"Ollie", portrait d’un skateur des champs


Avec son premier long métrage de fiction soutenu par la région Nouvelle-Aquitaine, Antoine Besse fait le pari de représenter le monde rural périgourdin à travers la passion naissante du skate de son protagoniste et son amitié avec un marginal du coin. À sa manière, il s’inscrit dans la lignée de jeunes cinéastes (dont Jean-Baptiste Durand et Louise Courvoisier) qui s’emparent du cinéma pour montrer leur région avec le regard tendre et intransigeant de ceux qui connaissent. Entretien avec Antoine Besse, dont le film Ollie a été sélectionné dans la section Premiers rendez-vous du Festival du film francophone d'Angoulême.
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Votre parcours commence par le skate ?
Antoine Besse : Oui, j’ai quatorze ans quand je me mets au skate parce que je viens de déménager des Landes en Dordogne. Je ne peux plus surfer et je dois trouver un moyen de continuer à glisser. Je rencontre alors la bande qui va devenir celle de mon premier court-métrage, Le Skate moderne. Je passe beaucoup de temps avec eux, à aimer ce nouveau regard sur le monde. Je n’ai pas un très bon niveau par rapport aux autres, alors je finis par prendre une caméra et les filmer. Ce sont les débuts des plateformes de téléchargement, c'est la loterie, on ne sait pas sur quoi on va tomber et, un jour, je découvre une vidéo de Spike Jonze, Yeah Right! (2003), qui me fascine. De fil en aiguille, je découvre ses films, Dans la peau de John Malkovich (1999), ce cinéma assez décalé. Je reçois aussi une claque en découvrant Kids de Larry Clark (1995) et je commence à vraiment avoir envie de filmer du skate autrement.
Comment en arrivez-vous ensuite à l’idée de faire du cinéma ?
A.B. : Je m’inscris à la fac de Bordeaux en cinéma. J’ai de la chance, j’intègre une promo où il y a une vraie émulation. Ensuite, on part à plusieurs vivre à Paris pour travailler et très vite, c’est la désillusion. En 2013, beaucoup changent de voie et je me dis que je vais aussi arrêter, faire une grosse saison sur la côte pour faire le tour du monde et surfer. Juste avant de partir, de nombreux souvenirs d’adolescence me reviennent, particulièrement de cette période passée à skater les champs. Avec 150 euros, une caméra qu’un membre de Kino Session m'a prêtée et le 4X4 de chasse de mon père et mes amis, je réalise Le Skate moderne. Le film se fait connaître et la machine s'emballe. Ce n'était pas volontaire, je voulais mettre en scène un film entre documentaire et fiction, questionner la réappropriation des cultures urbaines à la campagne. C’est pour cela que je les avais habillés comme dans La Vie moderne de Raymond Depardon (2008), comme au siècle dernier. Ce qui est génial c'est que beaucoup se sont persuadés qu'on skatait comme ça à la campagne, on s'est amusés de cela.
Quand est-ce que vous décidez ensuite d’écrire et de mettre en scène votre premier long-métrage, Ollie ?
A.B. : J’avais le syndrome de l'imposteur parce que j’étais seulement allé à l’université et j’avais envie de vivre. J'étais passionné de littérature beatnik, Jim Morrison, Kerouac et John Fante, je ne me voyais pas du tout m'enfermer à Paris. Pendant quelques années, j’ai fait de la publicité, des clips, quelques courts-métrages et pas mal de séries aussi, tout en voyageant énormément et je me suis dit que, finalement, je ne ferai jamais de version longue de ce film, même si on me répétait sans cesse de le faire. Puis, mon ami Béranger meurt en 2020, c'était le début du confinement, c'est comme ça que je change d’avis et que je me suis retrouvé à écrire Ollie.
Avec l'idée immédiate de revenir dans la région ?
A.B. : Je voulais clôturer ce sujet, donc j'avais les espaces et les personnages en tête pendant l’écriture. D'ailleurs, certains décors proviennent du tournage du Skate moderne. J’avais également déjà fait mon deuxième court avec Théo Christine et je savais que c'était un acteur incroyable, qu'il pouvait parfaitement interpréter le personnage de Béber. Même si ce n’est pas une biographie à proprement parler, c’est quand même très inspiré de cette bande.
C’était important d'avoir les aides de la région pour être certain que ça se passe à cet endroit précisément ?
