jusqu’aux lagunes disséminées dans la forêt, comme des trésors de fraîcheur cachés.
Mais soudain, tout se fige. Les animaux se taisent, l’air s’assèche, des premières flammes au loin apparaissent. Le désarroi se lit sur la face du petit écureuil. La panique s’empare alors de tous les habitants de la forêt : "Un vent brûlant se met à souffler. De minuscules lumières rouges fusent de tout côté. Des chevreuils égarés font volte-face. Les oiseaux fuient leurs nids." Les couleurs s’assombrissent, le rouge devient dominant. Le feu est personnifié en une sorte de démon maléfique, un "dragon" ou un "monstre", comme l’appelaient, dans la réalité, les autochtones soumis à sa puissance dévastatrice.
Ce qui enchante et perturbe en même temps, c’est la beauté de cette représentation, que ce soit par les dessins rougeoyants d’Yves Viallard ou les mots poétiques de Pascale Moisset : les flammes sont des "anges danseurs", écrit-elle, reprenant ainsi la terminologie propre aux pompiers. Cette fascination dangereuse, qui parcourt toute la symbolique du feu dans l’histoire des arts – créature tantôt effrayante, tantôt inspirante, force créatrice ou destructrice… –, l’écureuil lui-même, encerclé par les flammes, la perçoit : "surtout ne pas se laisser ensorceler par leur ronde maléfique." En opposition à l’image édénique du début de l’histoire, apparaît alors une planche centrale qui plonge le petit rongeur dans les flammes de l’enfer. Nul mot pour décrire ce qu’il se passe, le silence s’impose.
Tandis qu’il se voit mourir, l’écureuil est miraculeusement sauvé par un autour des palombes. Apparaissent alors les images d’un univers apocalyptique : des troncs carbonisés jonchent le sol par centaines, le gris envahit le paysage. Dans cet univers affligeant, tel un leitmotiv, l’écureuil cherche son amie disparue : "Libellule, où es-tu ?", se répète-t-il sans cesse.
Puis, peu à peu, la nature reprend ses droits. Les restes d’un paysage désolé se superposent à la renaissance d’une couverture végétale d’un vert flamboyant. Tandis que l’odeur de brûlé et les fumerolles persistent, l’écureuil ne désespère pas de retrouver son amie. Après l’insouciance primitive, puis le chaos, la résilience est au bout du chemin…
En annexe du récit, Pascale Moisset explique la manière dont elle a travaillé pour ce livre. Immergée un temps dans le paysage de son histoire grâce à une résidence d’écriture au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien, commune durement touchée par les incendies de l’été 2022, l’autrice a enquêté sur le terrain, se nourrissant des témoignages d’hommes et de femmes du territoire : habitants, pompiers, scientifiques, etc. Cette investigation minutieuse et empathique donne à cette histoire la force du réel. Sa transposition artistique, par les mots de Pascale Moisset et les dessins d’Yves Viallard, fait surgir une myriade d’émotions que nous partagerons bien volontiers avec nos enfants.
Feu ! de Pascale Moisset et Yves Viallard, aux Éditions courtes et longues