"Mars express" : cyberpunk et existentialisme
Le premier long métrage de Jérémie Perin, Mars Express, sort ce mois de novembre. Un récit de science-fiction animé qui emprunte au film noir ses codes comme moteur narratif. On se trouve immergé en l’an 2200 où un duo de détectives privés, Aline Ruby et son partenaire androïde ont été envoyés sur Terre pour capturer une célèbre hackeuse. De retour dans la colonie sur Mars, une enquête à la poursuite d’une étudiante en cybernétique les amènent à découvrir un complot qui pourrait renverser l’ordre établi. Une histoire qui plonge dans un univers marqué de références au cyberpunk.
Cette œuvre originale a été imaginée par Laurent Sarfati, co-scénariste et Jérémie Périn, réalisateur du film. Didier Creste, producteur chez Everybody on Deck, après avoir produit la série ado-adulte Lastman diffusée sur Slash, était en attente d’un nouveau projet des auteurs. Ils ont cherché à tisser une histoire qui correspondrait à leurs propres attentes en tant que spectateur : une science-fiction basée sur des connaissances scientifiques pour créer un monde plausible. Ce futur où les intelligences artificielles prennent vie est criant de vérité bien que chaque image soit comme dans toute œuvre d’animation créée de toute pièce. Un univers fort, marqué par une ultra-technologie devenue usuelle, et trouvant sa vraisemblance dans des collaborations avec des planétologues ayant notamment apporté le nom de la ville, Noctis, cité couverte d’un dôme imitant le ciel terrien grâce à de larges écrans et reproduisant un air respirable pour les humains en les protégeant des radiations. Les premiers colons arrivés sur la planète rouge se sont d’abord installés à flan de falaise dans des habitations troglodytes pendant que les robots, ici réduits à l’esclavage, ont pu construire et étendre la ville de Noctis loin de notre biotope originel que l’épuisement des ressources et les guerres incessantes ont réduit à une Terre en état de crise permanente - "un clapier à chômeur" décrira l’un des personnages du film.
Plusieurs catégories de personnages feront leur apparition dans le film. Les robots sont ici tout en bas de l’échelle sociale, un prolétariat cybernétique soumis et exploité, mais il y a aussi les humains qui ont eu la prudence de se faire sauvegarder de leur vivant par leur assurance vie pour pouvoir survire artificiellement à leur mort dans un corps fait de mécanique et d’électronique avec un visage en hologramme, ou encore les augmentés, une humanité génétiquement modifiée dont les pouvoirs ont été décuplés grâce à des implants. Cette riche galerie de personnages représentant l’inégalité immuable des sociétés modernes s’installe dans une mise en scène virtuose ponctuée de courses poursuites haletantes prenant leur forme dans un graphisme fin, délicat et coloré.
Le réalisateur extrapole notre présent où les maitres des Gafam tentent de créer une demande pour les fusées privées propulsées dans le vide interstellaire. Il imagine un monde où le pouvoir des politiques laisse place à celui des conglomérats et actionnaires de grands groupes privés, pouvant notamment mettre sur le marché une nouvelle génération de machines intelligentes faites de cellules vivantes synthétiques. Transhumanisme, asservissement, réflexions sur ce qui fait et défait une société…Les thématiques propres au genre de la science-fiction sont bien évidemment abordées. Mais au-delà de l’intrigue policière interstellaire, le film invite à une réflexion existentialiste pour un acte de rébellion contre le néo-libéralisme menaçant et ses dérives possibles d’un point de vue sociétal et politique. Et si les créations robotiques étaient en fait les alter ego de l’homo sapiens ? Ne serait-ce pas là le plus grand progrès de la science et de la technologie ?