La lecture pour tous grâce à des livres adaptés, l'exemple de Parentis-en-Born
À Parentis-en-Born (40), la médiathèque municipale a constitué un fonds spécifique de plus de 300 ouvrages pour les enfants et adolescents "empêchés" dans leur apprentissage de la lecture. Une démarche inédite dans les Landes, qui rencontre un franc succès.
Installées tout près de la porte d’entrée, immédiatement visibles avec leur signalétique colorée, les deux étagères qui rassemblent des dizaines de livres adaptés aux jeunes lecteurs en situation de handicap, disposent d’une place de choix au sein de la médiathèque de Parentis-en-Born. Centrale. Au même titre que le bâtiment public, coquette maison en pierres apparentes entourée de verdure, située au cœur de cette commune landaise de la Côte Nord. "Il ne fallait surtout pas remiser ces livres dans un coin de la médiathèque, pour ne pas stigmatiser le public concerné", explique sa responsable, Christelle Tomyn.
Du Molière et des mangas
Baptisé Edition Jeunesse Accessible1 (EJA), cet espace est conçu pour faciliter la lecture des enfants et adolescents avec trouble dys (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie et dyspraxie), avec handicap auditif ou visuel, trouble autistique ou encore déficience intellectuelle. Dans ce fonds de 335 documents, on trouve des romans jeunesse comme des classiques. L’Avare de Molière et Manon Lescaut de l’Abbé Prévost y côtoient des mangas sur le foot et des ouvrages documentaires sur le corps humain et le Moyen Age. "Vous avez les livres à toucher, les livres en braille, les livres audio, les livres en langue des signes, les livres en gros caractères, les livres FALC [Facile à lire et à comprendre] avec des pictogrammes qui accompagnent souvent le texte, et bien sûr des livres accessibles aux dyslexiques. Ceux-là représentent le gros de notre fonds EJA", détaille Christelle Tomyn.
Sur la tranche des livres et sur leur couverture, on repère des étiquettes rouges, jaunes, roses ou bleues, avec des mots-clés : "gros caractères", "livre syllabique", "livre en pictogrammes", etc. Ici, la présentation alphabétique des ouvrages est proscrite. "Les livres sont triés par type d’adaptation, pas par handicap. Ça permet de décloisonner, d’avoir une approche transverse. Par exemple, une adaptation en FALC peut aussi bien convenir à un enfant autiste qu’à un enfant dys. Si on triait par handicap, un parent n’irait pas forcément vers un livre adapté à un autre handicap, ce serait limitant. Ça joue en termes de représentation", poursuit la bibliothécaire.
Un kit clé en mains fourni par une association
Cette ouverture d’esprit, qui a guidé la constitution du fonds EJA à Parentis-en-Born, émane des recommandations d’une association basée à Lille, dans le Nord, le département d’origine de Christelle Tomyn. Depuis 2019, l’association Signes de sens porte le programme Edition Jeunesse Accessible et milite pour la lecture accessible en aidant les bibliothèques et les structures médico-sociales, partout en France, à proposer des livres adaptés aux enfants et adolescents en situation de handicap. "Je suivais Signes de sens sur les réseaux sociaux. J’ai vu passer une communication sur leur programme EJA, j’ai trouvé l’idée géniale. J’ai sondé les enseignants de la commune, les orthophonistes. J’ai surtout échangé avec la maire, Marie-Françoise Nadau, qui voulait redynamiser la médiathèque", se souvient Christelle Tomyn. En 2022, les deux femmes bâtissent ensemble un projet de "médiathèque pour tous", la plus inclusive possible, ouverte aux habitants de la commune et au-delà. Coût de l’opération, 6 000 euros environ, financée en partie par une subvention du Centre National du Livre.
Signalétique, supports de communication, étiquettes pour les livres, bibliographies étoffées, l’association Signes de sens leur fournit un kit clé en mains. "J’ai suivi une formation à distance pour optimiser l’utilisation du fonds. C’est un espace qui nécessite une médiation. Il faut expliquer comment ça marche, pourquoi c’est là", résume la bibliothécaire. Avant la constitution du fonds EJA, celle-ci proposait déjà des ouvrages pour les dyslexiques, mais ils avaient l’inconvénient d’être disséminés dans la médiathèque. Un lieu unique pour ces livres adaptés n’est pas anodin. Cela signifie "plus d’autonomie pour les jeunes dyslexiques qui ont souvent du mal à se repérer dans le temps et dans l’espace", souligne Virginie Brivady, de l’association Signes de sens. "Avec un espace dédié, ils savent où aller", résume la chargée de mission lecture accessible.
Une ressource précieuse pour les enseignants
En deux ans d’existence, ce fonds spécifique a largement trouvé son lectorat. Des familles de Parentis-en-Born, des patients envoyés par leur orthophoniste, mais aussi des habitants des communes voisines, viennent s’y servir très régulièrement. Pour Isabelle Larré-Larrouy, enseignante en CE2 à Parentis, il constitue même une petite révolution. Avant 2022, c’était l’école de la débrouille : "Je devais photocopier en plus grand le livre étudié en classe, je surlignais, je mettais du fluo pour différencier les personnages, il fallait trouver des astuces pour faciliter la lecture de mes élèves dyslexiques. Je n’ai plus du tout besoin de le faire !", s’exclame-t-elle.
