Dans les coulisses de fabrication de "Mars Express"
Mars Express est un film de science-fiction qui, sous le filtre de la technologie, nous embarque dans un univers dystopique fort, où l’intrigue du polar et du film noir se mêle avec l’intelligence artificielle, la cybernétique, les androïdes et le transhumanisme. Si le film sort en novembre 2023, cela fait trois ans qu'il se prépare. Aux manettes : Jérémie Périn, réalisateur, et Laurent Sarfati, scénariste. Deux compères qui prolongent ici leur coopération à la suite de la série Lastman. Plongée au cœur de leur processus créatif et de leurs secrets de fabrication.
Nous sommes en 2200. La Terre est un territoire gangrené par les guerres, les crises politico-économiques, la surpopulation et la raréfaction des ressources. L’Homme a colonisé d’autres planètes, dont Mars, une colonie prospère en pleine expansion où intelligences artificielles et êtres humains vivent en harmonie. Dans ce paradis libéral, police, transport et médecine ont été totalement privatisés par des conglomérats de puissants industriels. Deux détectives privés, Aline et Carlos, enquêtent sur la disparition d’une jeune étudiante. Aline est une ancienne militaire et alcoolique notoire ; Carlos est une réplique androïde de son ex-partenaire de travail. Préoccupé par la dangerosité de son métier, il a pris la précaution de se faire "sauvegarder" par son assurance, mais il n’a pas tout à fait conscience de son état d’image holographique et du caractère artificiel de sa vie, ce qui, au contraire,
n’échappe pas à sa famille qui le rejette. Au fur et à mesure que leur enquête avance, ils découvrent que Jun Chow, l’étudiante en cybernétique qu’ils recherchent, a à ses trousses à la fois des "augmentés" – des êtres dont les capacités physiques ont été décuplées artificiellement – et la police, qui souhaite l’interroger sur une affaire de piratage de robots.
Dans ce monde imaginé par Jérémie Périn et Laurent Sarfati, les robots, tout en bas de l’échelle sociale, sont devenus de véritables esclaves mécaniques, générant une impossible concurrence avec le travail humain. Certains les tiennent pour responsables de la dégénérescence de la planète Terre. D’autres souhaitent leur émancipation pour libérer l’intelligence artificielle et interdire le bridage des cerveaux électroniques. L’affaire de hacking sur laquelle enquêtent Aline et Carlos va les plonger dans de nombreuses découvertes qui renverseront l’ordre social établi… Ce projet de film était déjà présent sous sa forme embryonnaire dans la tête de Jérémie Périn, et c’est en 2017 que les deux auteurs ont commencé à faire équipe sur le projet et à rêver cet univers ensemble. Un travail de longue haleine donc, comme le sont généralement les productions d’animation. Faire un film dans un univers de science-fiction était une évidence pour les deux créateurs qui se connaissent bien pour avoir collaboré sur différents projets depuis une quinzaine d’années. Lorsque l'idée de film de détective sur Mars s’est concrétisé, il a fallu se renseigner pour savoir à quoi ressemblerait une base de colons sur cette planète. Laurent Sarfati a ainsi identifié un planétologue spécialiste de Mars qui est intervenu comme consultant pour le film. Il s’est notamment penché sur la question de savoir où une telle base devrait s’installer, comment elle s’agrandirait, entre tunnels de lave effondrés et cratères cernés de falaises, cartes 3D utilisées par les astronomes à l’appui. Ces réflexions ont permis de préciser la représentation de Noctis, la ville où se déroule l’intrigue, et de son dôme protecteur. Les auteurs cherchent donc à construire un univers aussi réaliste que possible pour garantir sa cohérence et matérialiser ce monde, tout en s’autorisant à transgresser la réalité là où cela apporte un avantage dramaturgique. "Par exemple, la pesanteur étant deux fois plus importante sur Terre, les humains nés dans la colonie martienne sont amenés à porter une combinaison adaptée aux Martiens lors de leurs passages sur Terre", précise Laurent Sarfati.
