Hors jeu/En jeu : un festival vraiment tout public
Comment rendre l’art et la pratique artistique accessibles ? Quels sont les murs à franchir ? Comment parvenir à une réelle mixité des publics ? Depuis dix-huit ans, le festival d’art accessible Hors jeu/En jeu, porté par la Ligue de l’enseignement de la Gironde, ne cesse de soulever ces questions sur l’ensemble de la métropole bordelaise.
"On aura réussi quand le festival ne fera plus exception", lance Camille Bachelier, déléguée Culture pour la Ligue de l’enseignement de la Gironde. En attendant, s’il n’est pas rare de voir nombre d’événements affichant un large "tout public", force est de constater la nécessité pour Hors jeu/En jeu de questionner encore la réalité de ces deux mots. Où l’art demeure-t-il inaccessible ?
Pour Camille Bachelier et Noémie Doison, chargée de l’accessibilité sur le réseau des bibliothèques de Bordeaux, partenaire incontournable du festival, les freins sont nombreux. Outre la fragilité de certains publics – un handicap sensoriel, moteur, mental, une immobilité liée à un enfermement, en milieu hospitalier ou carcéral –, il y a aussi la question de l’exclusion sociale, des moyens financiers, de la mobilité et des infrastructures.
Des problématiques multiples, donc, auxquelles il faut apporter une multiplicité de réponses. Pour y parvenir, Noémie Doison vante l’aspect pluri-esthétique du festival et transforme les freins en leviers à la créativité : "Cela incite tout le monde à faire un pas de côté. Assister à un spectacle gestuel, accessible aux sourds, c’est aussi prendre conscience de la richesse du langage corporel, qui est très intuitif, mais trop souvent réfréné par les entendants."
C’est avec la même logique que le festival envisage le fait de ne pas disposer de lieu de diffusion – une occasion de s’appuyer sur un large réseau de partenaires engagés dans la défense des droits culturels universels et d’ouvrir encore les lieux où l’art se trouve déjà. Les bénéfices psychologiques, sociaux et même physiques des temps de rencontres, de partage et des ateliers organisés lors du festival sont remarquables.
Mais il ne s’agit pas seulement de rendre l’art accessible. Le festival a aussi l’ambition de mélanger les publics. Dès lors, quel est le bon horaire pour une rencontre ? La question s’est posée, par exemple, en 2022, pour la diffusion de Folie douce, folie dure, réalisé par Marine Laclotte : "Si on diffuse en journée, il y a du personnel soignant pour accompagner des groupes et sortir des institutions de soins, mais beaucoup de gens travaillent ; en soirée, en revanche, à un horaire plus conventionnel, les équipes soignantes sont réduites", rappelle Camille Bachelier.
Finalement, c’est dans le cadre des Cinémidis organisés par l'espace Art et Image de la bibliothèque Mériadeck que le court métrage a été diffusé. "Ce sont des rendez-vous mensuels. C’était l’occasion de mixer les publics attirés par le festival et les habitués des Cinémidis", relève Noémie Doison. Une diffusion pour les scolaires, à destination des filières sanitaires et sociales, a également été organisée, accompagnée d’une médiation.
Car le festival reste un temps fort, travaillé tout au long de l’année, afin de créer du lien et de concevoir les rencontres. Camille Bachelier insiste sur l’importance de réunir les acteurs et actrices du festival, publics comme institutionnels, personnels soignants, décideurs et décideuses politiques : "On veut mettre les gens au même niveau." Une journée d’échanges organisée avec le Frac MÉCA et ouverte à tous est née de cette envie. Succès pour cette table ronde qui a réuni une quarantaine de personnes : des lycéens et lycéennes, des professionnels du social et de la culture et des usagers de structures médico-sociales, notamment les résidents et résidentes du Phare (un foyer d’accueil pour adultes en situation de déficience sensorielle travaillant en Esat). Qu’on participe à un atelier comme usager ou comme artiste invité, Hors jeu/En jeu rogne les contours des étiquettes, à l’image de l’échange avec Margot Turcat, autrice et victime d’un AVC, venue présenter son livre Mon petit AVC à la médiathèque d’Artigues à l’automne dernier.
Et après ? C’est l’une des questions d’actualité pour Hors jeu/En jeu. "Je pense à toutes les personnes qui se sont révélées au mois de novembre…, poursuit Camille Bachelier. Quelle continuité pour les actions quand le festival s’arrête ?"
Encore une question qui devra trouver une réponse, un partenariat, un format adéquat… Hors jeu/En jeu a, pour sûr, encore de belles années devant lui.