Désormais, l’enseignante, qui a quatre enfants dyslexiques sur vingt-sept dans sa classe cette année, vient chercher des exemplaires adaptés à la médiathèque. En fonction des choix des éditeurs, le livre utilisera une police accessible aux dyslexiques, plus arrondie et qui minimise la confusion ou la rotation des lettres, ou bien des gros caractères, une présentation syllabique (avec un découpage en couleur des syllabes), ou encore des repères visuo-spatiaux, bien pratiques pour repérer qui parle dans une pièce de théâtre. "Quand on fait une lecture suivie, chapitre par chapitre, c’est un exercice dense. Le support m’importe peu. Qu’un élève utilise une version adaptée, abrégée, ou qu’il écoute au casque la version audio pendant quinze minutes, ce que je veux, c’est qu’il soit en mesure de suivre et de comprendre une œuvre dans son intégralité".
Fait remarquable, l’introduction en classe de ces livres EJA a suscité un engouement collectif. "Quand j’organise un rallye lecture, il y a la queue pour aller prendre un livre adapté. J’ai créé un petit espace au fond de la classe. Il y a de la fierté pour les élèves, dyslexiques ou pas, d’être allé au bout d’un livre, surtout quand il est plus épais", assure Isabelle Larré-Larouy. "C’est vrai que le fonds EJA s’adresse en fait à tous les publics. On le présente comme ça, et tout le monde y va, avec ou sans handicap", constate Christelle Tomyn, qui reçoit les élèves sept fois par an, de la petite section au CM2.
Alléger le coût cognitif de la lecture
La fréquentation assidue de livres adaptés est primordiale pour les enfants dys. "Il faut bien comprendre que la lecture est un processus complexe : c’est une analyse visuelle pour différencier les lettres, les segmenter, les déchiffrer, on parle de voie phonologique. Une fois que l’enfant a appris à déchiffrer, il va de moins en moins se servir de ce déchiffrage et va passer par un autre chemin, lexical, en reconnaissant les mots comme des images", décortique Manon Rougé, orthophoniste à Parentis-en-Born. "Chez un enfant dys, il peut y avoir une toute petite fenêtre visuelle attentionnelle, un regard qui saute ou inverse des lettres. On leur demande beaucoup plus d’étapes. Donc, ces livres qui adaptent la police, qui utilisent des images, des syllabes en couleur, tout ça allège le coût cognitif de la lecture. C’est une économie d’énergie pour l’enfant dys, il est moins fatigué par la présentation du texte et peut accéder plus facilement à sa compréhension", analyse celle qui utilise beaucoup le fonds EJA de la médiathèque.
Grâce au travail de petites maisons d’édition spécialisées dans les livres adaptés (la poule qui pond, Adabam, La Plume de l’Argilète, etc.), auquel s’ajoutent les collections conçues par quelques gros éditeurs (Nathan et sa collection dyscool, Belin avec Colibri, par exemple), l’offre est de moins en moins limitée. "Le fait que les éditeurs aient diversifié les livres adaptés, en allant de la BD au roman, c’est très important. J’ai beaucoup de patients qui se réfugient dans la BD, mais le vocabulaire des BD et des romans n’est pas le même, idem pour la syntaxe, souvent plus élaborée dans le roman", observe Manon Rougé. "J’encourage beaucoup les familles à emprunter à la médiathèque, à maintenir ce niveau de lecture. Cette diversité permet une meilleure imprégnation de la richesse du français", poursuit l’orthophoniste.
Aller plus loin
Pour enrichir son fonds, Christelle Tomyn fouille sur internet, échange des conseils avec d’autres professionnels sur des groupes Facebook. Des ressources il y en a, mais pas suffisamment à ses yeux. "Tout ce qui est roman, ça va, mais pour le documentaire, ça commence seulement. Une famille qui vient régulièrement chez nous peut avoir fait le tour du fonds EJA en un an", estime la bibliothécaire.
Les maisons d’édition, petites et grandes, vont-elles jouer le jeu des collections adaptées ? Suivront-elles la demande ? De plus en plus de médiathèques mettent en place des fonds labellisés Edition Jeunesse Accessible. Si Parentis est la seule médiathèque des Landes à le proposer (six en Gironde sont répertoriées), "150 à 200 médiathèques et structures médico-sociales en France sont équipées de notre kit EJA depuis sa création", estime Virginie Brivady, de l’association Signes de sens. "Je me revois démarcher les médiathèques en 2019… Les livres adaptés au public empêché, ce n’était pas du tout d’actualité. La priorité était au numérique. Aujourd’hui, c’est l’inverse ! On nous appelle pour suivre nos formations". Avec 15 500 bibliothèques publiques en France2, le potentiel est gigantesque.
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1. EJA pour Édition Jeunesse Accessible. Aller sur le site dédié
2. Chiffre du Ministère de la culture. Article "À la découverte des bibliothèques"
Diplômée en journalisme et en philosophie, Elodie Vergelati a d'abord été journaliste radio à Radio France pendant plusieurs années (avec un passage par Radio-Canada et la RTBF), avant de choisir la presse écrite en rejoignant la rédaction de Sud-Ouest dans les Landes, où elle vit. Elle est désormais journaliste indépendante mais aussi auteure.