"Défaire" : être fille, pour le pire
Si elle est adepte de l'écriture, Fanny Robert est aussi éditrice et sa maison, Duda Muda, est issue de la promotion 2022-2023 de l'incubateur ALCA. Elle confie cette année son autobiographie "Défaire" aux éditions Le temps court, elles aussi jeunes pousses de l'édition spécialisées dans la novella, ce format court à cheval entre la nouvelle et le roman, qui s'installe à pas de loup dans le paysage éditorial français.
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"Elle avait beau cogner, vociférer, interdire, terroriser, rien n’y faisait, je mutais." Là sont les mots de la narratrice à l’égard de sa mère. Fanny Robert dresse un portrait des plus durs de celle qui l'a élevée, sa génitrice, et le résultat laisse sans voix. Sans voix ou presque, si ce n’est celle de sa mère qu’on pense entendre à nos oreilles, à se demander si nous, lecteurs et lectrices de Défaire, n’avons pas fauté nous aussi.
Si la novella et son format court sont remis au goût du jour avec Défaire, le texte ne perd pas pour autant de son intensité. Il va sans dire que l'on ressort troublé de cet amoncellement de caractéristiques données à la mère toutes très déroutantes et de moins en moins concevables.
La narratrice est l’aînée des trois enfants d’une famille qui se déchire. Un père effacé, une mère colérique, des enfants apeurés. Mais que reproche donc la mère de la narratrice à cette dernière ? De grandir ? De devenir une femme ? Une chose est sûre, cette mère l’est devenue trop tôt, trop jeune, encore juvénile qu’elle était déjà mariée à celui qui partagera sa vie avant un fatidique (mais attendu) divorce. Et ce père, effacé, qui ne reproche rien, qui ne répond de rien, et qui, un jour, laisse un mot sur une table annonçant son départ. Lâchement. Les descriptions de ce dernier sont plutôt rares mais c'est au profit de la mère monopolisant l'espace, la parole mais aussi sa propre fille, dont on sait tout des pensées et points de vue.
"On ne console pas une enfant de la défaite de sa famille en lui disant que ça aurait pu être pire ni que c’était couru d’avance". Pourtant, ce n’est que le début des critiques adressées à la jeune narratrice enfant, en quête d’elle-même, incapable de se construire sans que le moindre de ses faits et gestes ne soit pisté, contrôlé, tu ou à l’inverse envenimé pour que tout lui soit reproché, du lever au coucher.
Les années passent, et ce sont les mêmes corps qui se brisent. La protagoniste, elle, enchaîne les entorses. D’abord expliquées de manière médicale : une chute, deux, trois, celle de trop. Puis une raison moins cartésienne : la cheville droite, trop fragile, qui flanche, est synonyme d’échec. Un échec de la protagoniste à vivre comme elle l’entendrait... ou l’échec de la maternité qu’elle subit plus qu’elle ne la vit. Les reproches à la narratrice sont omniprésents, aberrants, presque comme s'ils avaient été enregistrés et retranscrits parfaitement.
Défaire est un texte dur, sombre, marqué d’empathie, qui s’éloigne des clichés des mères aimantes et dévouées. La mère est abusive, mauvaise, gênante. La fille est malade, triste, incomprise. Ses frères sont victimes, au moins collatérales. Et un jour, tout s’arrête. Brusquement. D'abord le divorce, puis les tribunaux, les foyers. Un chemin infernal au moins pour le bien de la narratrice, qui tentera de se reconstruire au fil des années, ébréchée par les fissures de sa vie familiale envoyée en l'air.
A la manière d’une thérapie brève qui redore les codes de la novella, la narratrice nous tire les fils de son enfance asphyxiante, d’insultes à son encontre aux mains levées sur son corps frêle, restant placide sous les injures. Pour un jour, espérer aller mieux.
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Défaire, Fanny Robert, éditions Le temps court, sortie le 28/04/2024 en librairie