Les bibliothèques écrivent leur transition écologique
Afin de répondre à la crise environnementale et climatique, de nombreux bâtiments dédiés à la lecture publique s’engagent sur le chemin du développement durable : architecture, usages, missions, méthodes de conservation, etc. Les évolutions, tant sur le fond que sur la forme, se multiplient. Tour d’horizon.
Un projet innovant pour la médiathèque de La Rochelle
Le 8 juillet 2023, la médiathèque Michel-Crépeau de La Rochelle, en Charente-Maritime, a fermé ses portes au public afin de bénéficier d’un important programme de réhabilitation énergétique et fonctionnelle. Elle rouvrira en janvier 2025. "Cela faisait déjà plusieurs années que l’idée de restructurer le bâtiment revenait dans les discussions, notamment parce qu’en matière de confort thermique, cela devenait très problématique, avec des salles surchauffées l’été et un hall d’accueil glacé l’hiver", explique Anne Courcoux, sa directrice depuis près de quinze ans. Il faut dire que le bâtiment, avec sa grande façade vitrée exposée plein nord, ses verrières ou encore ses grands plateaux sans cloisonnement, n’était plus guère adapté aux enjeux énergétiques et climatiques actuels. "C’est sûr que si on décidait de construire une médiathèque à La Rochelle aujourd’hui, on ferait différemment et ailleurs", note Anne Courcoux. Mais en 1998, les questions de la localisation, de l’orientation et du bâti ne se posaient pas à l’aune du réchauffement climatique ni de la crise énergétique. Et inaugurer une médiathèque face au Vieux Port avec une façade entièrement vitrée relevait alors de l’évidence.
"Cette réhabilitation architecturale interroge aussi la question des usages et des missions d’une bibliothèque"
"Aujourd’hui, les chauffeuses de la salle de lecture au premier étage sont toujours très convoitées, car elles offrent une vue magnifique sur la ville. Je pense même que cette vue est devenue une forme de bien commun", poursuit Anne Courcoux. Pas question donc de supprimer la façade vitrée de la médiathèque Michel-Crépeau : elle sera doublée afin de renforcer l’isolation. De manière générale, c’est toute l’enveloppe de ce bâtiment qui sera optimisée avec une réfection de la toiture et des menuiseries, l’installation de protections solaires dans les bureaux du troisième étage ou encore le blanchiment de la façade non vitrée, aujourd’hui de couleur grise. Le projet acté en 2022 par la Communauté d’agglomération vise une baisse de la consommation globale annuelle en énergies finales de 67 %, selon l’estimation réalisée dans le cadre de la Simulation thermique dynamique. Soit une réduction de 47 % en énergie primaire et de 82 % des émissions de GES.
"Cette réhabilitation architecturale interroge aussi la question des usages et des missions d’une bibliothèque : aujourd’hui, ce n’est plus un lieu uniquement dédié à la lecture silencieuse. On peut y travailler, jouer, écouter de la musique, assister à un spectacle, etc. Bref, c’est un lieu polyvalent et la disposition des espaces ne peut plus être la même qu’il y a vingt-cinq ans", détaille Anne Courcoux. La médiathèque de La Rochelle nouvelle version proposera donc davantage d’espaces cloisonnés, capables de garantir un confort acoustique et une diversification des missions. De même, la question de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap fait entièrement partie du projet de requalification. "En 1997, il n’y avait aucune obligation. Nous devons impérative ment remédier à cela », explique Anne Courcoux. La mezzanine du rayon jeunesse sera reconfigurée pour devenir accessible à tous. Des bornes de guidage tactile et un éclairage amélioré seront mis en place. Une boucle magnétique sera également installée dans la salle de conférences. "C’est un très beau projet, qui nous permet tra de repartir pour les vingt-cinq prochaines années", s’enthousiasme Anne Courcoux.
Le Chahut : un espace de culture commune à Biganos
Autre ville, autre exemple : à Biganos, en Gironde, c’est avant tout l’essor démographique de la ville qui a amené le sujet de la restructuration de sa médiathèque. D’une superficie de 250 m2, le bâtiment actuel montre en effet ses limites face à une population en hausse constante depuis quelques années : à l’horizon 2030, Biganos devrait accueillir 14 000 habitants, contre 10 000 actuellement. "En 2020, nous avons pris conscience que l’agrandisse ment de la médiathèque devait devenir une priorité ; en parallèle, nous avons décidé que les politiques publiques étaient tenues de s'écrire avec une réelle participation citoyenne, pour que la voix de tous les habitants puisse se faire entendre et qu’une vraie cohésion sociale se construise", indique Bérengère Hérissé, l’adjointe à la culture de Biganos. "De ces réflexions et consultations collectives menées par la Ville a émergé l’envie d’un lieu qui ne soit pas seulement une bibliothèque, mais davantage un espace de culture commune, en prise avec les principes écoresponsables", décrypte Estelle Loup, facilitatrice sur les démarches de participation citoyenne.
