"Les Échos de la forêt", farce et attaques
Mathilde Souchaud, metteuse en scène de métier, a décidé de s'éloigner de l'estrade pour écrire son premier texte. Il faut croire qu'elle a bien fait puisque sa pièce, Les Échos de la forêt, parue aux Éditions Théâtrales, est sélectionnée pour le prix littéraire des lycéens et lycéennes de Nouvelle-Aquitaine De livre en livre.
"À tous mes psychanalystes"
On rit avant même d'entamer la lecture de la pièce. La dédicace malicieuse de l'autrice donne le la : ça va parler psychanalyse, mais sous le ton d'un humour tantôt sardonique et cinglant, tantôt désespéré et trash. Pour provoquer ces rires successifs, l'autrice choisi les ingrédients infaillibles : une réunion de famille dominicale, une maison chargée d'histoires, un lieu isolé et trois générations rassemblées. Ça ne peut que dégénérer. La théâtralité de la scène d'exposition est remarquable. Elle présente les deux sœurs qui s'apprêtent à recevoir les autres membres de la famille, arrêtées net dans leur affairement par un cervidé suicidé au milieu du salon après avoir percuté la vitre de plein fouet. L'animal git et se vide de son sang pendant que les sœurs paniquées voient arriver au loin les convives qui, bien sûr, sont en avance.
À tout cela, Mathilde Souchaud ajoute un secret de famille bien lourd, que plus personne ne veut porter, un enfant non désiré, un enfant trop analysé, un frère homosexuel doté d'un beau-frère homophobe, et l'absence de réseau. Décidément, le pire est promis aux protagonistes.
L'autrice s'amuse à faire jurer ses personnages, à les faire s'entredéchirer, au propre comme au figuré. Mais surtout, elle tourne autour du thème de la filialité sous toutes ses coutures. L'aspect chorale de sa pièce, qui compte neuf personnages, lui permet d'aborder le sujet par une multitude de prismes. Le personnage de Marina, jeune maman farcie de références freudiennes, qui récite Françoise Dolto dans le texte, offre des laïus aussi hilarants qu'exaspérants, tant ils sonnent familiers. L'autrice met à mal la figure de la jeune mère investie dans une éducation positive, qui perd toute clairvoyance sur la réalité de sa relation à son enfant et qui détruit tout sur son passage, à commencer par sa progéniture. Pas tendre, Mathilde Souchaud, mais perçante. Elle tire fort mais juste.
Famille, je vous hais
Outre la réflexion sur la parentalité et la filiation, c'est carrément une catharsis à l'ancienne à laquelle la metteuse en scène nous invite. Un thriller familial, où toutes les pulsions refoulées s'expriment. Elle fait sauter les digues des tabous, de la bienséance, de la censure comme de l'autocensure. On imagine aisément que l'écriture d'une telle pièce vaut toutes les séances de psychanalyses. Ce thriller se suit selon un ordre bien précis. La facétieuse dramaturge a composé sa pièce de manière ciselée. Après avoir décrit toutes les entités agissantes de l'intrigue : le chevreuil / la famille / la mère /le père / les couples / l'enfant / la fratrie, l'autrice découpe l'action d'une façon bien française : l'apéritif / l'entré / le plat principal / les entremets / le fromage / le dessert / le digestif. La gastronomie érigée ainsi en art de vivre offre un cadre narratif prêt à l'emploi. C'est aussi pour dénoncer la ténacité des conventions face à la gravité de certaines de situations que l'autrice a choisi ce découpage. Que tous les animaux de la forêt tombent raides morts, que les convives s'écharpent jusqu'à s'entretuer, le fromage viendra toujours avant le dessert, et après les entremets. Même si elle fait voler en éclat la bienséance et le vivre ensemble, Mathilde Souchaud ne lutte pas contre l'immuable enchainement des mets qui rythme un repas de famille.
Avec cette farce qui vire au drame, ce repas transformé en bain de sang, Les Échos de la forêt met tous ses lecteurs sur le divan, et leur offre un sacré spectacle.