A.B. : Très important, s’il y avait eu plus d'argent, mais c’était déjà énorme, j'aurais tout tourné en Dordogne. On a eu besoin de cumuler avec une deuxième région. Mais j’ai trouvé que le film avait sa place aussi dans les Hauts-de-France. Il y a quelque chose que je trouve intéressant c'est que les campagnes agricoles, en France, se ressemblent énormément et c'est dû à la main de l'Homme. Ce sont des années d'exploitation céréalière principalement. À part certains endroits où la présence des montagnes ou de la mer fait qu'on sait tout de suite où on est.
Il y a des idées qui vous sont venues en préparant le film ?
A.B. : Au début, je voulais réaliser un film beaucoup plus radical stylistiquement, être à l'épaule tout le temps. En discutant avec les gens à qui je voulais que le film s'adresse, je me suis rendu compte que tous les films de ce type que j'aimais, personne ne les voyait. J’en ai beaucoup parlé à Crystel Fournier, la cheffe opératrice image, qui a une importante expérience de cinéma et on a décidé de partir sur un découpage et une mise en scène beaucoup plus classique, très simple. Je pense que l'avenir, ce sont les films du milieu, c'est-à-dire entre cinéma d'auteur et cinéma populaire.
Pourquoi avoir choisi un acteur confirmé et un jeune débutant pour les deux rôles principaux ?
A.B. : Je savais que Théo avait la capacité de composer un rôle. Et pour que le film fédère la communauté du skate, il fallait qu’un véritable skateur incarne Pierre. Kristen Billon a été champion de France. On ne peut pas apprendre à skater vraiment en deux mois de préparation. Si on avait doublé tout le monde, cela aurait été une énorme erreur. Puis, on devient acteur. Quelqu’un qui joue bien, si il se forme peu à peu et qu'il arrive à continuer, alors c'est un acteur.
Vous avez choisi de présenter le film en le combinant avec des événements de skate et de le faire vivre en dehors des projections en salle.
A.B. : Oui, on vient de passer deux semaines à faire le tour de la France, on avait deux voitures, on dormait dans des Formule 1, tout le monde aidait à monter la tente, il n’y avait pas vraiment de régie, j’adore le message que ça renvoie. On s’installait sur les places publiques sans autorisation, avec d’énormes enceintes pour faire danser tout le monde, on organisait des contests (compétitions de skate, ndlr). L’idée, c'était de fédérer. Est-ce qu'ils iront tous voir le film le 21 mai ? Je le souhaite, mais s'ils n’y vont pas, ce n'est pas grave, au moins ils en auront entendu parler et perçu l’esprit qui soutient le projet. Je pense que c’est vraiment ça, l’esprit du skate : le partage. L’organisation des avant-premières classiques me faisait froid dans le dos, j'ai refusé des distributeurs à cause de ça.
Le film traverse plusieurs thématiques - le deuil, l’épanouissement à travers le skate, le monde agricole - mais vous évoquez aussi un aspect du skate qui est moins mis en avant, c'est la violence entre les adolescents.
A.B. : L’adolescence à l'époque des réseaux sociaux, je trouve que c'est vraiment important d'en parler. Quand j'ai déménagé, j'ai été victime de harcèlement, pas très longtemps, mais suffisamment pour comprendre que ce n’est pas du tout drôle quand tout le monde s'y met et ce que ça peut laisser comme trace. Le thème de l’agriculture est apparu alors que j’ai commencé une radiographie générale des personnes avec lesquelles j’avais grandi. J’en avais assez qu’on parle des campagnes à notre place et beaucoup d’amis ont aimé qu’on parle de leurs problèmes sans que ça se finisse avec une corde au cou. Il y avait aussi ce visuel très fort dont j’avais envie, de ce garçon qui skate près d'une ferme.
Vous travaillez sur un nouveau projet ?
A.B. : Cela fait plus d'un an que je fais des allers-retours vers Saint-Martin dans les Caraïbes et que je prépare un film avec des gens qui jouent leur propre rôle. On ne sera que neuf dans l'équipe, il y aura une importante partie documentaire et Théo Christine pour incarner le rôle principal. C'est mon fil conducteur pour arriver à tout combiner. Cela va se dérouler dans le monde du surf caribéen, c'est surtout un prétexte pour montrer les Caraïbes qu'on ne voit jamais.
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Ollie, en salles le 21 mai 2025