"Avec ce projet, nous venons vraiment interroger le rôle d’une bibliothèque comme acteur et éducateur à une citoyenneté éclairée"
Au final, le projet retenu repose sur l’ensemble des piliers du développement durable, c’est-à-dire aussi bien les questions environnementales que sociales. Il fera 3 000 m2, dont 1 200 m2 réservés à la bibliothèque. Le reste sera occupé par le centre social, la maison des associations, un restaurant en économie sociale et solidaire, un espace agora et un laboratoire citoyen. Les bâtiments seront en bois avec un approvisionnement local (pin des Landes), la production d’électricité par panneaux photovoltaïques fonctionnera en autoconsommation et le chauffage reposera à 100 % sur des énergies renouvelables. "La médiathèque de Biganos était obsolète, qu’il s’agisse du bâtiment, sous-dimensionné, étouffant l’été et énergivore, ou du point de vue des usages. Avec ce projet, nous venons vraiment interroger le rôle d’une bibliothèque comme acteur et éducateur à une citoyenneté éclairée", se félicite Patricia Amiens, sa directrice. Ce nouveau lieu, dont le chantier a débuté en avril, s’appellera Le Chahut. Il sera inauguré au printemps 2026.
Des méthodes de conservation plus vertueuses
Un dernier volet important en matière d’écoresponsabilité des bibliothèques réside dans la question des modes de conservation des collections patrimoniales. En effet, ces collections (manuscrits, estampes, affiches, etc.), exclues du désherbage et du prêt, se doivent d’être éternelles. Et donc durables. À Mériadeck, la bibliothèque municipale de Bordeaux, ce fonds est constitué de 500 000 références, soit 30 km linéaires, répartis dans 11 magasins, consultables uniquement sur place ou en ligne sur le site selene.bordeaux.fr. "La conservation de ces collections représente un véritable enjeu énergétique, car pour assurer de bonnes conditions de conservation, il faut notamment veiller à respecter une certaine température et un taux d’humidité relative dans les magasins. Or, quand Mériadeck a été inauguré en 1991, personne ne s’intéressait vraiment aux enjeux énergétiques et climatiques, et c’est un bâti ment tout en verre orienté plein sud qui a été construit. Très vite, l’été, il a fallu pousser la climatisation à fond pour maintenir des températures de conservation acceptables", détaille Matthieu Gerbault, le chef du service Patrimoine de la bibliothèque muni cipale de Bordeaux. Le hic, c’est que le recours à la climatisation, en plus d’être énergivore et pas écologique, peut aussi provoquer des dégâts matériels : "Les systèmes de climatisation ne sont pas fiables à 100 % : ils ont besoin d’être entretenus sous peine de mal fonctionner ou de tomber en panne. Nous avons eu un cas d’infestation de moisissures dans un magasin où la climatisation était défaillante", indique Matthieu Gerbault. Aussi, entre 2012 et 2018, des travaux ont été menés afin d’améliorer les performances énergétiques du bâtiment. En parallèle, l’évolution des normes de conservation a elle aussi permis de réduire la dépendance à la climatisation : "Avant, la règle, c’était 18-20 degrés maximums dans les magasins. Aujourd’hui, nous savons que ce sont les variations brutales de température qui endommagent les collections. Nous utilisons donc la climatisation de manière moins drastique et l’été nous la réglons sur 25,5°", précise Matthieu Gerbault.
Du côté des matériaux utilisés, une prise en compte plus fine de leur durabilité a, elle aussi, permis de réduire l’empreinte carbone des méthodes de conservation, à l’instar de l’utilisation de colles non chimiques, de cartons permanents avec réserve alcaline neutre ou encore de l’abandon progressif du papier kraft. "Le papier kraft était très utilisé dans les années 1970 pour recouvrir les livres. Or, ce n’est pas un matériau neutre : il s’oxyde et n’a donc pas une longue durée de vie. C’est aussi un matériau cher et polluant", commente Matthieu Gerbault. De la même manière, la gestion des moisissures a été revisitée : finie la désinfection à l’oxyde d’éthylène, un produit cancérigène et toxique. Aujourd’hui, une remise en état sur un temps long est privilégiée, c’est-à-dire un dépoussiérage méticuleux des documents abîmés. Enfin, la notion de conservation partagée a fait son chemin : en 1996, la Région Aquitaine a fait le choix, pionnier, de répartir la charge de la conservation des périodiques (journaux, revues, etc.) dans toutes les bibliothèques de son territoire. "Le stockage des périodiques, très vorace en volume, représente une empreinte écologique très forte pour les bibliothèques. La conservation partagée est une vraie avancée : chaque bibliothèque de la région se voit attribuer la responsabilité de la conservation de certains périodiques et non de la totalité de ceux auxquels elle est abonnée. En revanche, tous les usagers de la région ont accès, quelle que soit leur bibliothèque de rattachement, de manière numérique, à la lecture de ces publications", explique Matthieu Gerbault.