"Rabia" : huis-clos puissant
De la vie de Jessica, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elle trime, se brisant le corps à prendre soin des vieux. Qui prend soin d’elle ? Son amie Laïla, la naïve - la lumineuse Natacha Krief, et Dieu. Si sa sœur de cœur part en Syrie, elle ne peut que la suivre. Incarnée par Megan Northam qui offre une interprétation au cordeau, la frêle Jessica, est une toute jeune fille en colère. Même si « tout va un peu trop vite », rien ne la retient. Un boulot pourri, des études d’infirmière interrompues, une famille effacée… un vide qu’elle comble par la religion et l’étude de l’arabe. Dans l’avion pour la Syrie, les deux amies rêvent de leur futur aux côtés du combattant Akhram, Laïla en première épouse, Jessica, en seconde. Deux minutes de fantasme joyeux de deux adolescentes malmenées par la vie. Rien ne se passera comme prévu.
Inspiré de faits réels, Rabia distribué par Memento Films, le 27 novembre, est le premier long métrage de Mareike Engelhard. Tourné dans les locaux de France Tabac à Sarlat et une semaine en Jordanie, le film retrace l’histoire de ces très jeunes filles parties rejoindre le califat autoproclamé à Raqqa par l’Etat islamique en 2013. La réalisatrice y décortique méthodiquement la mécanique sectaire qui pousse des femmes à la fleur de l’âge à choisir une idéologie meurtrière. Jamais elle ne les excuse, ni ne les affranchit des crimes qu’elles ont pu commettre ou être complices. Se faisant Mareike Engelhard pointe en écho son histoire personnelle, elle, dont les grands-parents intégrèrent les jeunesse hitlériennes à l’âge de 17 ans. Comment ne pas penser au système des kapos dans ces maisons pour femmes ?
Si la Madafa tient plus du bordel que du couvent, les conditions de vie y sont rudes et les femmes n’y sont qu’en transit entre deux mariages. L’arrivée tient du club de vacances, le ton se fait martial avec enregistrement officiel, confiscation des téléphones et objets susceptibles de plaire à Madame. En la nommant, Rabia, la rage, la mère maquerelle comprend que Jessica n’est pas comme les autres. Comme elle ne se laisse pas violer par son futur mari, elle va devoir être brisée. Torture, jeun, prières… Madame suit le manuel du bon petit gourou et emmène Rabia dans sa folie. Ces deux femmes nouent une relation de dépendance : Rabia gère le goût pour la morphine de Madame, un poison qui lui offre son ascension dans la Madafa. Plus rien ne pourrait lui faire admettre que comme lui glisse son amie, Laïla, fuyant son mari qui la torture, elles se sont trompées.
Dans la Madafa, le temps semble figé, les jours, les années passent sur ce cheptel de femmes qui n’ont plus eu aucun pouvoir sur leur vie. En écho à leur passivité, les bruits de la guerre, hors champs à l’instar de La Zone d'intérêt, s’amplifient. Dans ce monde clos, les seules images du monde diffusées aux femmes, comme aux enfants, sont des clips de propagande djihadistes. La violence n’est pas uniquement portée par les hommes venant acheter leur femme, mais aussi par celles qui les monnaient, Madame et ses sbires. Mareike Engelhard décortique le cheminement de Rabia, passant par instinct de survie, de la victime au bourreau. Sa caméra n’a jamais d’empathie pour cette femme, hypnotisée, au bord de la folie. Et nous, spectateurs, nous attendons avec angoisse son réveil, le souffle court. Rabia est une réussite, un premier long métrage qui fera date.
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Rabia de Mareike Engelhard - En salles le 27 novembre 2024
Production : Films Grand Huit / Distribution : Memento Distribution / 95 min / France / 2024 / VF
Soutien à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine et du Département de la Dordogne, en partenariat avec le CNC et accompagné par ALCA.