Camila Beltrán, une réalisatrice cenonnaise au festival de Cannes
Née en 1984 à Bogotá en Colombie, Camila Beltrán vit en France depuis 2007 et à Cenon, dans la métropole bordelaise, depuis près d'un an. Son premier long métrage, Mi Bestia, a fait partie des films projetés dans la sélection de l'ACID au festival de Cannes 2024. Camila Beltrán n'en revient toujours pas.
Le 18 mai dernier, la réalisatrice est invitée à monter les célèbres marches du Palais lors de la 77e édition du festival de Cannes. Un honneur qu'elle doit à la programmation de son premier long métrage, Mi Bestia, dans la sélection parallèle de l'ACID, l'Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion, (née en 1993).
"À Cannes, je craignais un peu un côté bling-bling ; mais en fait, j'ai passé un super moment et j'ai eu des discussions très intéressantes avec d'autres vidéastes sur les pratiques cinématographiques. Et puis, être à Cannes donne un vrai coup de projecteur. Depuis, je constate que mon film commence à exister, j'ai eu un entretien avec Mediapart, par exemple", commente Camila Beltrán.
Entièrement tourné en Colombie, Mi Bestia raconte la transformation d’une adolescente dans le Bogotá des années 1990 quand l'annonce d'une éclipse de lune à venir alimente rumeurs et superstitions. Récit d'apprentissage, angoissant et sauvage, Mi Bestia réussit à entremêler les genres et se défaire des codes avec originalité et beauté. Interrogées sur les raisons qui les ont motivées à choisir ce film dans leur sélection, Pascale Hannoyer et Clara Teper, toutes deux membres de l'ACID expliquent : "Ce qui nous a beaucoup plu dans ce film, c’est qu’il invente une forme puissante et singulière pour raconter cet âge fondateur dans la vie d’une femme : le passage de l’enfance à l’adolescence. Par son travail sur la texture de l’image et sa cadence, son choix des cadres, le travail du son et de la musique, il nous replonge presque physiquement dans la sensation d’inquiétante étrangeté voire d’angoisse de cette période de profonds bouleversements. Il emprunte aux codes du fantastique, mais pour les détourner et nous rive aux pas de son héroïne, Mila, qui dégage douceur et détermination, pour l’accompagner dans son parcours d’émancipation."
Pour la bordelaise Jeanne Oberson, qui a travaillé comme monteuse sur le film de Camila Beltrán, cette sélection signe de fait une vraie reconnaissance par les pairs : "C'est un film audacieux, avec un parti pris formel très fort, puisque le film a été tourné en 16 images/ secondes et est diffusé en 24 images/ secondes, ce qui permet un vrai travail sur l'intériorité du personnage en donnant aux spectateurs l'impression de pénétrer dans sa bulle. En le programmant, j'ai le sentiment que l'ACID a tenu à saluer et adouber un vrai geste de cinéma".
Il faut dire que Camila Beltrán revendique depuis toujours une écriture et une esthétique cinématographiques bien à elle. Venue au cinéma en parallèle de ses études d'arts, qu'elle suit à l'université de Bogotá, puis à l’école supérieure d’Arts de Paris-Cergy, Camila Beltrán se fait remarquer avec des premières réalisations, très expérimentales, qui empruntent notamment au collage, à l'instar de ces trois premiers courts métrages, La Fiesta (2006), Le Soleil Brille (2007), La Mala Hija (2010), tous sélectionnés dans des festivals alternatifs sud-américains. Très inspirée par le "groupe de Cali", un mouvement artistique très actif en Colombie dans les années 70 et 80 et à l'origine d'une contre-culture cinématographique, la réalisatrice revendique également une attirance forte pour le "gothique tropical". Enfin, sa jeunesse passée dans un pays ultra-violent et très machiste a également été un facteur déterminant dans la construction de sa vision du monde. Nourrie de toutes ces influences, elle a commencé depuis les années 2010 à explorer un cinéma "plus narratif" où la culture populaire colombienne prend une place primordiale, avec notamment Pedro Malheur, son premier court métrage de fiction, qui a obtenu la mention spéciale du Jury au festival de Clermont-Ferrand en 2014, ou Pacífico Oscuro, sélectionné au Festival de Locarno en 2020.
Installée en France depuis 17 ans, Camila Beltrán vit aujourd'hui sur les coteaux de la rive droite bordelaise, à Cenon, avec sa fille de 7 ans. "Ici, je peux profiter d'une meilleure qualité de vie, j'ai plus de temps à consacrer à ma fille, et puis il y a la proximité de l'océan, de l'Espagne et la tombe de Goya", explique la tout juste quarantenaire, qui s'avoue fascinée par l'histoire mystérieuse de la sépulture du grand peintre espagnol, dont le crâne a disparu. Depuis peu, elle s'est mise à l'écriture de son prochain film. "Ce sera une adaptation du livre Antes de que el mar cierre los caminos (Avant que la mer ne ferme le chemin, publié aux éditions Tusquets en 2022, NDRL) de l'autrice colombienne Andrea Mejia. Il sera là aussi question d'enfance et de violence. Le tournage aura lieu en Colombie, mais sur la côte Caraïbe cette fois", dévoile la cinéaste.
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Mi Bestia, en salle le 4 septembre 2024.