Lettre ouverte à la mort
Tantôt caresse, tantôt griffe, ce dernier texte de l’écrivaine Yolande Paris, Lettre ouverte à la mort, est habité de fulgurances, comme seules les grandes plumes peuvent les déployer pour dire le chagrin irrémédiable. À la fois magnifique chant d’amour adressé à celui qu’elle a tant aimé, cette lettre est, dans le même temps, un défi en forme de poing levé, adressé à "Toi, la Mort", qui lui a "enlevé".
Écrite en 2002, deux ans après le décès de son compagnon, le peintre montmartrois Gabriel Paris, cette dernière lettre aura mis vingt-deux ans à parvenir à destination, et ce, grâce aux éditeurs corréziens de La Mérule, qui offrent ainsi à Yolande et Gabriel un dernier écrin, "un tombeau de papier où ils sont désormais inséparables", comme l’écrit Jérôme Garcin dans la préface.
Bien que la lettre s’adresse à celle que Yolande Paris hait par-dessus tout et ce depuis son enfance, "Toi la Mort je te hais, tu as tué mon compagnon", elle est surtout un hommage à son compagnon de route, pour le remercier des quarante années partagées et pour s’excuser aussi de la dernière période où la terreur et le désespoir devant l’inéluctable n’ont ouvert que des silences qui lui font écrire avec regret et culpabilité : "Je voulais tant que tu vives pour que je ne meure pas." Alors puisqu’errant dans son atelier, survolant les travaux en cours, abandonnés là en pile méticuleuse, où aucun signe, bruit, ou son, ne vient réfuter la présence absente, il lui faut dérouler leur histoire. Écrire pour revenir à leur lien.
Gabriel Paris (1924-2000) était peintre, graveur, sérigraphe, poète et créateur de livres d’artistes qu’il illustrait, notamment Exercices de style de Raymond Queneau, avec qui il a entretenu une longue amitié, ou encore Abanico para los Toros de Michel Leiris, dont on peut découvrir quatre planches parmi les trente œuvres présentées en fin de livre. Yolande Paris (1934-2010), elle, sociologue de formation, nous invite au cœur de leur vie d’artistes bohèmes, entièrement dévouée à la création et à l’amitié, tant dans leur maison-atelier de la cité Montmartre-aux-artistes à Paris — une cité de 180 ateliers-logements d’artistes construite dans les années trente — que dans leur quartier d’été, à Lodève dans l’Hérault, d’où elle écrit : "Je suis à l’atelier du haut, étendue sur ma chaise longue, et j’essaie de survivre une journée de plus sans toi. L’atelier du bas est vide de ta vie éteinte" mais "tes livres illustrés dorment désormais à la bibliothèque nationale dans une lumière tamisée […] pour y vivre l’éternité. [J’ai aussi offert] ta grande toile À l’approche de Rabelais, au musée Rabelais [pour] que tu vives enfin un instant de plénitude dans ta vie de peintre mort."
En refermant ce livre, on ne peut s’empêcher de se demander si, lorsque Yolande a senti sa fin arriver, huit ans plus tard, elle était alors enfin apaisée ? Ou si elle a fait ce qu’elle énonce dans la dernière phrase, dans une sorte de bravade dont elle voulait tenir sa revanche : "Adieu la Mort. Maintenant tu sais que tu n’auras jamais le plaisir de me tuer. C’est moi qui te convoquerai le jour où je l’aurai décidé."
(Photo : Centre international de poésie Marseille)