"J'ai vu trois lumières noires", aux abords du Styx colombien


Bercés par des chants ancestraux qui résonnent longtemps après la fin du film, J’ai vu trois lumières noires immerge les spectateurs dans une fiction teintée de mysticisme, bien qu’éminemment politique. Le héros inventé par Santiago Lozano Álvarez est un vieux sage, voyant, sorcier, guérisseur. Guidé par sa désespérance de voir la situation de son village s’améliorer, il part rencontrer sa mort au cœur de la forêt amazonienne. L’œuvre a remporté le Grand Prix Fiction du festival Cinélatino de Toulouse.
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Le contexte politique colombien est complexe à appréhender, à saisir, surtout par des yeux occidentaux et préservés comme les nôtres. J’ai vu trois lumières noires ne vous éclairera pas plus sur les racines de la violence maitresse en ce pays. Si la manière de filmer s’apparente à une démarche documentaire, la fable contée prend le parti de l’onirisme ; un onirisme funéraire esthétique et chargé de sens. Les éléments de compréhension factuels tiennent en sous-texte. Le réalisateur nous invite d’abord à sentir dans notre corps l’errance de cet homme et son rapport charnel à la nature foisonnante, mais menacée, qui l’entoure.
José de Los Santos, septuagénaire, a perdu son fils Píum Píum. Assassiné par ses amis et voisins pour avoir frayé avec les paramilitaires, ennemis des guerilleros, Píum Píum est réduit à l’état de fantôme pour son vieux père. Don José vit à moitié dans le royaume des ténèbres et veille les corps aspirés par la rivière, qui les recrache en amont quelques jours après les avoir avalés. Mais plus rien n’est comme avant. Il est le dernier à pratiquer ces rituels mortuaires, fruit d’un syncrétisme religieux propre à certaines terres habitées de la jungle.
Ce héros, fatigué de lutter pour un monde disparu, décide d’accomplir son dernier voyage pour retrouver son père et son fils. Sa traversée l’amène à croiser les chemins des différentes forces en présence qui s’affrontent avec barbarie dans le maquis, illustrant ainsi l’absence totale de l’État. Les guerilleros l’interceptent alors qu’il s’enfonce dans la forêt, pourvu d’un seul sac accroché en bandoulière, dans lequel il dépose fleurs et essences aux vertus médicinales. Une fois arrivés au camp, après avoir marché les yeux bandés et surveillé de près, Don José est sommé de soigner une soldat blessée. Il doit aider les mêmes personnes qui ont occis son enfant, laissant les raisons politiques l’emporter sur les souvenirs communs, l’amitié, le respect. Le guérisseur, contraint, panse les plaies et repart, poursuivant sa quête.
Plus loin, José rencontre les paramilitaires, dont les méthodes d’approche et de menace ressemblent à celles pratiquées par le groupe armé, vu juste avant. Ceux-ci pillent la terre à la recherche d’or. Deux groupes qui s’opposent, deux groupes armés à la communication rompue, se disputant un territoire et laissant les civils non-violent au milieu, sans autre choix que de subir, et de subir encore.
José de Los Santos incarne un vieux sage respecté de tous, utile à la communauté et porteur de la mémoire collective. Pourtant, même sa famille n’est pas épargnée. La guerre et son économie cruelle s’impose comme toute puissante.
Contemplatif, musical et esthétique, J’ai vu trois lumières noires propose une plongée dans la jungle amazonienne comme humaine. Un cri silencieux pour la liberté et pour la paix. Une ode à la transmission entre les générations, sur un fond de chœurs psalmodiant des alabaos, ces airs de là-bas, déchirants de beauté.
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J'ai vu trois lumières noires de Santiago Lozano Álvarez
Long métrage de fiction / Production : Dublin Films, Autentika Films, Malacosa Ciné, Bárbara Films / Distribution : Dublin Films / France, Allemagne, Mexique, Colombie / 90 min / 2025 / Espagnol (VOSTFR)
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