"La Femme Squelette" et les immensités silencieuses
Jetée à l’eau par son père, capturée accidentellement par un pêcheur d’abord effrayé, une femme passe de l’état de squelette à celui d’être humain et retrouve ainsi, grâce à l’amour, un corps intègre, un corps qui "danse, chante, donne naissance et saigne sans mourir pour autant". Le conte inuit dont Cécile Vallade fait le récit, inspiré de Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estes, nous emmène sur les terres de l’Arctique.
"Au sein de chaque femme, il y a une créature sauvage et naturelle, une force puissante, remplie de bons instincts, d’une créativité passionnée et d’un savoir sans âge." Clarissa Pinkola Estes
Aux dessins poétiques de l’autrice se mêlent les chants de gorge envoûtants de Marie-Pascale Dubé (accessibles à la fin de l’ouvrage via les QR codes). La lecture de La Femme squelette devient, par la grâce de la voix, expérience, voyage initiatique, hymne à l’amour. On parcourt des immensités silencieuses, sublimées ici par le katajjaq. On plonge dans le grand Nord, harponné par ce son rauque et grave qui évoque la faune, la flore, le souffle, la chair, l’esprit et la matière. L’Inuit qui "campe dans la gorge" de la comédienne vient nous offrir une autre manière d’appréhender le conte, une connaissance plus immédiate de l’amour et de notre nature profonde. Son chant vient dire les os, la peau, la vie, la mort, et par lui nous redevenons des femmes sauvages qui hurlent, rient et chantent les louanges du cœur, instrument de la création. On lit ce livre comme on se rencontre, entre transe et vertige.
Les dessins sont des éblouissements. Désir, attente, dons et pertes, le crayon de Cécile déploie l’amour en palimpseste. Il aura fallu son style singulier pour nous parler du corps, de la mort et pour exposer aux yeux du lecteur une sensualité esthétique, ainsi de ce sexe de femme, presque mystique qui s’offre au regard.
L’autrice fait ici le pari réussi d’une narration sans mots et donne à la femme squelette de l’histoire une inédite poésie. L’incroyable beauté stylistique du livre, les plans cinématographiques, les nuances de gris et leur fin jeu de lumières éblouissent lectrices et lecteurs, déjà conquis par la charge symbolique des images.
Cécile Vallade nous enchante par sa façon de dévoiler les paysages. Son trait est un langage, celui de l’exploration de notre nature sauvage, profonde. Le livre raconte la régression mais aussi et surtout la renaissance et la reconstruction d’une femme. Les dessins sont réalistes et certaines scènes, aux encrages forts touchent ici au sublime. La femme squelette, magnifiée par le noir et blanc, mêle la douleur de l’amour et la réappropriation de soi sans jamais se départir de l’humour.
Le mythe parle au cœur, invite le lecteur à l’écoute et à la compréhension. Les planches, muettes, alternent gros plans et plans larges, bestiaire et allégorie du féminin. L’autrice creuse ainsi ses thèmes de prédilection et son amour du sauvage transpire dans chacune des pages. Les images naissent de la souffrance de la femme, malmenée, repoussée au même titre que la faune ou la flore et nous convient alors à une réflexion sur le cycle de la vie, sur cette phase ultime de l’amour qui est le don du corps.
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La Femme Squelette est sélectionné pour le prix des lycéens et apprentis de Nouvelle-Aquitaine De livre en livre, saison 2024-2025.
La Femme Squelette, de Cécile Vallade, éditions Eidola.