L’endroit qui scintille
En avril-mai 2015, Li-Chin Lin, autrice de bande dessinée d’origine taïwanaise, a été accueillie en résidence de création au Chalet Mauriac à Saint-Symphorien. Elle a consacré son temps à la réalisation de Fudafudak : l'endroit qui scintille, bande dessinée qui vient d’être publiée par les éditions çà et là.
À la lecture de Fudafudak, il m’est impossible de ne pas me souvenir à quel point cette femme sensible et pudique m’avait touchée et émue. En ouvrant les premières pages, j’ai lu qu’elle dédiait cet ouvrage à sa famille. Cela m’est apparu évident et le souvenir de notre rencontre s’est remis à vivre, dans cette salle où la fenêtre s’ouvrait sur l’épaisse forêt qui entoure le chalet. Li-Chin Lin se tenait bien droite sur sa chaise, les bras posés sur la table. Elle répondait à mes questions, consciencieusement. Au fil de notre discussion, elle a laissé jaillir ses émotions. Mes questions n’avaient plus lieu d’être, je devais seulement écouter ses mots, ses silences et ses larmes.
Pour comprendre le fil que Li-Chin Lin suit dans son travail d’auteure, il est important de revenir sur le propos de son premier livre : Formose. Elle y évoque ses souvenirs d’enfance et d’adolescence tout en racontant l’histoire de Taïwan : l’oppression de la domination chinoise, l’étouffement des différentes cultures aborigènes, l’obligation de parler le mandarin, l’interdiction de pratiquer ses coutumes, tout ce qui conduit à la négation d’une culture et de son Histoire. Dès lors, la démarche de Li-Chin Lin est de dire, de montrer les richesses de son île, d’exprimer d’où elle vient. C’est là un acte de résistance, un refus de l’oubli, une réparation nécessaire, que de s’autoriser la liberté de propos.
Pour comprendre le fil que Li-Chin Lin suit dans son travail d’auteure, il est important de revenir sur le propos de son premier livre : Formose. Elle y évoque ses souvenirs d’enfance et d’adolescence tout en racontant l’histoire de Taïwan : l’oppression de la domination chinoise, l’étouffement des différentes cultures aborigènes, l’obligation de parler le mandarin, l’interdiction de pratiquer ses coutumes, tout ce qui conduit à la négation d’une culture et de son Histoire. Dès lors, la démarche de Li-Chin Lin est de dire, de montrer les richesses de son île, d’exprimer d’où elle vient. C’est là un acte de résistance, un refus de l’oubli, une réparation nécessaire, que de s’autoriser la liberté de propos.
Fudafudak est dans la continuité de cette démarche. La bande dessinée s’appuie sur les trois mois que Li-Chin Lin a passés en 2014 au sein d’une communauté écologique cherchant à préserver le patrimoine culturel et le mode de vie des Aborigènes. Le récit s’articule autour de plusieurs combats, dont celui contre la construction d’un hôtel de luxe à Fudafudak, sur la côte est de l’île de Taïwan, mais le propos va au-delà des faits. Li-Chin Lin interroge l’engagement, le choix, le passé et l’avenir. Elle reconstruit le fil des origines peu à peu rongé par le pouvoir de l’argent. En s’intéressant au passé, Li-Chin Lin donne à comprendre les absurdités du présent : comment le profit passe-t-il au premier plan au détriment des populations, de leur qualité de vie, de leurs traditions, de l’environnement ? Pour certains sans scrupule, l’argent est un outil qui donne du pouvoir. Ces comportements insidieux se basent sur le mensonge d’une prospérité qui séduit. Ils s’inscrivent dans le présent et occultent les conséquences désastreuses de leurs décisions.
Li-Chin Lin adopte un regard d’observateur, elle met son art au service du propos, mais elle reste au second plan. Elle n’est pas le héros de l’histoire. Par le dessin, elle s’implique, s’engage en mettant en lumière les combats quotidiens de ces hommes et de ces femmes qui pensent l’avenir autrement, dans le respect de l’humanité. À la lecture de Fudafudak, j’ai retrouvé le regard franc de cette femme que j’avais rencontrée au chalet. Une femme sans bavardage, précise dans son propos, qui laisse peu à peu la place à ses émotions et repose sans cesse le sens qu’elle donne à son travail. Rien n’est laissé au hasard dans son récit, rien n’est futile, tout est important, car chaque élément qui compose son livre a un rôle à jouer. Li-Chin Lin manie le sérieux et l’humour avec dextérité, le réel n’est pas déconnecté du mythe, elle pose la vie comme un tout, où chacun a sa part de responsabilité. Elle montre l’ignorance, elle s’insurge en douceur, mais sûrement. Elle explique, elle nourrit, elle nous emporte. Et bien qu’elle ait fait le choix de dessiner en noir et blanc, elle fait apparaître les couleurs dans l’imaginaire du lecteur. Alors, les plages, les forêts, les costumes, les villages et les mythes s’habillent de mille feux.
Il y a beaucoup d’amour et de générosité dans la façon qu’à Li-Chin Lin de raconter. Elle n’écarte pas ses surprises, ses étonnements, ses colères, ses incompréhensions. Ses émotions s’égrènent pudiquement, laissant place à celles que le lecteur peut lui-même éprouver.
Fudafudak : l’endroit qui scintille est un hommage à Taïwan et à tous ceux qui se battent pour préserver son authenticité. Il s’agit de l’Histoire de cette île, mais le récit est universel. Loin de l’anecdote, Li-Chin Lin creuse dans les profondeurs de l’humanité, dans ce qu’elle est capable de réaliser de pire, et surtout de meilleur. Car, s’il est question de prendre conscience d’une réalité douloureuse qui conduit au désastre, l’espoir est présent tant qu’il y aura des questionnements, des remises en question. Tant qu’il y aura quelqu’un pour dire, montrer et donner à comprendre le monde.
Fudafudak : l’endroit qui scintille, de Li-Chin Lin
Éditions çà et là
Avril 2017
192 pages
20 euros
ISBN : 978-2-36990-236-2
Lucie Braud alias Catmalou est née en 1975 à Bordeaux où elle a vécu plus de vingt ans. Elle navigue entre la bande dessinée, le roman, le récit, l’album jeunesse, la lecture à voix haute. Ses territoires de création de prédilection explorent l’enfance et le portrait. Elle travaille seule ou avec les dessinateurs Alfred, Édith, Cromwell, Joseph Lacroix et l’illustratrice Lauranne Quentric.