Si la vision globale était présente dès le début, chaque élément a été élaboré en son temps, tout comme le travail sonore et musical qui est logiquement arrivé après le scénario. Lors de l’écriture, Laurent Sarfati imaginait une musique soul qui "aurait permis de faire passer la sensation de nostalgie envers la période d’or, aventureuse, que Mars avait connue par le passé dans le récit". Jérémie Périn, lui, bien qu’en accord avec cette volonté de sensation de mélancolie, était également à la recherche de quelque chose de nouveau, "à la fois au niveau diégétique, où il s’agit d’imaginer ce que sera la musique du futur, mais également au niveau extradiégétique, où la frontière entre l’artificiel et le naturel sera illustrée par un mélange de musique analogique et synthétique". Accompagnés très tôt par l’équipe musicale qu’ils avaient sur Lastman, les deux auteurs ont pu faire avancer les réflexions assez rapidement.
Ils ont par ailleurs fait appel à un fabricant de voitures pour dessiner les véhicules du film et contribuer à leur sonorisation. Le souhait de vraisemblance pose des questions d’ordre pragmatique, mais il y a également une recherche d’équilibre avec les choix esthétiques pour que l’univers fasse sens. Ce processus créatif, ils le donnent à voir dans le cadre d’un journal de bord, mené par Alex Pilot 1, qui s’est engagé à suivre le projet du début à la fin pour en faire une radiographie complète. Une campagne de financement participatif a également été mise en place et permet à plusieurs centaines de personnes d’entrer dans les coulisses de fabrication du film à travers différents épisodes qui retracent l’avancée des travaux, mois par mois. "Alex Pilot nous a suivis pas à pas, même quand nous n’étions pas sûrs que le film allait se faire", précise Jérémie Périn. Pour Didier Creste, producteur, ce procédé de création du making-of est à la fois un outil de communication permettant de fédérer
une communauté très tôt dans le processus, et un support pour expliquer la fabrication d’un film d’animation.
La richesse du projet tient aussi aux nombreuses thématiques abordées, que ce soit le transhumanisme et la contre-nature, la quête d’immortalité, la colonisation, la hiérarchisation des sociétés, le développement technologique ou encore le poids grandissant des multinationales et Gafam. Jérémie Périn détaille : "Dans un premier temps, on se raconte une histoire, celle qu’on a envie de voir en tant que spectateur, sans se poser de questions. En la relisant, on se demande de quoi ça parle. On réunit les points prégnants et on les appuie ou on retire les idées qui les contredisent pour tenter de faire un film efficace qui parle de ce qui nous intéresse."
Entre des ex-hommes dans des corps de robots et des robots dans des corps humanoïdes, comment faire la différence entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas ? "On casse ce qui est dans notre monde pour le rendre flou, comme avec la télépathie qui est un moyen de communication couramment utilisé dans le film. Cet univers
étrange pour le téléspectateur, mais normal pour les héros, met le spectateur devant le fait accompli et l’amènera peut-être à se questionner sur ses propres conventions sociales", espère Jérémie Périn. Il est également question d’une société où les intérêts privés ont pris le pas et où l’État se montre démissionnaire envers les grands groupes technologiques ou biomédicaux, une thématique courante dans le cyberpunk. Quand on questionne les deux créateurs sur les résonances de ces sujets avec les actualités récentes : "C’était prévisible depuis longtemps, c’est le sens de l’Histoire. On vit dans une uchronie libertarienne", commente Laurent Sarfati. "L’espace n’est pas fait pour les humains, c’est un lieu pour les vies artificielles, nous, les êtres biologiques, nous sommes faits pour coller à notre biotope", surenchérit Jérémie Périn. Mars Express est un film produit par Everybody On Deck, associé au studio Je Suis Bien Content. Le projet a bénéficié d’une aide à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine et du Département de la Charente dans le cadre du fonds de soutien à l’animation. Cinq studios français participent à la fabrication du film : Tchack à Lille, Gao Shan Pictures à La Réunion, Amopix à Strasbourg et Borderline Films à Angoulême, qui gère la fabrication sous Grease Pencil dans Blender des personnages en 2D. La finalisation de la fabrication est prévue pour le deuxième semestre 2022.
Ce film, Jérémie Périn le voit comme un "cheval de Troie" : "On attire le spectateur avec une histoire divertissante avec des robots, on en profite pour semer des idées qui, on l’espère, l’amèneront à réfléchir."
Mars express, de Jérémie Périn
Durée : 1h25
En salle le 22 novembre 2023