De l'importance des fonds de soutien régionaux dans le cinéma
"La marchandisation de la culture que ce gouvernement néolibéral défend est en train de casser l'exception culturelle française (…) cette même exception sans laquelle je ne serais pas là devant vous" déclamait avec force et conviction la lauréate de la Palme d'or Justine Triet, le 27 mai dernier, pour son film Anatomie d’une chute. Cette 76e cérémonie du Festival de Cannes a récompensé un film fabriqué grâce à un collectif d'artistes, de techniciens et de partenaires-financeurs. À la suite de ce discours engagé, source d'une controverse médiatique retentissante, le plan de financement du film lauréat a été passé au crible. Peut-on se féliciter d'avoir un 7e art champion des festivals et remettre en question son système de financements publics, en qualifiant le cinéma d'"art gâté" ?
Une force de frappe
"Art gâté"… Ce sont les mots du sénateur LR Roger Karoutchi1, qui qualifie ainsi l'industrie du cinéma dans son rapport d'information, présenté au Sénat le 17 mai, soit dix jours avant la clôture de Cannes. Un document relance une petite musique bien connue : il y a trop de films, et bien trop d’aides publiques. Si en 2022, les chiffres ont pu parler pour lui : sur 681 films sortis en salle, 411 étaient français2, les effets de la crise sanitaire ont biaisé ces données, beaucoup de films étant restés sur les étagères en 2021. Le nombre de films français agréés par le CNC baisse et retrouve en 2022 son niveau de 2013. Parallèlement, sur la Croisette, le cinéma français se distingue plus que jamais.
Anatomie d’une chute de Justine Triet et 27 de Flóra Anna Buda (film d'animation lauréat de la Palme d'or du court métrage) n'ont pas que leurs distinctions en commun. Les deux films comptent chacun dans leur budget de production une aide régionale de la Nouvelle-Aquitaine : 150 000 euros pour le film de Justine Triet et 15 000 pour celui de Flóra Anna Buda. Sur les 11 films soutenus par la Nouvelle-Aquitaine et présentés à Cannes, cinq ont été primés. Que ce soit sur la Croisette ou à Venise, la politique de soutien du cinéma des Régions, renforcée depuis 2018, suite à la réforme territoriale, porte ses fruits.
"La Région Nouvelle-Aquitaine est dynamique et son système d’aides nous est envié. Il s’est construit dans un dialogue permanent avec les producteurs, les techniciens et les industries techniques, avec une volonté de s’améliorer. Sa force de frappe est grande", explique Alexandre Perrier, producteur de Il pleut dans la maison, de Paloma Sermon-Daï, (Prix French Touch du jury à la Semaine de la Critique 2023). Mais on pourrait aussi parler de Saint Omer, Prix Jean Vigo, Lion d’argent et Lion du Futur Luigi de Laurentiis de la première œuvre 2022, ou de Autobiography, Prix Fipresci, Radio Metronom, prix de la mise en scène Un certain Regard… Le nombre d’œuvres primées soutenues ne fait que croître. Outre le plaisir de voir le travail des artistes et des équipes récompensé, que "rapporte" une Palme ou un Lion d’or à ses financeurs ?
Un rayonnement international
Pour David Thion des Films Pelléas, "soutenir le cinéma donne de la visibilité non seulement au territoire, mais lui confère un rayonnement international". Une Palme d’or garantit une circulation du film, non seulement dans les grands festivals, mais aussi des sorties en salle et un important coup de projecteur médiatique. C’est aussi l’occasion pour la Région de mettre en avant son savoir-faire que ce soit dans le domaine de l’animation, mais aussi sa capacité à former, faire émerger, entretenir son bassin de techniciens et garantir le dynamisme de ses industries techniques. Si les aides régionales, qu’elles soient au niveau du développement ou de la production, peuvent être perçues comme des subventions, elles ne sont pas de l’argent versé à perte, bien au contraire. "Si Il pleut dans la maison a été tourné en Belgique, la post-production a été réalisée dans la région, cela permet de nourrir toutes les industries techniques régionales. Nous travaillons avec des auteurs internationaux, nous les incitons à venir dans la région, cela permet de créer des synergies sur le long terme", complète Alexandre Perrier, de Kidam (Bordeaux).
Retour sur investissements
"Le cinéma français est un secteur extrêmement concurrentiel. Beaucoup de réalisateurs et réalisatrices ont du talent, beaucoup de projets sont de qualité, donc c’est un argent difficile à obtenir. À chaque fois, c’est un parcours du combattant", détaille David Thion. "La région et le CNC sont les deux partenaires que l’on peut mobiliser dès le développement, la période la plus de risquée. Le dialogue que l’on a avec la région est primordial", ajoute Alexandre Perrier. Si être basé en Nouvelle-Aquitaine n’est pas un prérequis, obtenir ces soutiens régionaux à la production implique un taux minimal de dépenses de 100 % (court métrage), 120 % (long métrage de fiction) voire 160 % (long métrage d’animation) dans la région3. Ces aides sont accordées par des jurys composés de professionnels du cinéma. "Elles sont très sélectives, les projets sont examinés soit sur dossier, soit dossier et oral. Ce qui, au départ, conduit à demander ce financement est dans 70 à 80 % des cas, un ancrage dans la région. Justine Triet voulait tourner dans un chalet à la montagne, nous sommes donc allées voir la Région Rhône-Alpes. Notre deuxième gros décor était un tribunal, et celui de Saintes pouvait nous accueillir : nous avons alors fait une demande d’aide à la Nouvelle-Aquitaine", explique David Thion.
Si les blockbusters français peuvent se passer des aides régionales, elles atteignent parfois 10 à 15 % du financement des films d’auteurs et d'autrices, si prisés dans les festivals, comme cette année riche de récompenses l'a encore prouvée. Préserver la possibilité d'exister pour ces créations paraît essentiel à la vitalité, à la diversité et au rayonnement du cinéma français.
2 Accéder aux chiffres du CNC 2022
3 Cinéma et audiovisuel - Intensité des aides de la Région Nouvelle-Aquitaine